Pour une sobriété numérique

Épisode 5 publié le 25/01/2019

Xavier Verne

Xavier Verne

Xavier Verne est directeur projet à la SNCF, agrégé de mathématiques et membre du think tank The Shift Project. Il nous parle du rapport publié en octobre dernier « Pour une sobriété numérique », l’impact environnemental du numérique et les leviers d'action.

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En écoutant cet épisode, vous téléchargerez 32 Mo de données.

Questions abordées :

Transcript

Qu’est ce que le Shift Project ?

Le Shift Project est une association loi 1901 qui a été fondé par Jean-Marc Jancovici, qui est l'un des
instigateurs du bilan carbone des entreprises. Il a un cabinet de consulting par ailleurs et qui essaye au sein
du Shift Project de développer des idées pour décarboner l'économie. Et donc faire des préconisations aux corps
intermédiaires, aux entreprises, aux associations de manière à tenir la barre des 2 degrés définie par le GIEC,
comme la limite à ne pas franchir pour préserver l'humanité.

Comment es-tu venu à t’intéresser au sujet de l’impact écologique du numérique ?

Mon ADN c'est le numérique. J'ai fait il y a longtemps une école d'ingénieur, Télécom Paris. Par ailleurs,
jsuivais Jean-Marc Jancovici parce que j'ai toujours été intéressé aux questions d'écologie et l'impact de
l'homme sur la planète, et de préserver ses conditions de survie. J'aime bien étudier les systèmes en grand et
je sentais bien que le discours ambiant qu'on a actuellement - l'informatique, l'IT, le numérique - va résoudre
tous vos problèmes, relayé par les grands médias, était à questionner. Je me suis rapproché du Shift Project et
j'ai découvert qu'on pouvait contribuer.

C'est ce qu'on appelle le solutionnisme technologique comme le disait Marie-Cécile Paccard dans le
premier épisode de Techologie.

Justement l'un des grands enseignements qu'on va voir ensemble c'est évidemment que la technique ne peut pas tout
résoudre.

En octobre le Shift Project sortait le rapport qui prône une sobriété numérique. Qu’est ce que la
sobriété numérique ?

Il n'y a pas de biais dans la définition. C'est l'adjonction de sobriété et numérique. La sobriété c'est avoir de
la modération dans les choses. Se poser la question de ce qu'on fait et d'essayer de minimiser l'énergie pour le
faire. Et donc la sobriété numérique c'est dans nos usages, dans la conception des technologies, dans leur
utilisation, comment fait-on pour avoir cette modération au quotidien.

C'est que dans la gestion de l'énergie, ou c'est aussi dans la gestion du matériel ?

C'est bien la totalité quant il s'agit de sobriété. Pour tous les sujets, on regarde l'énergie, les métaux
utilisés, le travail nécessaire pour fabriquer un produit. Donc on regarde l'ensemble du cycle de vie des objets
qui contiennent de l'électronique, c'est à dire la quasi totalité des objets des quotidiens, où il y a des
boutons ou des écrans tactiles.

Quels sont les leviers d’actions que prône le Shift Project ?

Dans la rapport, il y a un certains nombre d'actions qui sont préconisés, un certain nombre de leviers qui ont
été identifiés. Le constat c'est que l'énergie utilisée par les technologies numériques croit de 9% par an. Une
croissance de 9% par an, c'est un doublement tous les 7 à 8 ans. C'est totalement exponentiel comme processus.
Avec ça, on va bientôt avoir la moitié des centrales nucléaires de France qui en 2030 ou 2035 qui alimenteront
des téléphones, des ordinateurs, des data-center, des équipements réseaux... Ce scenario là n'est pas durable.
Il faut se poser la question par rapport à ce constat de ce qu'il faut mettre en place.

Un premier levier qui est majeur, qui est un levier technique, c'est de se dire que la voiture qui pollue la
moins c'est celle qui n'est pas produite, le téléphone qui pollue le moins c'est celui qu'on ne fabrique pas.
Pour vous donner juste un exemple, le téléphone qu'on a dans la poche, sa fabrication, c'est 90% de l'énergie
qui est utilisé dans toute sa vie. En fait, quand vous rechargez votre téléphone, quand vous faites attention à
le charger tous les deux jours et non tous les jours, c'est déjà bien, mais au fond, le mal est déjà fait,
puisque 90% de sa consommation d'énergie, d'eau, et évidemment 100% des matériaux ou presque si on excepte la
réparation en cours de vie, se fait à la phase de production. Donc le premier levier c'est de ne pas fabrique de
composant électronique.

