Enjeux environnementaux des sujets émergents

Épisode 72 publié le 10/01/2023

Adélaïde Albouy-Kissi

Adélaïde Albouy-Kissi

Adélaïde Albouy-Kissi est cheffe du Département Informatique Graphique de l'IUT du Puy en Velay de l'Université Clermont Auvergne. Elle est aussi chargée de la Prospective et Sujets Émergents à l'Institut du Numérique Responsable France.

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Extrait

L'IA n'est pas la solution de tous les problèmes et peut-être avoir une approche un peu plus distanciée sur ce type d'outil.

Introduction

Bonjour à toutes et tous. Richard Hanna, pour le podcast Techologie. Nous sommes en compagnie d'Adélaïde Albouy-Kissi. Tu es cheffe du département informatique graphique de l'IUT du Puy-en-Velay de l'Université Clermont-Auvergne. Tu es aussi chargée de prospectives et sujets émergents à l'Institut du Numérique Responsable.

Est-ce que tu veux compléter cette présentation et peut-être nous parler ce que c'est l'informatique graphique?

Je me positionne comme une intellectuelle organique, dans la définition de Gramsci, c'est-à-dire que je modélise tout un tas choses. On en parlera tout à l'heure, mais je travaille aussi de manière concrète dans des lieux avec les gens, et je fais beaucoup d'expérimentations. C'est important pour moi de travailler en proximité. Et donc dans ce cadre-là, j'ai une activité académique, lié à mon statut de maître de conférences en informatique appliquée.

Je travaille aussi en tant qu'expert auprès de la commission européenne sur les questions d'innovation et à l'INR, l'Institut du Numérique Responsable où je vais m'intéresser aux sujets émergents comme l'industrie, produire local, la question des tiers-lieux, aussi la question des communs associés au tiers-lieu, l'IA et l'inclusion numérique.

Et effectivement, je suis aussi cheffe d'un département qui existe depuis vingt-cinq ans, en Haute-Loire, en Auvergne-Rhône-Alpes et on forme des étudiants à la production numérique 3D temps réel dans divers domaines : réalité virtuelle, réalité augmentée, etc.

C'est un vaste sujet. Mais on va essayer d'explorer un peu tous ces sujets. Qu'est-ce qu'est-ce qui t'a amené à travailler sur les enjeux environnementaux du numérique?

C'est d'abord une prise de de conscience au travers de différentes lectures et aussi un travail pratique, en fait. En 2015, j'ai créé un tiers-lieu dans l'université dans laquelle je travaille, et très rapidement s'est posée la question du produire local, la question des dépendances, la question de l'impact environnemental. Dans un premier temps, il était industriel et très rapidement, est arrivé la question aussi de l'immatériel au travers de la production numérique. Donc j'ai suivi, j'ai intégré l'INR et j'ai commencé à m'investir dans différents groupes de travail.

Et aujourd'hui, en fait, je navigue entre deux eaux, je continue à travailler à l'INR sur les questions de d'impact environnemenral du numérique pour le developpement logiciel, centré sur l'IA notamment. Et au sein de mon propre département, je forme les étudiants à l'informatique graphique et aussi à
l'écoconception

Tu parlais de lecture. Quel genre de lectures t'ont ouvert les yeux ?

Des lectures académiques, typiquement, le dernier livre, d'un chercheur australien qui parle du jeu vidéo au travers du changement climatique. En fait, ça a été très compliqué pour nous dans le secteur de la 3D temps réel et du jeu vidéo de l'informatique graphique de s'y mettre, parce que on a été très longtemps bercé par tout un tas de travaux de sciences de l'éducation où on pouvait changer un monde au travers du jeu.

