Pour un manifeste écologique des professionnels de l'informatique

Épisode 6 publié le 12/02/2019

Jean-François Fourmond

Jean-François Fourmond

Jean-François Fourmond est développeur Java indépendant. Il souhaite s'engager pour limiter le réchauffement climatique en lançant un manifeste dédié aux professionnels de l'informatique. Il a besoin d'aide pour finaliser ce manifeste et communiquer.

Écouter

En écoutant cet épisode, vous téléchargerez 12 Mo de données.

Évènement à ne pas manquer

La réalité minière du numérique, Rencontre avec Celia Izoard le 4 mai 2024 à Paris, organisée par Point de MIR et animée par Techologie. Infos et inscription

Pour participer au manifeste, rendez-vous ici : github.com/climanifeste/climanifeste

Transcript

Écrit par Jean-François lui-même (mille mercis !)

Jean-François Fourmond tu es développeur Java depuis 2005 et indépendant depuis 2015.
Depuis quand tu t'intéresses à l'écologie et au réchauffement climatique ?

Depuis longtemps. Je m'intéresse à l'écologie depuis que je suis adulte. C'est un intérêt qui était un peu
lointain au début mais qui accélère ces dernières années, ces derniers mois. Qui accélère un peu au même rythme que
le rythme du réchauffement climatique ou celui de la disparition de la biodiversité. C'est à dire que plus le temps
passe et plus ça accélère vite. Donc voilà, aujourd'hui, j'ai envie d'agir.

Et tu m'as dit que tu adhérais à des associations ?

Oui, je suis adhérent passif de divers associations écologiques, c'est à dire que je suis donateur, mais je ne
suis pas impliqué activement dans ces assos.

Tu m'as contacté en me parlant de ton projet de créer un manifeste des professionnels de l'informatique pour
limiter le réchauffement climatique. On a vu récemment le manifeste des étudiants pour un réveil écologique. On a vu
la pétition L'Affaire du Siècle qui a fait 2 millions de signataires. Et dernièrement aussi, celle de l'association
Fing pour réinventer le numérique. Tu peux nous dire en quoi consiste le manifeste que tu proposerais ?

Oui, tout ça, ça donne des idées. Quand on voit qu'il y a 2 millions de signatures pour L'Affaire du Siècle, on a
l'impression que le sujet, ça y est, intéresse le plus grand nombre. Mais concrètement, dans ma vie de tous les
jours, j'ai l'impression que tout le monde s'en fout toujours, donc le but de mon manifeste est d'aller essayer de
toucher les derniers résistants, les dernières personnes qui ne seraient pas encore convaincues de l'urgence de se
battre contre le réchauffement climatique. Et moi en tant qu'informaticien, je m'adresse aux informaticiens. C'est
eux que je vais essayer d'aller convaincre.

Informaticiens mais pas que ? Tu m'as parlé d'à peu près tous les métiers de l'informatique ?

Oui, quand je dis informaticien, c'est au sens large. Ce n'est pas seulement les techniciens, c'est les dev, les
ops, les testeurs mais aussi les PO, les graphistes... tous les métiers de l'informatique au sens large.

Et qu'est-ce qu'il dit ce manifeste, grosso modo ?

Le manifeste dit qu'on a une chance incroyable en tant qu'informaticiens, par rapport aux gens qui font d'autres
boulots, c'est qu'on a l'embarras du choix pour choisir pour qui on veut travailler. On est en position de force sur
le marché. A priori, ça va continuer encore pour quelques années et donc ma position, c'est qu'on devrait utiliser
nos forces au service d'entreprises qui ne contribuent pas directement au réchauffement climatique. Et il se trouve
que j'ai une liste d'entreprises qui contribuent au réchauffement climatique ! Ce n'est pas moi qui l'ai créée, mais
comme je suis adhérent aux Amis de la Terre, je vois leurs rapports qui épinglent fréquemment les grandes
entreprises qui se donnent une image verte et qui derrière financent des projets de centrales de charbon, de sables
bitumineux ou de gaz de schiste. Et je trouve que c'est dommage - puisqu'on a le choix de l'entreprise pour qui on
veut travailler - de travailler pour ces entreprises-là. Et donc j'appelle les gens à réfléchir et à prendre
conscience qu'ils peuvent avoir un impact en choisissant mieux leur employeur.