Ensuite il y a un autre levier qui est décrit dans le rapport, si on place la discussion sur le champ de la
technique, on ne va rien résoudre. Ce problème là est un problème sociologique d'usage. Je vous donne un
exemple. Quand on fait une recherche sur Google, c'est tellement facile et instantané qu'en fait on n'a pas la
conscience de tout ce que ça génère. Une recherche internet cela génère plusieurs grammes de CO2 émis dans
l'atmosphère. Et mis bout à bout pour les 7 milliards d'êtres humains qu'on est et peut-être pour les 3
milliards qui ont accès à des recherches Google au quotidien, cela fini par faire des millions de tonnes de CO2
déversés dans l'atmosphère tous les ans. Donc si on se place du point de vue sociologique la question qu'il faut
se poser c'est je suis conscient ou pas des usages qui sont vraiment nécessaires pour moi et je suis conscient
des impacts environnementaux que ça a pour faire des choix.

Quelle a été ta participation dans l’établissement de ce rapport ?

Comment fonctionne le Shift Project : pour chaque sujet, il y a un pilote de la démarche, du projet qui s'entoure
d'une équipe. Le pilote pour le rapport sur la Sobriété numérique était Hugues Ferreboeuf. On est la plupart du
temps on est bénévole. On fait cela en plus de notre travail. Je précise que moi je ne parle pas au nom de la
SNCF, je parle en mon nom propre, personnel, ici. Du coup, il s'est entouré d'un certain nombre d'experts sur le
champ de la sociologie, une expertise sur les data-center, sur le champ de l'expertise IT dans les grandes
entreprises. Avec 5 ou 6 personnes clés qui constituaient l'équipe, j'ai porté la voix de comment en fait dans
les grandes entreprises finalement. Comment y traiter la question du numérique et puis la question de la
sobriété.

Comment s'est passé le travail, c'était le soir, le week end... ?

Oui, c'est un forfait soirs et week-ends. Ensuite on s'est réuni pendant un an et demi à raison d'une réunion par
mois et puis un peu de travail personnel ou en binôme entre les réunions. Et puis à la fin il y a un gros
travail de rédaction et de consolidation de l'ensemble des travaux et des études qu'on a lu puisqu'on a lu à peu
près 300 études universitaires pour rendre nos conclusions. Et que des études récentes pour être sûr que les
résultats soient pertinents. Puisque les chiffres bougeaient extrêmement vite. Donc à peu près 20% de temps
hebdomadaire consacré à ce sujet.

Es-tu allé voir les grandes sociétés, comment elles faisaient au niveau de leur informatique ? Sur ton profil
Linkedin, tu parlais que tu regardais si le design des sites était sobre.

Pour me rassurer entre guillemets sur mes convictions que j'avais vu à travers de l'ensemble de projets que j'ai mené
ou avec qui j'ai pu discuter à la SNCF. La SNCF c'est une grande entreprise donc je suis amené à voir beaucoup de
projets informatiques et de voir comment les gens font. J'ai fait un peu de veille sur comment était conçu un
certain nombre de sites.

Donc c'était qu'à distance. Tu n'es pas allé voir les sociétés physiquement ?

Non, je ne suis pas allé visiter de data-center...

Tu peux nous dire concrètement ce que tu as fait pour analyser cela ? Tu as utilisé une méthodologie ou des
outils ?

Ce pour quoi j'étais utile j'espère à l'équipe c'est que : dans les grandes entreprises la modification de
l'utilisation du numérique est très rapide. En gros, on n'utilise pas du tout l'informatique aujourd'hui comme il y
a dix ans. Par exemple, on utilise de plus en plus les services du cloud. Le cloud c'est payer quelqu'un pour que
vos données soient tout le temps disponibles, avoir du réseau très rapide pour pouvoir rapatrier ces données très
rapidement et déporter une partie de l'intelligence côté serveur. Si vous n'êtes pas capable de modéliser ce que
cela veut dire des services cloud qu'on utilise mais qu'on n'héberge plus en propre dans une entreprise, en fait vos
modélisations sont fausses. Vous n'êtes plus capable d'avoir des ordres de grandeur sur l'énergie consommée. Il faut
regarder les usages et le système informatique d'une grande entreprise : il y a une flotte de mobiles, il y a des
gens qui travaillent en sédentaire, des gens en télétravail, d'autres en mobilité qui vont en clientèle. Il y a des
devices qui sont fournis par l'entreprise, d'autres devices qui sont personnels et qui permettent d'accéder à des
ressources de l'entreprise. Il y a des objets connectés qui sont dans les appareils embarqués, dans les systèmes de
l'entreprise. Donc c'est tout ça qu'il faut mettre bout à bout. Quand je vais regarder les grandes tendances et
analyser les chiffres quels sont les éléments et sous-systèmes informatiques qui vont être pertinents. Donc c'est ce
regard là que j'ai apporté.