J'ai travaillé longtemps en fait, sur les mécaniques de jeu, les schémas de gamification qui permettent d'apprendre différemment, en tout cas d'utiliser des ressorts ludiques pour que des compétences difficiles à avoir dans un cadre classique puissent être transmises dans un cadre 3D plus sympathique, avec des personnages. Et puis très rapidement, en fait, en lisant des rapports académiques, en échangeant, en rentrant à l'INR, je me suis posé la question de comment, aujourd'hui, on peut travailler avec les étudiants et aussi l'équipe enseignante, qui m'entourent cette question des pratiques écologiques à la fois dans le développement logiciel classique, qu'est le web et le mobile, mais aussi la 3D temps réel, et on en est qu'à ses balbutiements.

Et donc les lectures que j'ai eu. J'ai lu le livre de Vincent Courboulay, j'ai lu les différents rapports ministériels. J'ai échangé avec pas mal de collègues et j'ai sauté dans le bain.

Est-ce que toi aussi tu as baigné à l'époque avec Adibou, avec ces personnages 3D...

Exactement, en fait, pour la petite histoire, en 2015, au Puy-en-Velay, on travaillait avec une entreprise qui s'appelle Maskott, sur une plateforme qui s'appelle Tactileo, et on avait développé un jeu qui a eu plusieurs prix sur l'apprentissage de la programmation orientée objet par le graphisme, le jeu étant toujours en ligne, d'ailleurs.

Notre idée, c'était d'utiliser la 3D temps-réel pour apprendre mieux, parce que c'était fun, parce qu'il y avait différents supports ludiques. Donc il y avait effectivement Adibou, après il y avait des extensions. Après est arrivée l'avalanche de périphériques comme les tablettes, les TBI, les tableaux blancs interactifs dans les écoles... Nous avons continué à développer des ressources pédagogiques pour les enseignants, et puis, à un moment donné, je dirais qu'on a passé le cap de l'ivresse et on a pris un peu de distance. Les projets se sont terminés, on conclut. On fait des rapports conclusifs et on se dit : à côté de quoi on est passé. C'est à partir de là que la réflexion a été lancée.

Dans un épisode qu'on a réalisé avec Philippe Bihouix on a beaucoup parler de numérique à l'école. Justement lui, sa position. C'est vraiment de dé-numériser, ou l'utiliser vraiment avec parcimonie. Il parle de techno-discernement. Quel est ton avis, peut-être personnel : faut-il plus de numérique à l'école et comment ? Comment faire du numérique à l'école ? Comment bien faire du numérique à l'école ?

La question du numérique à l'école, elle se pose de différentes façons. Le premier levier est l'apprentissage des bases de la programmation, à l'école, dès le plus jeune âge. On a fait des expérimentations avec ce qu'on appelle les INSPÉ, c'est-à-dire, les instituts supérieurs de pédagogie qui sont des structures universitaires qui forment les professeurs des écoles.

Donc, on a fait des expérimentations avec ces futurs enseignants en classe, pas en classe, en mode débranché, en mode branché. Après trois ans d'expérimentation, je retiens en tout cas sur ce premier pan, qui est l'apprentissage des fondamentaux de l'algorithmique à l'école, le faire en mode débranché, il y a énormément d'outils qui existent, qui fonctionnent, dès la fin de la classe maternelle. Et effectivement, je pense que l'usage, de périphériques numériques dès le plus jeune âge, à mon avis, n'apporte pas de plus-value, en tout cas au travers de nos expérimentations.

Après, on a vu arriver aussi à de plus en plus tôt, des élèves, des apprenants avec des smartphones. On voit que le premier smartphone pour l'élève était au collège il y a quelques années. Maintenant, ça descend, même en début de cycle trois, le CM1 à peu près.

Donc, là, on expérimente, en région Auvergne-Rhône-Alpes, comment on peut apprendre à l'enfant des écogestes numériques. Comment, en fait, il peut être aligné, j'ai envie de dire, sur un zéro-déchet qu'il a dans le monde matériel et sa vie immatérielle. Et là, ce qu'on a remarqué dans le collège que j'accompagne dont je suis marraine, c'est qu'il faut former les enfants, mais il faut aussi former les profs, il faut aussi former les parents. En fait, il y a trois temps qui arrivent de manière presque similaire. Donc, ça demande pas mal de travail.