Grosso modo, tu appelles au boycott, non pas au boycott des produits fournis par ces entreprises-là, mais un
boycott au niveau professionnel. De ne pas répondre aux offres d'emploi, ou de quitter carrément ces entreprises-là.

Je n'appelle pas au boycott, directement...

Tu appelles à la prise de conscience...

J'aimerais que les gens réfléchissent, en fait, aux impacts que leur entreprise a. De toute façon, il est clair
que pas grand monde ne va démissionner suite à la lecture de mon manifeste. Le but, c'est plus que les gens
réfléchissent, qu'ils prennent conscience du problème, parce que c'est vraiment grave.

Et est-ce qu'un changement en interne est possible ? Si tu es déjà en poste, est-ce que tu peux agir en interne
pour réduire ou essayer de limiter la consommation d'énergie, l'utilisation des ressources, le renouvellement du
parc informatique ? Pour toi, c'est inutile, c'est vain ?

Ah non ! Pour moi ce n'est pas inutile, c'est juste que ce n'est pas l'angle d'attaque que j'ai choisi pour lutter
contre le réchauffement climatique. Ça fait longtemps que je ne crois plus qu'une solution est meilleure qu'une
autre pour l'écologie. Je pense qu'il faut s'impliquer absolument à tous les niveaux, que ce soit personnel,
collectif dans les entreprises, au niveau des collectivités ou de l'état. Il faut agir à tous les niveaux, donc s'il
y a des gens qui ont envie d'agir dans la sobriété numérique dans leur métier, je les encourage à le faire. Il faut
prendre le problème par cet angle-là, mais j'ai aussi un angle d'attaque que je préfère porter.

Et il n'y a pas une forme de méconnaissance, justement, de ces problématiques-là ? Qu'est-ce qu'on peut faire pour
agir au final ? Nous développeurs ou designers ou même DevOps, qu'est-ce qu'on peut faire au quotidien ? On ne sait
pas vraiment. Donc il y a un problème de formation. Peut-être que le manifeste va aider à donner conscience à ce que
les gens se forment à ses problématiques-là ?

Qu'est-ce qu'on peut faire ? Je pense que l'impact le plus important qu'un développeur puisse avoir, c'est côté
front. Parce que les pages web sont énormes. Un site web aujourd'hui pèse autant que les programmes qui ont servi
à aller sur la Lune, c'est un peu délirant. C'est là qu'il y a le plus de marge de manœuvre je pense. Moi je suis
développeur back-end. J'ai quand même un peu de mal à voir comment je pourrais optimiser l'efficacité énergétique de
mes serveurs... enfin si, je vois mais c'est quelque chose qui est pour moi un peu dérisoire. Mais c'est nécessaire
de penser à la sobriété numérique. Quand on sait que la croissance du secteur est de 9% par an, il est clair que ça
ne pourra pas continuer comme ça indéfiniment. La croissance est énorme... J'ai lu il n'y a pas longtemps que lutter
contre le réchauffement climatique, c'était un peu comme courir après un bus en marche. On a beau faire des efforts,
la distance se creuse... Lutter contre la consommation exponentielle de ressources dans le numérique, ce n'est pas
pour moi courir après un bus en marche mais quasiment après un avion au décollage... Donc c'est toujours un combat
qu'il faudra mener mais ce n'est pas celui que j'ai envie de poursuivre, parce que je sens que je vais m'épuiser
là-dedans. Et je suis prestataire ; les entreprises ne me prennent pas pour parler d'écologie ou de sobriété mais
pour développer des fonctionnalités. Je peux essayer de les sensibiliser au sujet mais ce n'est pas pour ça que je
suis là.

Et toi, à ton niveau quotidien, qu'est-ce que tu fais et qu'est-ce que tu ne fais pas ?