Par rapport au cloud, tu parlais du cloud qui permet d'héberger les documents. Effectivement il y a dix ans,
on les avait sur le réseau interne. Mais il y a aussi les sites webs ou les applications qu'on héberge sur le cloud
et ce cloud va optimisé les ressources et qui va "scale" par rapport à la demande. Est-ce que c'est une bonne chose
ou pas par rapport à ce besoin là ?

La question est tellement large que la réponse peut être oui et non. Je vais vous donner un exemple, oui et un
exemple, non. Sur le fait que cela favorise une forme de sobriété : pour avoir un ordre de grandeur : un tiers de
l'énergie consommé ce sont les devices, donc les terminaux, le PC, le mobile, la tablette. Un tiers c'est les
équipements réseaux. Et un tiers ce sont les data-center. Une ressource, un document, que vous voulez partagé entre
un certain nombre d'utilisateurs, c'est le levier 5 du rapport, plutôt que d'envoyer des mails de chaque version
successive du document que chacun va avoir dans sa boite mail qui est répliquée et sauvegardée plusieurs fois dans
le nuage, parce que vous avez signé un contrat avec un prestataire, Google, Microsoft ou autre qui va vous garantir
que si vous perdez votre boite mail ou avec le protocole IMAP, elle est toujours sauvegardée sur le serveur, vous
allez retrouvé vos mails indéfiniment pour les dix prochaines années. C'est beaucoup plus rationnel de mettre ce
document avec un système de gestion de version sur une ressource partagée, sur un partage de documents type Dropbox,
Sharepoint ou d'autres. Entre ceux qui ne vont pas y accéder et ceux qui vont accéder qu'à la version 3 parce que la
version 1 est déjà périmée, vous n'avez qu'un seul document qui est hébergé. Quand vous la consultez vous faites
transiter le document sur le réseau. Mais à un moment donné, vous êtes gagnant. C'est ça qu'on a modélisé dans le
5ème levier pour se dire à partir de quel moment nos usages... arrêtons de nous envoyer des mails, c'est plus
pertinent de partager un document, donc ça c'est plutôt oui.

Ensuite, plutôt non. Il faut tenir compte de l'effet rebond. C'est à dire au fond plus c'est facile, plus cela
consomme, plus on l"utilise.

L'effet rebond si je dois donner une définition formelle : quand vous faites une amélioration technologique qui va
améliorer soit le rendement soit la consommation de ressources, si vous faites 30% d'économie, une partie de cette
économie va être réinjectée en demande supplémentaire donc ça rebondi. Je vais vous donner un exemple. Vous vous
souvenez des navigateurs internet il y a 10 ou 15 ans ? Vous aviez une barre de recherche en haut, des marque-pages
à gauche et puis quand vous alliez sur Google, vous aviez un champ de recherche. Aujourd'hui, oui vous pouvez mettre
des choses en marque-pages mais que font les gens dans les usages ? Ils tapent directement dans une barre unique.
Google a fusionné d'ailleurs la barre d'url et de recherche. Vous tapez un mot clé et cela lance très souvent une
recherche Google, qui vous dirige vers le site si vous avez été précis ou soit vous propose une liste de résultats.
On a remplacé l'utilisation des marque-pages qui était quelque chose de très vertueux pour l'énergie car cela
consiste à se rappeller d'une information en local sur un PC qui peut être éteint et quand on l'allume, on a
directement l'adresse exacte du site où on veut aller, par je lance un navigateur, je fais une recherche, j'ai une
liste de résultats qui ont été pré-indexés et ensuite je clique pour aller sur le site et puis peut-être après la
page précise que je veux sur le site. En fait c'est tellement facile aujourd'hui. Google est tellement fort pour
reconnaitre je cherche, je cherche pas, je t'emmène directement sur le site, c'est fini. Qui utilise et prends le
temps de classer ses marque-pages aujourd'hui ? Donc ça c'est le fait que ça a été rendu facile, donc il y a un
effet rebond qui est gigantesque. La consultation des sites à propulation constante et à nombre de sites constant,
elle a explosé en fait. C'est un exemple où la technologie, la facilité qui est donnée, vient faire exploser les
usages. C'est l'effet rebond. Ensuite il y a des effets rebonds directs, indirects, je ne vais pas rentrer dans les
détails.

On fera un autre épisode dédié à l'effet rebond !