Ce que je remarque, c'est que, à tous les niveaux, les jeunes ont envie, ils sont prêts. Par contre, on manque de ressources pédagogiques par rapport à ça et il faut qu'il y ait plus expérimentations. On est en train d'en créer, par exemple, créer des jeux de cartes sur les pratiques numériques. On utilise des outils, des plugins pour montrer l'impact du visionnage d'une vidéo en streaming. On y va, évidemment, petit à petit. On fait la fresque du numérique, la version junior au collège. Et on voit, ça prend, par les parents, par les enfants et parler les enseignants, mais que, pour le moment, en fait, tout est à construire.

On parlait de sujets émergents sur lesquels tu travailles ou tu prospectes, au sein de deux l'INR, l'Institut du Numérique Responsable, notamment l'intelligence artificielle. Est-ce que c'est plutôt l'intelligence artificielle, comme une arme, un outil face au changement climatique, ou est-ce que c'est plutôt l'empreinte de l'IA ?

Il y a deux niveaux sur l'intelligence artificielle. Moi à titre de recherche, je travaille sur comment l'intelligence artificielle peut caractériser ce qu'on appelle les territoires de subsistance, un concept qui a été développé par le philosophe qui a récemment disparu, Bruno Latour. L'idée, c'est qu'un territoire, c'est une cartographie administrative. Fait territoire tout ce qu'on peut localiser sur une carte et qu'on entoure par un trait. Et nous, on va étendre cette définition à quelque chose d'un peu plus étiologique, et on va regarder ce dont on dépend, au travers des données. C'est plutôt de l'IA for green. Il y un groupe de travail qui est porté à l'INR par Fabien Abrickh sur cette question, notamment, des critères d'une IA responsable auxquels je contribue.

Et d'un point de vue pratique, on se pose aussi la question, au travers de ces territoires de subsistance, comment on peut prototyper des nouvelles usines, des usines qui seraient plus petites, qui seraient plus agiles, dans des scénarios en matière de contraction énergétique et de contraction de ressources liée à l'anthropocène et on fait des expérimentations de terrain, en dehors de l'INR, avec la Banque des Territoires.

Au sein de l'INR, l'idée est de faire remonter toutes ces expérimentations et d'aller aussi chercher des industriels. Aujourd'hui, on parle de digitalisation de l'industrie, mais qu'est-ce que c'est qu'une digitalisation responsable ? Cela va être un vrai sujet. Et comment on peut définir des critères pour, justement, concrétiser cette industrie 5.0 et ou en tout cas le concept

Parmi les sujets émergents, est-ce que tu travailles aussi sur les métavers ? Tu nous as parlé de tout ce qui est réalité virtuelle, réalité augmentée. Métavers, est-ce que ça a un sens ? Popularisé, par Zuckerberg, donc par Méta, par Facebook dans un but purement commercial et finalement, il en ressort pas grand-chose. D'ailleurs, on a l'impression que c'est en train de plonger. Quelle est en ton avis à ce sujet ?

Cela fait partie des sujets sur lesquels je travaille au sein de l'INR. Ce qu'on peut dire, c'est qu'aujourd'hui, technologiquement, on a une représentation des métavers qui n'est pas en adéquation avec, en tout cas, le concept comme il est présenté. La deuxième chose, c'est que si on est factuel sur le nombre de personnes qui se sont inscrits et qui y évoluent, on peut dire que, dans le métavers, il n'y a personne. En tout cas, il y a moins de monde que ce qui était prévu. La troisième chose, c'est que l'impact environnemental du métavers doit dans un avenir assez proche, être évalué ou être estimé, parce que il y a des enjeux de positionnement.

