Matérialité du numérique et externalités minières
Épisode 64 publié le 17/03/2022
Aurore Stéphant
Aurore Stéphant est ingénieure géologue minier, spécialisée dans les risques environnementaux et sanitaires de l'industrie minière. Elle est cofondatrice de l'association SystExt(Systèmes extractifs et Environnements) qui regroupe des professionnels en activité ayant un intérêt commun pour les systèmes extractifs, en particulier miniers, et des compétences pour s'approprier les problématiques techniques associées à ces activités. Nous avons discuté de ce qu'est l'industrie minière et les particularités liés aux métaux nécessaires au numérique.
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Sommaire
- Son parcours
- L'association SystExt
- Rapports entre numérique et métaux
- Pourquoi la vidéo sur internet augmente le besoin en métaux
- Impacts humains, sociaux et environnementaux majeurs de l'industrie minière
- Indicateurs environnementaux ? equivalent CO2 pour les GES, Equivalent antimoine ?
- L'évolution des besoins en extraction de métaux
- Rareté, criticité et les questions de dépendance
- Relocalisation des mines en France et en Europe
- Proposition du président Macron de racler les fonds des océans, est-ce réaliste ?
- Quelles solutions
- Comment agir dans le secteur du numérique
- Compte-tenu des tensions actuelles avec la Russie, peut on considérer que le projet russo-canadien de montagne d'or en Guyane est définitivement enterré ?
- Comment aider l'association SystExt
- Comment rester positive
En savoir plus
- L'association SystExt
- Rapport d'étude Controverses minières · Volet 1
- Tableau de Mendeleïev
- Les publications scientifiques d'Olivier Vidal
- Il y a cinquante ans, les Shadoks se mettaient à pomper
Transcription
Extrait
C'est-à-dire que l'innovation, elle n'a de sens que si elle sert la société pour que la société devienne meilleure. Je n'accepte que cette définition de l'innovation. La personne qui rentre chez elle, elle parle, elle dit "lumière rose" et vous avez de la lumière rose. Mais vous voyez où est-ce qu'on en est rendu ? Enfin moi, je m'énerve parce que je sais ce que ça représente en termes humain, social et environnemental et qu'on n'a pas le droit, on a une responsabilité collective.
Introduction
Bonjour à toutes et tous. Richard Hanna pour le podcast Techologie. Nous avons le plaisir aujourd'hui de recevoir Aurore Stéphant.
Bonjour Aurore.
Alors tu es ingénieure géologue minier, spécialisée dans les risques environnementaux et sanitaires de l'industrie minière. Tu es co-fondatrice de l'association Systext.
Je te propose déjà de nous parler de toi, ton parcours. Qu'est-ce qui t'a donné envie de travailler sur la géologie et les mines ? Est-ce que tu t'intéressais aux pierres dès petites ?
Alors oui, effectivement, je me suis intéressée très jeune. Il est dit que dès 3 ans, je commençais déjà à faire du tri des cailloux dans les bacs à sable et qu'on pouvait me laisser des heures dans des bacs à sable, je ne faisais que du tri de cailloux.
Donc apparemment, oui, ça a commencé très très jeune. Et ensuite, rapidement, je me suis intéressée aux formations qui permettaient de qualifier une personne en géologie.
J'ai fait le choix ensuite de faire une colle d'ingénieur en géologie, à savoir l'École de Géologie de Nancy.
Ensuite, j'ai travaillé un certain nombre d'années en tant qu'expert auprès de mines de l'État français.
Dans ce cadre-là, je me suis beaucoup intéressée aux impacts sanitaires et environnementaux des anciennes exploitations minières situées sur le territoire métropolitain, mais aussi Guyanais.
Et ensuite, après une très brève expérience en Suisse, plutôt sur les questions environnement, social, gouvernance, c'est-à-dire une fondation qui travaillait sur l'évaluation de ces critères pour des très grosses compagnies minières.
Je suis revenue en France et je suis devenue salariée de l'association, c'est-à-dire 10 ans après, effectivement, l'avoir confondée.
Eh bien justement, parle-nous de l'association, pourquoi l'avoir créée ? Il y avait un manque par rapport à ce sujet-là ? Quel a été l'objectif de lancer cette association ? Quelles sont les actions aujourd'hui de Systext ?
Quand on a créé l'association en 2009 avec un autre ingénieur géologue minier, c'était parce qu'on a été témoin en tant que jeunes professionnels du secteur des excès de ce milieu, notamment en termes humains et environnementaux.