Donc l'effet rebond fait que le nuage n'est absolument pas vertueux si on ne se pose pas la question des usages sur
la consommation du numérique et l'intensité énergétique de cette consommation.

Je te demandais aussi les outils que tu utilisais pour analyser les sites ?

Alors à mon niveau, moi qui n'ai plus fait de code depuis 5 ou 10 ans, l'outil magique c'est la console de
développement de Firefox. Vous avez directement la taille des ressources, ce qui est mis en cache ou pas, le nombre
d'appels réseaux. J'ai analysé des sites et pour une page assez simple, il y avait 50 appels réseaux et de sockets
persistantes.

50 requêtes réseaux, c'est très gentil. Dans toutes ces requêtes, il y a beaucoup de traqueurs de publicité...

Là c'est le deuxième volée, c'était l'extension qui n'est plus maintenue aujourd'hui qui faisait apparaitre sur une
carte quand vous consultez un site, l'ensemble des sites tiers qui sont sollicités. Donc ça c'est absolument
délétère pour l'énergie, puisque vous n'accédez pas uniquement à la ressource dont vous avez besoin, vous accédez de
manière indirecte à tout un tas de ressources. Pourquoi ? Pour vous proposer en 10 millisecondes, la meilleure pub
adaptée à votre profil. Puisque ces sites là communiquent entre eux, se revendent leurs données. C'est bizarre,
quand vous voulez partir aux Seychelles, assez rapidement toutes les pubs que vous recevez vont vous proposer le
voyage aux Seychelles.

Un deuxième outil consiste à regarder plus précisemment le code source des sites. Exemple, il y a un certain nombre
de sites qui n'ont pas "minifiés" le code Javascript. Le web a été conçu pour partager des ressources. Il n'a
absolument pas été conçu au départ pour faire des applications riches. Donc on a rajouté plein de couches, de
persistance de données, de construction d'une IHM,
d'interactions dynamiques avec du Javascript ou autre. Mais au fond, c'était juste je veux accéder à une ressource
distante. C'est cette facilité qui fait sa force. Sauf que télécharger à chaque fois qu'on visite une page
l'ensemble de l'IHM c'est une hérésie, par rapport à un client lourd qui consiste à télécharger en statique le code
d'une application et à échanger que les données qu'on veut afficher ou qui sont à modifier. Tous les systèmes lourds
de l'époque et pourquoi ils étaient conçu comme ça, c'est qu'il fallait faire extrêmement attention à pas émettre
plus de 10 Ko sur le réseau par requête, pour que le système soit performant et puisse répondre en temps et en heure
à l'ensemble des sollicitations. Donc c'est toute l'ère des
"mainframe", donc beaucoup de ressources côté serveur. Et il y a
surtout beaucoup plus de clients qui veulent acheter des billets d'avion sur internet et du coup il faut faire très
attention à ce qu'on demande au serveur.

Aujourd'hui le réseau ce n'est plus un sujet. La capacité réseau et la bande passante, ce n'est plus un sujet. On ne
se pose pas la question de l'énergie que ça consomme au quotidien. Du coup, on se permet d'avoir des technologies
côté client qui sont géniales. On a un navigateur qui exécute toutes les applications. Mais le prix de ce tronc
commum et de la technologie web c'est qu'il faut télécharger à chaque fois l'IHM. Après on peut mettre en cache des
choses. On met en place des stratégies pour limiter cet effet. Mais structurellement, on retélécharge des ressources
systématiquement.

As-tu travaillé sur l'impact du streaming, on pense notamment à Netflix ?

Oui. Donc Netflix vous le savez c'est 15% de la bande passante mondiale. C'est une gigantesque pompe à énergie. Ce qu'on
a regardé, on a calculé des ordres de grandeur. Dans le numérique combien pesait le streaming. Il y a deux choses à
avoir en tête.
Parmis tous les usages du numérique, c'est la vidéo qui consomme le plus. Un texte, un email, même une photo, une
transaction électronique, ça consomme rien par rapport à un flux vidéo. Ce n'est plus des kilos mais vous passez au
méga ou à la dizaine de méga-octets. Quanf bien même les derniers codecs vidéos vont optimiser à qualité constante la
bande passante mobilisée.

Même ce podcast, cet épisode, ça sera à peu près 30 méga-octets. Mais on fournit le transcript texte.

Donc on peut lire avec un navigateur.

Cela demande beaucoup de temps pour le rédiger...

... pour l'accessibilité.

Mais c'est accessible.

Quel temps de travail par rapport à des ressources numériques qu'on utilise. C'est tout le sujet.

Exactement !