Derrière l'histoire du métavers, c'est même l'informatique graphique, initialement, qu'il faudrait aussi mesurer l'impact. Il y a des travaux d'un chercheur australien dont le nom, ne me revient pas, je vais me rappeler de son nom en discutant, en discutant avec toi. En tout cas, ce qu'il dit à la dernière grande conférence internationale du jeu vidéo, c'est que l'impact environnemental du développement de jeux vidéo, c'est l'équivalent de l'empreinte de pays de pays tel que le Bangladesh et que là la consommation d'électricité cumulée, sur toute la durée de vie de consoles de jeux, c'est l'équivalent de cinq millions de voitures. Donc déjà, on en est, sur la partie graphique, en tout cas, à ces premiers chiffres qui datent de juillet 2022.

Donc, il y a tout un pan encore de recherche, d'analyses à faire, sur le jeu vidéo, l'impact de l'informatique graphique et, par extension, en fait le métavers.

Mais au-delà de des impacts environnementaux, c'est quelle utilité du métavers, et globalement, peut-être même des jeux vidéo, malheureusement, dans un monde contraint. Est-ce qu'il va falloir faire des choix ?

Il va falloir faire des choix au niveau du jeu vidéo. Il va falloir peut-être aussi se poser la question du photoréalisme. On a atteint aujourd'hui un niveau de photoréalisme possible, mais qui n'est pas forcément perceptible par l'œil humain. On a la question des cartes graphiques, on a la question, effectivement, du sens lié à tout ça. On a la question aussi, j'ai des modalités de jeux vidéo : faut-il être forcément en mode synchrone ? Est-ce qu'on peut pas revenir à des modes asynchrone qui ont un impact réel sur les consommations électriques. Est-ce que tout doit être virtualisé ? Est-ce qu'on peut pas être aussi, sur des interfaces homme-machine un peu plus low-tech, à proposer des environnements peut-être de réalité alternée ? Oui, effectivement, il y a toutes ces questions-là qui aujourd'hui s'ouvrent et sur lesquels la recherche académique commence à se pencher.

Et l'utilité sociale, elle doit aussi se voir en miroir avec les problématiques médicales qui sont liés notamment aux addictions aux jeux vidéo notamment. Et aussi aux problèmes qu'on peut rencontrer, lié à des usages persistant de casques notamment de réalité virtuelle dont on sait qu'ils sont un impact réel aussi sur la santé.

Toi, tu passes combien de temps par jour avec un casque virtuel ?

Je dirais plutôt que je passe du temps et ce temps-là, lui, plutôt par mois. En fait, ce n'est que quelques heures, parce que dans la création d'environnements virtuels avec des moteurs de jeu type Unity ou Unreal, il y a tout un travail de fait d'abord sur PC avant d'arriver en environnement avec un casque. En fait, on travaille le casque, mais en fait en fin, comment dire, quand on a avancé dans la réalisation de l'environnement. Sur l'année universitaire, combien d'heures que je passe dans un casque virtuel, c'est quelques heures.

Quand tu parles à tes étudiants des impacts environnementaux, surtout ceux qui, j'imagine, sont dans le jeu vidéo, la réalité virtuelle, est-ce qu'ils comprennent ces enjeux ou est-ce que ils sont vraiment détachés, plutôt techno solutionnisme, etc. ?

Les étudiants aujourd'hui, ils me demandent un alignement. Donc, ils sont très demandeurs en fait, de lectures. Pas plus tard que la semaine dernière, on a discuté avec Jean-Baptiste qui gère des datacenters pour le jeu vidéo. On a travaillé sur cette question : est-ce qu'on peut mêler écologie et jeux vidéo ?