On s'est rendu compte qu'on était quelques-uns à s'interroger à la fois sur les pratiques minières, mais aussi sur les impacts associés, et que notre discours ou nos questionnements n'étaient pas du tout partagés par nos collègues ou nos pairs.
Au départ, l'objectif, ça a été de créer un groupe qui soit en mesure d'interroger simplement notre métier, c'est-à-dire qu'est-ce qui se passe dans la mine ?
Et avec un deuxième objectif, c'était qu'aujourd'hui, on parle beaucoup plus des questions minières et métalliques, mais si on se remet d'il y a 12 à 13 ans en arrière, c'était quelque chose qui était très peu présent dans l'espace public.
Nous, on voulait qu'il existe un organisme, une association, capable d'interroger la mine et surtout de promouvoir cette question dans l'espace public.
La naissance de l'association, c'est à la fois, finalement, d'avoir un groupe de personnes qui puisse disposer d'un espace d'échange, un espace de partage sur les questions qu'elles se posent, mais aussi de pouvoir disposer d'un ensemble de personnes qui mettent leur compétence à disposition du plus grand nombre pour que ce sujet réinvestisse le débat public.
En termes de positionnement, on a choisi de concentrer notre travail sur l'industrie minérale et ses impacts humains, sanitaires, sociaux et environnementaux, mais dans une approche plutôt holistique. C'est-à-dire qu'on ne regarde pas la technique de façon isolée.
Par exemple, il y a telle technique, on peut l'améliorer de telle façon ou pas d'ailleurs, il y a tel rejet, ça donne telle valeur dans les eaux, etc.
C'est plutôt une approche globale, à savoir l'idée étant de dire qu'un projet minier ce n'est pas seulement de la technique minière, ce n'est pas seulement la production du métal, ce n'est pas seulement tel rendement, ce n'est pas tellement tel gain financier, c'est aussi des hommes, c'est aussi des environnements, c'est aussi des écosystèmes et l'objectif étant de tout prendre en compte pour pouvoir mesurer l'intérêt, l'importance et les impacts de ce projet minier.
Donc on repense le projet minier par rapport à ces environnements, et vraiment ces environnements au pluriel, ça c'est l'approche.
L'association a un positionnement intermédiaire, c'est-à-dire qu'on n'est pas opposé à toute activité minière, pas du tout.
Par contre, on dénonce et on lutte contre les pratiques irresponsables de ce secteur, et on en reparlera je pense par la suite.
Quels sont vos financements de l'association, juste pour que nos auditeurs puissent voir un peu s'il n'y a pas conflit d'intérêts, etc.
Bien sûr. Donc le budget de l'association, c'est à peu près 100 000 euros par an. Les trois quarts, c'est deux fondations qui sont familiales privées, à but philanthropique, d'une part la Fondation pour le progrès de l'Homme, et d'autre part la Fondation Un monde par tous, qui sont toutes les deux sous l'égide de la Fondation de France.
Ce ne sont pas des fondations d'entreprises comme la Fondation Orange ou la Fondation Suez par exemple.
Dans les 25 % restants, c'est principalement les adhésions et les dons, on va dire moitié-moitié à peu près, fonction des années.
Moitié adhésions et dons, et moitié plutôt la partie, ce qu'on appelle les activités commerciales.
C'est-à-dire quand on fait de l'expertise, de la formation, de l'appui technique, on demande en fait à être financés pour les frais salariaux, le salaire chargé, la location, les frais structureaux de l'association.
C'est grâce à ça qu'on arrive à financer l'intégralité du budget de Systext.
Vous faites des formations pour quel type de public ?
C'est extrêmement variable, on a terminé à faire de la formation pour des représentants institutionnels, pour des entreprises, souvent des entreprises aval filière, c'est-à-dire des entreprises qui travaillent plutôt sur les produits finis et pas sur les métaux.
Ça peut être pour des bureaux d'études, et puis aussi on intervient auprès des publics post-bac. On n'intervient pas en formation pré-bac, on intervient plutôt en post-bac, donc soit dans des écoles d'ingénieurs, des universités, donc c'est quand même assez large en terme de formation et les thèmes aussi sont très très larges.
Ça peut aller jusqu'à comment on exploite une mine, jusqu'à quelle est la situation de telle ou telle filière, métallique ou autre.
En terme de public et en terme de thématique, c'est vraiment très large.