Donc la vidéo ça consomme énormément.
Et ce qui consomme le plus ce sont les vidéos en haute définition. Le premier truc à faire, ce n'est pas une
surprise, on le démontre avec des chiffres, ça devient criant, c'est de regarder les vidéos dans la plus basse
définition acceptable pour vous. Quand j'achète des vidéos sur Google Play, je ne prends pas des vidéos en full HD
pour regarder sur mon mobile. Et puis je les consomme depuis chez moi en Wifi plutôt qu'en 4G parce que la 4G
consomme beaucoup plus d'énergie. Et dans le monde de la vidéo, le streaming consomme beaucoup plus que
télécharger une vidéo et la regarder à froid, pour différentes raisons techniques.

Du coup, Netflix avec l'effet rebond dont j'ai parlé. Promettre que pour 7€ tout est illimité, dans ce coût là
vous n'avez absolument pas les coûts environnementaux. Si Netflix n'existait pas, il n'y aurait absolument pas 130
millions de gens qui consomment de la vidéo dans ces quantités là. Personne n'irait au coin de la rue, pour les
plus vieux d'entre nous, réserver 4 DVD toutes les semaines. Et quand vous y allez, votre DVD n'y est plus car
c'est celui qui vient de sortir et tous les exemplaires sont déjà empruntés. En fait, la facilité d'usage a fait
exploser la consommation. Aujourd'hui Netflix c'est le pire de ce que le numérique peut produire si on se pose la
question du point de vue écologique.

Donc, n'utilisez plus Netflix ! Toi, as-tu un compte Netflix ?

J'ai fait un essai pendant un mois justement pour faire des tests de bande passante. Quand j'ai regardé, je n'ai
pas trouvé le réglage de la définition. Netflix s'auto-règle à la définition maximale que votre bande passante
peut accepter.

En fait, c'est par rapport au compte ?

Oui pour accéder à la full HD. Si on n'a pas beaucoup de débit, à un moment donné, ça devient moche pour
poursuivre la lecture. Donc en fait, Netflix s'auto-adapte. C'est un peu comme la lecture automatique sur Google.
De point de vue sociologique en fait, l'économie veut vous faire consommer des choses, donc elle vous pousse des
choses. La lecture automatique Youtube, les pubs que vous recevez, c'est ce qu'on appelle des flux poussés. Vous
ne demandez rien et vous recevez un appel téléphonique pour vous vendre une cuisine. Et ça c'est pire du point de
vue écologique, puisque le référentiel ce n'est plus le besoin de chacun, si j'ai besoin de quelque chose, je vais
le chercher, un DVD, un film, une ressource en ligne. C'est directement la technologie et des entreprises qui vous
poussent des choses. Donc la confirmation est par défaut implicite. Et ça c'est la pire des situations.

C'est à qui de se réguler, ce sont les gens, individuellement, ou ce sont les entreprises ?

C'est une question extrêmement large. D'un point de vue des valeurs personnelles et je dirais qu'on pourrait
partager demain pour résoudre ce problème, je pense qu'il y a un principe, le principe de co-responsabilité. Dès
qu'on va désigner des coupables, il y aura des victimes et en fait la relation coupables-victimes entre des
institutions, des entreprises et des particuliers, elle n'amène pas de solution. Puisque la victime se positionne
en victime et donc se dédouanne de toute responsabilité. Et les coupables se sentent attaqués, donc va être en
réaction plutôt qu'en proposition de solutions. Donc déjà il y a un principe, nous sommes tous co-responsables de
ce qui arrive. Pour moi c'est un principe pour discuter à égalité, en confiance. Qu'est-ce que moi quand j'agis
j'induis comme comportement chez l'autre ? Dans la conclusion du rapport pour une sobriété numérique, c'est que
probablement il n'y aura pas de solution sans contraintes. C'est tellement facile d'accéder à une vidéo Netflix,
c'est tellement facile pour une entreprise d'acheter des centaines de tera-octets de stockage dans le nuage. S'il
n'y a pas à un moment donnée une contrainte, on ne trouvera pas de solution.

La contrainte sera financière quand l'énergie coûtera trop cher peut-être ?