Ce qu'on voit au niveau universitaire, c'est qu'il y a dix ans, il n'y avait pas de temps universitaire sur la présentation des impacts environnementaux, des accords de paris. Il n'y avait pas de ressources. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de ressources qui sont disponibles et même du temps, en fait, qui est alloué. La question maintenant qu'il faut se poser c'est la question sectorielle. Comment, en fait, dans mon secteur d'activité que je vise à la fin de mes études. Par exemple, pour mes étudiants, c'est travailler dans la modélisation 3D ou d'une manière générale, le jeu vidéo, comment je peux aligner en gros mon activité professionnelle et mes convictions écologiques. Cela passe par trois temps : un premier temps en première année, où on va leur présenter, de manière générale, les différents enjeux. Dans un deuxième temps où ils vont développer des scénarios et dans un troisième temps où on va leur expliquer ce qui est possible de faire en écoconception de services numériques. Et aujourd'hui, il y a pas mal de ressources sur la question de l'écoconception de services numériques pour le web ou pour le mobile. L'enjeu maintenant pour nous, c'est de créer un socle de connaissances sur la 3D temps réel et tout le secteur associé.

Et pour qui travailler j'imagine, pour quoi travailler, si on est dans le jeu vidéo. Tu as des exemples de jeux vidéo qui parle de transition écologique ou de climat ? J'avais lu des articles sur le Monde, mais peut-être as-tu des exemples de jeux vidéo ?

Je n'ai pas d'exemples qui me viennent en tête, mais effectivement il y a en fait, pleins de jeux vidéo qui proposent des narrations dans des univers virtualisés ou pas, qui vont être en lien avec des objectifs climatiques. L'idée derrière, c'est si j'ai une expérience, parce que c'est vraiment l'inexpérience de jeux vidéo qui va me sensibiliser à ces enjeux, peut être que dans la vie réelle, je vais pouvoir, changer les comportements.

L'enjeu aujourd'hui, à mon sens, dans la narration du jeu vidéo, pouvoir créer un jeu vidéo qui, dans sa narration, intègre des objectifs écologiques, mais qui lui-même dans son développement soit éco-conçu et responsable. Pour moi il faut les deux. On a travaillé la narration et puis il y a même des chercheurs qui travaillent, en gros, la question des épopées. Dans l'histoire du jeu, il y a eu énormément d'épopées qui ont été proposées et est-ce qu'on ne pourrait pas proposer des nouvelles épopées, qui sont en lien avec la crise écologique que l'on vit aujourd'hui.

Il faudrait lier les deux. Et moi, ce que je peux dire, c'est que les entreprises seront prêtes, les étudiants sont prêts, les enseignants sont prêts. Il faut maintenant qu'on crée la ressource. Tout est à créer et c'est ça qui est passionnant je trouve.

Mais est-ce que ça va attirer les consommateurs, les gamers ?

J'aurais tendance à dire qu'il faut le tenter pour savoir, il faut que l'offre soit disponible pour pouvoir savoir. Ce que je peux dire par rapport aux gamers que je côtoie tous les jours, c'est qu'ils ont envie. En tout cas, certains ont envie, d'autres, effectivement, passent à côté, mais la majorité ont envie.

Et encore faut-il aller au delà de trier les déchets, etc. Quand je vois à l'école en primaire, les enjeux écologiques, c'est souvent résumé à trier les déchets, aller faire des "Run éco", c'est-à-dire courir et ramasser des déchets autour de l'école. C'est un premier pas pour sensibiliser, mais largement insuffisant.

Et après, il y a les tiers-lieux qui me semblent intéressant.

Oui, dis-nous plus sur les tiers-lieux. Qu'est-ce que vous y faites ?

J'ai créé un tiers-lieu en 2015 que j'ai dirigé pendant cinq ans. C'est un FabLab, un laboratoire de fabrication numérique. Et là, j'ai découvert l'environnement des tiers-lieux, où j'ai découvert la dynamique des tiers-lieux.

Aujourd'hui, quand on parle de numérique responsable, on parle beaucoup de développement informatique, on parle beaucoup de DEEE (Déchets d'équipements électriques et électroniques) et on oublie un peu les tiers-lieux. Ce sont des espaces qui sont à la frontière entre le travail et le domicile où on vient dans le cadre des FabLab, fabriquer avec les gens. Et c'est ça qui est intéressant, c'est fabriquer des choses avec les gens, faire ensemble. Et faire ensemble, ça dit des choses aussi sur les territoires.