Je fais plein de gestes écolo. On me demandait souvent "Mais qu'est-ce qu'on peut faire" et j'avais un peu
toujours les mêmes gestes un peu basiques qui me revenaient en tête spontanément. Du coup, je me suis mis à écrire
la liste des gestes écolos que je faisais parce que je me disais "Mince, quand même, je fais plein de choses et je
suis incapable de le restituer quand on me le demande". Donc j'ai commencé à les noter. Quand j'en ai eu pas mal, je
les ai mis sur github.com/jffourmond/ecologit,
et je les ai publiés il y a quelques mois. J'ai une assez longue liste. Par exemple, pour
moi, là où il faut frapper c'est là où il y a de l'argent. Donc si vous avez des économies, par exemple sur un LDD,
changez-de banque. Mettez-le dans une banque éthique. Il y en a 2 en France, des établissements d'épargne éthique et
solidaire.

Tu veux peut-être les citer ?

Oui bien sûr. C'est le Crédit Coopératif et la Nef. Le Crédit Coopératif fait aussi banque, on peut avoir une
carte bleue et avoir un LDD ou un Livret A. La Nef ça va encore plus loin parce qu'ils publient la liste de 100% de
leurs prêts. Ils investissent uniquement dans des projets d'écologie, des projets d'économie solidaire ou dans la
culture. Donc voilà un geste important à faire, c'est d'enlever son épargne des banques classiques qui investissent
énormément dans le charbon, comme le montre mon manifeste, et de mettre son épargne pour financer des projets de
rénovation énergétique, par exemple.

Revenons au manifeste que tu souhaites publier. Du coup, de quoi est-ce que tu as besoin pour le
publier ? Est-ce que tu as besoin d'aide ?

Le manifeste, je l'ai envoyé aux étudiants qui ont écrit le manifeste pour un réveil écologique et qui ont inspiré
mon manifeste informatique. Et je l'ai envoyé aussi aux Amis de la Terre qui sont à l'origine de tous les rapports
que je cite et qui épinglent les entreprises qui financent le réchauffement climatique. Et le retour que j'ai eu des
deux, c'est que c'était très bien mais pour que ça ait un impact, il fallait que ça soit suivi, relayé par beaucoup
de personnes. Donc ce qu'il me manque, c'est des gens qui auraient envie de s'impliquer dans le projet, dans
l'écriture, d'ajouter des idées, et qui du coup auraient envie de relayer le manifeste et de participer aussi à sa
communication.

Ou au moins d'être signataires ? D'avoir le plus grand nombre...

Au moins d'être signataires, mais déjà, je pense que pour avoir des relais, il faut qu'il y ait plus de gens qui
participent. Ce n'est pas un projet que j'ai envie de porter seul. D'ailleurs c'est sur GitHub, c'est collaboratif,
les gens sont invités à faire des pull requests. Après ça, il me faudrait aussi des connaissances juridiques, parce
que je ne suis pas sûr que citer des entreprises comme ça soit absolument sans risque.

Si tu as les chiffres qui corroborent...

Je pense que ça ne pose pas de souci mais je n'en ai pas la certitude parce que je n'y connais rien, tout
simplement. Donc des connaissances dans ce domaine ne seraient pas de refus. Il me faudrait aussi des compétences en
graphisme peut-être, pour faire une jolie page web, parce qu'une page GitHub ça ne va pas parler au grand public.
Même parmi les informaticiens, tout le monde n'a pas un compte GitHub.

Une page web sobre ? Du texte noir sur une page blanche tout simplement non, peut-être ?

Ouais si ça reste joli, ouais ça serait bien ! Et puis ce qui serait bien aussi, c'est d'avoir des gens qui sont
dans la communication, dans les relations presse, et qui pourraient m'aider à relayer au mieux ce manifeste. Parce
que pour que ça ait un impact et que les gens prennent conscience du sujet, il faut que ça soit partagé le plus
possible.

D'où t'es venue cette idée de créer ce manifeste ?