La grande leçon du Shift Project et des travaux de Jean-Marc Jancovici, de Matthieu Auzanneau et de toute
l'équipe, c'est qu'en fait le prix de l'énergie ne reflète pas l'offre et la demande d'aujourd'hui. C'est à dire
que le prix du pétrole a baissé alors que la demande augmentait. Il se comporte de manière erratique. L'économie
étant financiarisé, il y a des gens qui font des paris sur les prix du pétrole. L'arbitrage prix n'existe pas.
Sinon il y a bien longtemps qu'on aurait commencé à réduire notre consommation de pétrole. Ou notre consommation
d'indium qui va manquer dans les années 2030 ou 2040. Donc le prix ne permet pas de résoudre la question. J'ai un
stock fini de quelque chose, comment je l'utilise au mieux ? Tant qu'il n'y a pas de contrainte, il n'y a pas de
problème. En fait le problème, on ne le voit pas aujourd'hui. Puisque la comptabilité des entreprises est faite de
manière que les dégâts environnementaux ne sont pas comptabilisés, c'est ce qu'on appelle des externalités
négatives. À partir du moment où il n'y a que le travail d'humains et des machines qui est comptabilisé, vous
oubliez une partie du système et vous ne pouvez pas apporter la bonne réponse. Dit autrement, pour réguler un
système, il faut mettre une contrainte. Je vais vous dire un truc provoquant qui a été dit par d'autres que moi et
c'est pas de moi : demain, on limite tous notre connexion à 1 méga. Qu'est-ce qui se passe ?

On avait eu le cas il y a quelques années avec le problème entre Free et Youtube.

Oui il y a un peu de ça, vous vous souvenez du tollé que ça avait fait ?

Surtout nous les développeurs, on gueulait là dessus. Certains ont changé d'opérateur.

Moi le premier qui était un fan absolu de Free de la première heure, et qui est toujours freenaute pour
différentes raisons.

On a donc connu ce problème et c'est peut-être quelque chose qu'on va connaitre à nouveau.

Donc je pense que sans contrainte on aura pas de solution. La chance qu'on a c'est qu'en France on a beaucoup
d'ingénieurs qui savent très bien de manière culturelle faire de l'optimisation sous contraintes. On lançait des
fusées dans l'espace avec pas tant de moyens que ça. On saurait faire plein de choses.
Tout à l'heure je parlais de co-responsabilité. La responsabilité peut être à hauteur du pouvoir qu'on a ou de
l'effet de levier qu'on a. Tocqueville l'a démontré. En fait, ce qui fait bouger la société, ce sont les corps
intermédiaires : les institutions, les entreprises. Dis autrement, l'individu tout seul ne peut pas faire changer
le système. Donc c'est la grande leçon qu'on tire du Petit manuel de résistance contemporaire de Cyril Dion. C'est
quelqu'un qui a travaillé dans des ONG, il a travaillé sur le boycott. Si on boycotte tous Danone en France ils
vont forcément pivoter leur logique industrielle vers des yaourts moins polluants et meilleurs pour la planète.
Cela ne marche pas en fait. Il n'y a que 5% qui modifie son comportement mais ce n'est pas suffisant. Les
comportements individuels sont très importants pour conscientiser le problème et faire sa part. Mais pour changer
le système, il faut avoir une alternative qui est proposée aux corps intermédiaires. Donc il faut s'organiser
ensemble pour faire les choses différentes. Faire une Scop si on n'a plus envie de travailler dans une entreprise
du CAC40, s'organiser différemment.

Qu'est ce que tu fais au quotidien dans ton travail à la SNCF ?

Je suis dans l'oeil du cyclone, je fais de la transformation digitale. Encore une fois, je parle en mon nom et non
au nom de mon employeur. Donc j'essayer d'appliquer au quotidien les principes de la sobriété numérique. Par
contre ce n'est pas une démarche qui est, en tout cas dans mon service, sur la transformation digitale, il y a des
gens qui en parlent mais ce n'est pas encore dans le quotidien des équipes de développement et des chefs de
projets. À titre personnel je peux vous donner un exemple de ce que j'ai fait ces dernières années. Vous avez
peut-être vu il y a 3 ou 4 ans, les bornes de la SNCF qui étaient jaune sont devenues blanches, à ce moment là on
a refait toute l'IHM, toute l'interface, avec AngularJS et avec Firefox, des supers technos. Il s'est posé la
question de refaire ça avec la borne existante ou on jette la borne à la poubelle et on en construit une autre.
Avec un peu de lobbying interne et la démonstration que c'était plus intelligent de conserver les bornes, on a
réussi à ne pas jeter à la poubelle les 1000 tonnes que constituaient notre parc et à refaire avec l'existant. On
a changé de PC à l'intérieur puisqu'il ne permettait plus d'exécuter, je dirais un client lourd / léger avec du
Javascript riche mais permettait tout à faire de répondre à l'ensemble des besoins sans avoir à changer la
carcasse et à mettre des milliers de tonnes de métal en recyclage.
Un autre exemple, on a des contrats de prestation dans le nuage. J'essaye de regarder que certains nombres
d'élements soient décrits sur la sobriété numérique, typiquement l'efficacité énergétique des data-center qu'on
appelle le PUE, pour vérifier qu'elle est dans des seuils admissibles, donc autour de 1,7. Ce n'est pas toujours
facile. L'Europe nous aide, parce qu'elle a signé un code de conduite des data-center mais ce sont des discussions
qui ne sont pas naturelles dans les négociations contractuelles. Et là en tant que gros responsable d'une partie
de la commande publique, puisque l'argent de la SNCF c'est l'argent du contribuable, et tout ce qu'on gagne est
rendu au contribuable, et bien c'est intéressant d'intégrer les critères énergétiques et environnementaux dans nos
appels d'offres.