En 2018, j'ai travaillé sur le concept FabCity, un modèle alternatif d'innovation sociale qui fait le pari d'associer les citoyens à la production locale par les FabLab qui sont les tiers-lieux de fabrication numérique de proximité. Là, j'ai découvert comment au travers de l'impression 3D, comme on pouvait créer des communs, comment on pouvait participer à individuer des personnes qui étaient éloignées du numérique, comment on pouvait les remettre dans le dispositif, comment aussi on pouvait, par "le faire"... Parce que dans dans l'immatériel, sur les réseaux, on a une puissance symbolique et celle-ci est dans un environnement immatériel. Et comme on peut la connecter à la vie réelle, de manière active, en faisant des choses dont les citoyens, en positionnant le citoyen dans une démarche de participation et même de contribution au territoire.

Je vais donner un exemple concret. On a expérimenté, avec mon collègue et ami Pascal Desfarges, comment les citoyens, au travers de tiers-lieu, à Saint-Etienne, pouvaient fabriquer des équipements publics. L'histoire, c'est que dans le quartier sud-est de Saint-Etienne, il y a eu un théâtre qui a été brûlé, on a fait différents ateliers, tous les deux, et on a, au travers de ces ateliers, les citoyens ont exprimé ce qu'ils voulaient voir sur leur territoire, dans l'espace public, les équipements publics. Ils ont prototyper des mobiliers urbains. Dans les atelier, on a révélé les attentes et les besoins des citoyens, on a co-construit un cahier des charges de mobiliers urbains. Et une fois qu'on a co-construit ce cahier des charges mobiliers urbains, avec les citoyens, on est allé dans un FabLab pour le prototyper, à échelle maquette. Puis, le prototyper, en vrai, avec les citoyens. Et une fois qu'on l'a prototyper en fait, on l'a mis sur une plateforme. Le modèle numérique de l'équipement public, s'est retrouvé sur une plateforme et est devenu un commun. Et l'idée, c'est qu'il puisse être réutilisé par un autre territoire, par exemple, qui se trouve à l'autre bout du monde, en Amérique latine, où ils ont aussi envie de développer un équipement public, ils vont récupérer les plans et, évidemment, ils vont les adapter avec les matériaux locaux.

Au travers du FabLab, on a fait participer les citoyens, les élus aussi ont participé, on a prototyper et aujourd'hui, en fait, ces plans sont en phase 2, c'est-à-dire que des usines de proximité, sont en train de s'approprier les plans pour créer et donner vie à ces équipements, sur les territoires. Comme ça, on crée une boucle locale d'équipement public avec des citoyens, des designers locaux et des usines locales, au travers des tiers-lieux.

Et tu disais que vous publiez les plans en open-source, j'imagine. Et comment vous vous assurez de la "découvrabilité", il y a une plateforme mondiale pour partager des idées, des codes sources

Oui sur une plateforme mondiale pour, pour partager les codes sources et celle-ci est associée à tous les territoires qui ont un, qui se sont engagés dans cette démarche FabCity, qui, en gros, veut dire produire localement avec les acteurs du territoire et partager cette intelligence de production locale au travers des datas qui sont à mises en commun au travers d'une plateforme.

Tu fais beaucoup de choses.

J'ai des journées passionnantes.

Je vois ça. On arrive un peu à la fin. J'ai une dernière question, mais avant ça, est-ce que tu as un ou des sujets que tu souhaiterais aborder qu'on n'aurait pas abordé précédemment ?

Non, pas pas vraiment. J'avais vraiment envie de partager le fait que les tiers-lieux aussi sont des acteurs qui, à mon sens, demain, doivent intégrer la dynamique de l'écosystème Numérique responsable. Et ça me tenait beaucoup à cœur de pouvoir le partager avec toi. On a parlé aussi de la 3D temps réel, du métavers. Pour faire simple, ma mission à l'INR, c'est se dire comment toutes ces dynamiques autour du numérique responsable, on peut la déployer, mais dans d'autres domaines.