Je faisais plein de gestes écolo à titre individuel depuis un moment, mais je pense qu'il faut agir à tous les
niveaux. Je voulais aussi trouver un moyen d'agir professionnellement. Je cherchais quoi faire, et j'ai lu plein
d'articles en fin d'année. Un premier article était un rapport d'Oxfam qui disait que les banques n'avaient jamais
autant investi dans les énergies fossiles et ça m'a choqué, parce que je venais aussi de lire que les émissions de
CO2 avaient augmenté en 2018. La France dépasse ses objectifs de réduction des émissions de plus de 6% par rapport
aux objectifs de la COP21. Donc j'étais assez choqué par ça, et juste à ce moment-là, je suis tombé sur le manifeste
des étudiants pour un réveil écologique, qui disait qu'ils refuseraient, une fois sur le marché du travail, de
mettre leur énergie au profit d'entreprises qui détruisent la planète. Et ça m'a donné l'idée de faire mon
manifeste, de relier à la fois l'idée d'un manifeste avec le côté informatique.

En fait, de faire le relais des étudiants, finalement. C'est dire : "Nous on est déjà installés dans le monde
actif. Qu'est-ce qu'on peut faire à notre niveau ? Ça y est les étudiants ont cet éveil écologique, maintenant c'est
à nous professionnels aussi de soutenir cette démarche et de dire non, de dire stop". En fait, il faut savoir dire
non aujourd'hui.

Oui, les étudiants m'ont inspiré. Si eux peuvent dire aux entreprises qu'ils ne travailleront pas pour elles,
s'ils peuvent dire non, sachant que nous en informatique on peut dire non aussi parce qu'on a l'embarras du choix
quand on cherche un job, en tant que développeur en tout cas...

Alors ça j'en parlais avec Xavier Verne, dans l'épisode "sobriété numérique"
et il me disait "De toute façon il y aura toujours quelqu'un pour prendre la place au final."
Il y aura toujours quelqu'un qui n'est pas sensibilisé, qui prendra la place ou ils trouveront une solution,
je ne sais pas, ils feront du offshore...

Ils feront peut-être du offshore mais ça sera plus difficile pour eux.

Ça sera moins qualitatif. Ok.

Toutes les entreprises galèrent à recruter. Même s'ils finissent par y arriver, s'ils mettent six mois à trouver
quelqu'un plutôt qu'un mois, c'est toujours ça de perdu !

Donc mettons en galère les entreprises polluantes !

Ne les aidons pas, oui, on a mieux à faire !

Et tu as vu ce qui s'est passé la semaine dernière, comme quoi le gouvernement réfléchit à reporter ou annuler la
division par 4 des émissions de gaz à effet de serre ? Il y a eu un article de Libé qui disait "Oh la la,
catastrophe, ils abandonnent...".

Oui j'ai vu passer ça, en bon écolo je me suis tout de suite offusqué mais...

Mais apparemment ils se sont trompés dans l'article. Le gouvernement était beaucoup plus ambitieux...

Pour une fois, ce n'est pas une mauvaise nouvelle et accabler le gouvernement était peut-être mal placé. D'après
Carbone 4, l'entreprise de Jean-Marc Jancovici - qui est aussi le président du Shift Project dont tu as interrogé
quelqu'un, et qui fait partie du haut comité pour le climat - d'après lui, et c'est sa spécialité, l'objectif du
gouvernement va plus loin que diviser les émissions par 4.

Et tu penses que ça va être appliqué ? Est-ce que c'est vraiment ambitieux ?

C'est ambitieux, après est-ce que ça sera appliqué... Le gouvernement fait beaucoup de promesses... Moi je pense
qu'il ne faut pas attendre que les choses bougent, en termes de réchauffement climatique, de la part des autres. Je
pense qu'il faut s'impliquer soi-même, de façon individuelle et collective, mais il ne faut absolument pas attendre
quelque chose qui tomberait du ciel, parce qu'on n'a pas le luxe d'attendre. Il est vraiment urgent d'agir, dès
maintenant.

En savoir plus :