Dans les précédents épisodes, on parlait que le développeur doit prendre ses responsabilités et par ses décisions
de conception, aller vers une application plus sobre, plus performante et économe en énergie. Mais est-ce qu'on
reporte pas la responsabilité, et un peu de culpabilité finalement sur le développeur. Alors que le décideur, le
manager ou le gérant de l'entreprise doivent également prendre leurs responsabilités ?

Je le redis, la culpabilité ne sert à rien. Il faut la remplacer par la notion de co-responsabilité. C'est à dire
que le développeur dans son coin a une part de la responsabilité : la performance opérationnelle de son site,
qu'il soit environnemental, énergétique et en temps de réponse. Est-ce que je sauvegarde une info en mémoire vive
ou est-ce que je la range quelque part pour la ressortir quand j'en ai besoin. Qu'est-ce que je peux mettre en
accessible pas au premier clic mais plus loin dès qu'on en a vraiment besoin. Il y a un certains nombres
d'arbitrages qu'on peut faire. Une partie de la réponse c'est questionner l'usage. Une deuxième partie de la
réponse c'est appliquer les bonnes pratiques. Pour les bonnes pratiques, je vous renvoie à un référentiel, les 115
bonnes pratiques de l'éco-conception logicielle qui est fait par des gens de GreenIT. C'est le plus souvent du bon
sens. Quand on regarde ce qui est effectivement fait, c'est très contrasté dans la réalité. Pour de bonnes
raisons. Quand on met une date limite pour sortir un site, si le site répond mais en seulement 4 secondes pour
afficher 300 commentaires alors qu'on a besoin des 10 premiers commentaires, le client sera plus content que si le
site est livré un mois plus tard avec des temps de réponse bien meilleure.
Il y a une injonction de produire qui fait que ce n'est pas toujours facile de mettre en place de l'optimisation
ou des bonnes pratiques d'éco-conception.
Sur l'usage, il faut réfléchir au besoin. On peut faire le logiciel qui fait tout mais à un moment donné il vaut
mieux faire un logiciel ou un site web qui s'adapte exactement au besoin.
On écoute le client pour voir de quoi il a besoin. Est-ce que ses articles doivent être conservés 3 ans ou 10 ans
? France-Culture par exemple conserve ses podcasts pendant 1000 jours. Cette règle a l'avantage de ne pas
encombrer des serveurs ad vitam eternam.

J'y réfléchirai aussi pour ce podcast.

J'ai discuté avec pas mal de développeurs qui souhaient changer leur quotidien et travailler pour des sociétés
plus éthiques et plus écologiques, sauf que ça ne court pas les rues. Je pense qu'il faut déjà au sein de nos
boites peu éthiques, peu sensibilisées à l'écologie ou à l'économie de ressources, de faire un travail de lobbying
en interne, de mettre en place des choses contraintes dans notre travail au quotidien. Essayer de faire changer
les choses en interne, qu'est-ce que tu en penses ?

Il y a deux questions selon moi : une première question c'est moi en tant que développeur si je dois m'investir
dans quelque chose qui est vertueux comment je peux faire ? Le message que j'ai envie de faire passer en toute
humilité, c'est formez-vous. Aujourd'hui c'est un domaine qui est petit et qui est en pleine expansion. Il y a
quelques sociétés qui sont spécialisées là dedans mais il y en a pas beaucoup. Apprenez des choses, allez faire
des formations auprès de ces sociétés.

Tu parlais du livre les 115 bonnes pratiques de l'éco-conception de GreenIT...

Oui et il en a d'autres mais je ne les ais pas en tête. En fait, plus on sera nombreux à se poser ces questions
là, plus le message sera entendu.

Encore faut-il que la formation soit acceptée par son entreprise !

Exactement. Ensuite si on est client, on peut tout à fait poser des questions lors de commandes à un prestataire.
On peut avoir des clauses contractuelles par exemple sur où sont hébergées les données.