Tu sais que le thème principal de Techologie, c'est la sidérurgie, l'industrie sidérurgique. Non, je plaisante, c'est les technologies numériques. Je voulais avoir tes éléments, quels sont les rapports entre le numérique et les métaux, l'industrie minière ?
Alors, juste pour introduire la question du rapport entre numérique et industrie minière, je voudrais quand même rappeler quelque chose qu'on met souvent de côté et qu'on passe un peu sous silence, c'est que les métaux, il y en a partout.
C'est vrai qu'aujourd'hui, il y a une polarisation sur le secteur du numérique, que ce soit dans le domaine de l'électronique, des technologies de l'information et de la communication par exemple, alors qu'on oublie complètement que le métal, il y en a absolument partout, des matières premières minérales, il y en a absolument partout.
Comme je dis souvent, à partir du moment où il y a une machine, il y a du métal. C'est pour ça que tous les secteurs disposent ou ont besoin de quantités importantes de métaux, c'est vraiment notre monde, notre modèle de développement, il est matériellement fondé sur les métaux.
On va voir ensuite pourquoi le numérique, dans ce contexte-là, a une place spécifique, on va parler des spécificités du numérique, et elles ne sont pas des moindres d'ailleurs. Mais globalement, il faut vraiment avoir ça en tête, donc ça veut dire que quand on parle de métal, il faut penser électroménager, il faut penser éclairage, il faut penser transport.
J'ai une discussion récemment de personnes qui prenaient conscience suite à la discussion qu'il y avait du métal dans un train.
Ça peut paraître délirant, mais oui, il y a bien du métal dans un train, il y a du métal dans un vélo, il y a du métal aussi dans tous les dispositifs qui, on va dire, assurent notre modèle de développement.
Dans ce contexte-là, effectivement, il y a un secteur, dit du numérique, qui regroupe une quantité pléthorique d'industrie et d'usage, qui est le monde du numérique.
Alors, quel est le lien entre le numérique et les métaux ? Le premier élément qu'il faut avoir en tête, c'est déjà les grandes familles de métaux.
Et si j'explique ça d'abord, ce n'est pas pour rien parce que ça va expliquer l'une des grandes spécificités du numérique.
Si je prends un peu de recul, pour les gens qui ont en tête, même vaguement, le tableau de Mendeleïev, il faut avoir en tête qu'il y a quatre grandes catégories de métaux.
Les premiers métaux qu'on appelle les métaux "féreux", schématiquement, ce sont les métaux des aciers, qui concernent bien sûr le numérique aussi, que sont notamment, par exemple, le fer, le manganèse, le chrome, le molybden, ce sont les métaux "féreux", les métaux des aciers.
Ensuite, on a les métaux non-féreux, qui sont aussi souvent appelés "métaux de base", qui sont assez connus si je parle d'aluminium, de cobalt, de cuivre, d'étain, de magnésium, de plomb, titan, zinc, ce sont les huit métaux non-féreux, c'est un peu les métaux de base.
Il y a une troisième catégorie, après les métaux "féreux" et "métaux non-féreux", ce sont les métaux précieux, les plus connus étant l'or et l'argent, bien sûr.
Ensuite, on a ce qu'on appelle le groupe des platinoïdes, il y en a six, le platine, le palladium, l'osmium, l'iridium, l'erodium, l'euryténium.
Donc là, j'en ai donné, du coup, 23, il nous en manque 37 de métaux bien connus.
Et le quatrième catégorie, les 37 qui manquent, ce qu'on appelle les métaux de spécialité, les "speciality metals".
Si je reprends cette nomenclature du programme des Nations Unies pour l'Environnement, via son groupe de travail, l'International Resource Panel, et c'est ces métaux de spécialité qui vont retenir toute notre attention pour la suite.
Les métaux de spécialité, il y en a qui sont connus, il y en a qui sont moins connus.
Si je dis antimoine, arsenic, bismuth, cadmium, gallium, germanium, indium, voilà, ça, c'est les métaux de spécialité. Il y a aussi le tungsten, le zirconium.
Pourquoi est-ce que je précise ça ? C'est parce que l'une des caractéristiques du secteur du numérique est le fait que c'est un secteur qui est particulièrement demandeur, si je le dis comme ça, on va dire demandeur, gourmand en métaux de spécialité.
Contrairement aux autres secteurs qui certes utilisent ponctuellement des métaux de spécialité, je pense par exemple au secteur de la défense, en l'occurrence, la plupart des usages classiques des métaux dans notre quotidien, depuis l'électroménager jusqu'à l'électrification et la construction des bâtiments et autres, on va plutôt rester sur métaux ferreux, métaux non ferreux.