Par rapport à cette question de tiers-lieu, est-ce que tu penses qu'on pourrait avoir quelque chose d'assez hybride, dans une ferme, avec du maraîchage et d'avoir, à côté, du low-tech, des outils. Il y a L'Atelier paysan qui fait ça d'ailleurs.

Exactement, il y a énormément de tiers-lieu, où ces dynamiques sont conduites, je pense, par exemple à l'Hermitage qui est en région Hauts-de-France qui est aussi sur ce modèle agricole. Les tiers-lieux travaillent aussi sur la question de la fabrication distribuée. Pour faire simple, qu'est ce que c'est ? C'est en gros ce qu'on a vécu pendant le confinement, c'est-à-dire, la possibilité de mettre en commun des capacités de production qu'ont les tiers-lieux pour produire à grande échelle.

Et puis, dans les tiers-lieux, ce que j'imagine demain, c'est tout cet accompagnement de proximité pour les citoyens sur cette thématique du numérique responsable. Les tiers-lieux le font de manière informelle. On a des conseillers numériques, énormément de tiers-lieux qui font déjà du conseil numérique responsable auprès du citoyen. Cela me semble hyper important, demain de soutenir ce genre d'initiative.

Comment tu vois le monde dans dix ans ? Et le numérique, qu'est-ce qu'il peut apporter dans dix ans ?

Je suis partagé. Des fois, je me demande l'informatique existera toujours dans vingt ans. Ou en tout cas, lorsque j'échange avec avec mon collègue de l'ESC Clermont, est-ce qu'on doit pas aussi, dans notre secteur, renoncer à un certain nombre de choses. Je ne suis pas très optimiste, j'avoue, sur le secteur, mais je vois des signaux faibles en local. Je vois des signaux faibles au travers des entreprises et j'ai envie de dire peut-être que demain l'informatique que j'ai connu quand j'étais étudiante, elle sera enseignée autrement, j'espère.
Qu'elle s'intègrera de manière plus systémique. Cela commence déjà, on sort un peu d'une phase de techno-solutionnisme, et ça, ça me plaît bien. Je ne suis pas très vieille, mais je pense que la nouvelle génération d'enseignants et d'étudiants qui arrive, est en train de faire bouger les lignes. Ça aussi qui me motive.

Cela pique un peu ma curiosité. Tu en dis beaucoup, mais pas assez. Tu parles de signaux faibles. Quels sont ces signaux faibles ? Tu parles du rejet du techno-solutionnisme. Et tu parlais des choses qu'on devrait peut-être abandonner, par exemple ?

Par exemple, sur l'IA : l'IA n'est pas la solution de tous les problèmes et peut-être avoir une approche un peu plus distanciée sur ce type d'outil. C'est pas simple. Ce que je peux voir dans les tiers-lieux, dans l'expérience que j'ai depuis maintenant 7 ans, c'est qu'on se pose d'abord les questions éthiques et environnementales avant de faire. Il faut se les poser et pas aller de but en blanc, vers une production numérique, parce que c'est cool. Cela ne suffit plus. C'est ça que je trouve intéressant.

Cela fait une belle conclusion. Merci beaucoup, Adélaïde de nous avoir partagé quelques uns de tes projets ou en tout cas, ce que tu enseignes. Ça fait beaucoup de choses. Et puis tu reviens quand tu veux, n'hésite pas.

J'aimerais bien, justement, échanger avec toi un de ses quatre, te faire partager des expériences de tiers-lieux innovantes. J'ai eu la chance d'accompagner la Convention Citoyenne pour le Climat dans leur tournée des tiers-lieux. Et c'est fou le nombre d'expérimentations locales qu'on a sur le territoire et d'acteurs que j'adorais te présenter, pour les mettre en lumière sur ton podcast.

Pourquoi pas? peut-être que le podcast deviendra itinérant. Appel aux financeurs publics ! Merci beaucoup, et puis je te dis à bientôt

à bientôt !