Encore faut-il que la formation soit acceptée par son entreprise !

Exactement. Ensuite si on est client, on peut tout à fait poser des questions lors de commandes à un
prestataire. On peut avoir des clauses contractuelles par exemple où sont hébergées les données ? Au lieu
d'héberger nos données aux États-Unis, rapatrions les données dans un lieu plus proche pour limiter les accès à
l'autre bout de la planète. Dans ses activités, le professionnel dans le numérique doit se poser ce genre de
question quand il utilise des ressources informatiques.

Faut-il changer le système de l'intérieur ou de l'extérieur ? Cette question est mal posée selon moi. Mon
opinion personnelle est celle là : la démarche personnelle qui consiste à changer le système de l'intérieur est
essentielle. Pour faire sa part et pour comprendre la problématique sociétale dont il est question, il faut en
faire l'expérience soi-même. Est-ce que j'ai besoin d'une deuxième voiture ? Est-ce que pour Noël je vais
accepter que mon enfant ait des objets électroniques dont certains vont partir à la poubelle dans deux mois ?
Ais-je vraiment besoin d'un sèche-linge au lieu d'étendre le linge et attendre deux jours en hiver qu'il sèche ?
Il faut se poser la question dans son quotidien. C'est la démarche individuelle.

Concernant la démarche collective, j'ai tendance à penser que si on travaille dans un grand groupe qui n'a aucun
intérêt à toucher au business, tant qu'il rapporte et tant qu'il n'y a pas de contraintes réglementaires ou
financières... Il y a deux types de contraintes : soit il y a des contraintes réglementaires qui vous oblige
à..., soit il y a des contraintes financières d'accès à la ressource. Si vous voulez toucher au business, de
l'intérieur c'est très difficile. Apple dont le business est vous vendre du matériel, dont le coût de
construction est de 200€ et le prix de vente est de 750€ d'un iPhone moyen, n'a aucun intérêt à vendre moins de
terminaux. Leur business est en contraction directe avec la sobriété. Vous allez vous retrouver en conflit de
valeur au quotidien et votre employeur va vous dire "oui c'est très bien mais fais ça dans ton coin, ça concerne
pas l'entreprise".

Encore une fois, je ne parle pas au nom de la SNCF, au sein de laquelle de choses très intéressantes se font. Et
puis je ne veux pas stigmatiser Apple, c'est un problème sociétale. Mais si vous touchez au business, c'est
difficile et vous allez vous épuisez.

Donc proposition, c'est un vrai champ d'exploration : l'agilité est à la mode, le numérique est à la mode, il y
a probablement des boites à monter, des agences web éthique c'est à dire qui vont réfléchir en questionnant
l'usage et d'être au plus près des besoins, d'avoir un label "éco-conçu" et rendre par la même occasion un
service à la planète. Ou trouver des moyens pour réduire les flux et en besoin de ressources. Il y a tout un
éco-système à créer.

Et le sabotage entre guillemet ? Je discutais avec un développeur qui dit qu'il y a pénurie de développeuses et
de développeurs et si on pénalise les entreprises qui ne veulent pas faire d'effort en les quittant et en ne
travaillant pas pour elles ?

Les étudiants d'écoles d'ingénieur viennent de rédiger un manifeste qui dit que si vous êtes une entreprise
qui n'entends pas ce message écologique et bien je n'ai pas envie de travailler pour vous. C'est un choix
fort, individuel et c'est un message. Pour moi la force de ce message vient du collectif. Oui à titre
individuel, vous pouvez quitter une entreprise, quelqu'un finira par prendre votre place. Actuellement il y a
une tension sur le marché de l'informatique. Cette tension va se résorber tôt ou tard. Il ne faut pas
s'appuyer là dessus. Il faut se dire comment on se positionne collectivement pour faire émerger la prise de
conscience.

Pour finir, quelle sera ta prochaine actualité avec le Shift Project ?

Avec le Shift, on prépare la suite du rapport. Cela n'a pas encore tout à fait démarrer. C'est en gestation et
on a envie d'avancer. Le rapport sur la Sobriété numérique a eu énormément d'impact. Les chiffres sont repris.
On reçoit des questions. C'est super intéressant. Le sujet prend. Il y aura probablement soit des publications
ponctuelles, soit une version 2 pour traiter des sujets qu'on n'a pas eut le temps de creuser. J'aime aussi de
temps en temps faire des analyses plus ciblées. Je vais m'intéresser à la 5G en 2019. Parce que la 5G c'est de
nouveau la promesse qu'on va résoudre tout nos problèmes. Et en fait quand on creuse, ce n'est absolument pas
évident.

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