L'une des caractéristiques du numérique, c'est les métaux de spécialité. Pour les personnes qui connaissent un petit peu tous les petits composants qui sont plus ou moins dissimulés dans le secteur, dans les dispositifs des technologies du numérique, par exemple, on peut prendre le gallium.
Le gallium, c'est un nom un peu bizarre, je le conçois. Le gallium, c'est très majoritairement utilisé pour les circuits intégrés.
L'indium, c'est très majoritairement utilisé pour les écrans plats, notamment sous forme d'oxyde d'étain indium, pour les films transparents qui sont connus pour les écrans plats ou par exemple pour les écrans tactiles.
Le tantal : un tiers du tantal dans le monde, c'est pour les condensateurs.
Donc, si tu veux, c'est important d'avoir ça en tête, parce que ça replace deux choses en termes de spécificité du numérique par rapport aux métaux.
Avant de parler de la mine, on va déjà parler des métaux. C'est premièrement le fait que c'est très gourmand en métaux de spécialité, les fameux 37 métaux dont je parlais précédemment.
Et comme je le disais, ces métaux-là vont répondre majoritairement à un usage ou à certains usages. Et ça, ça va forcément créer des dynamiques en termes d'approvisionnement, en termes d'usage, en termes de capacité de substitution, qui sont assez différentes de ce qu'on constate par exemple pour le cuivre ou autre.
C'est-à-dire que, et je finirai là-dessus pour cette première question, si on prend l'exemple assez connu du cuivre, le cuivre c'est principalement, on s'entend, pour ses propriétés de conduction d'électricité qu'il est connu et utilisé. Pour le coup le cuivre il rentre dans plein d'usages, dans les équipements, dans le transport, dans les infrastructures, dans la construction.
Alors que le gallium, 80% du gallium, ça sert à quoi ? Au circuit intégré, sous forme d'arsenure de gallium, enfin d'association arsenique-gallium.
Donc ça veut dire qu'on va se retrouver aussi avec certes beaucoup de métaux de spécialité, mais ces métaux qui vont souvent servir majoritairement ou très majoritairement un usage très particulier pour lequel on a pas ou peu de substitution, pour plein de raisons, et on pourra expliquer pourquoi ensuite après il n'y a pas ou peu de substitution.
C'est deux grandes spécificités qu'il faut avoir en tête sur le lien numérique-métal.
Et tous ces métaux de spécialisation, est-ce que c'est tout récent ou c'est très très vieux ? On les exploite depuis très très longtemps ? J'ai l'impression qu'on les exploite depuis fin des années 90, début des années 2000 ou je me trompe complètement. C'est avec l'avènement de la miniaturisation, des smartphones tactiles, etc. ou pas du tout ? C'est quelque chose de connu depuis très longtemps et c'est exploité ?
Alors effectivement, ils sont connus, la majorité d'entre eux sont quand même connus depuis très longtemps.
Et leurs caractéristiques ?
Et leurs caractéristiques, tout à fait. Il y a quelques exceptions.
En fait, quand j'ai dit depuis très longtemps, ça veut dire quoi ? C'est facile de dire que depuis très longtemps, c'est jusqu'à la fin du 19ème. C'est-à-dire que jusqu'en gros en 1900…
On savait faire des écrans tactiles ?
On ne savait pas forcément faire des écrans tactiles, mais par contre le métal était connu et ses propriétés étaient connues.
Les usages sont arrivés plus tardivement, mais par contre on les connaissait.
Il y a des substances qui sont un tout petit peu particulières, notamment les terres rares.
On reviendra dessus parce qu'on nous bassine les oreilles tous les quatre matins avec les terres rares. J'en peux plus des terres rares. Arrêtez de me parler de terres rares, ça m'irrite.
Donc effectivement, la question est très importante, c'est-à-dire qu'on les connaissait, mais que les usages étaient relativement peu développés, en tous les cas pour certains.
Encore une fois, comme je disais avec l'exemple du cuivre, c'est aussi valable pour le zinc, pour le plomb ou pour l'étain par exemple.
On utilisait déjà ces métaux à bien des égards par rapport au fait que je disais tout à l'heure, le monde est matériellement fondé sur les métaux, ça ne date pas d'hier.
Par contre, ce qui est vrai, c'est que l'industrie, notamment des technologies de l'information de la communication, et notamment le secteur du numérique, ont provoqué une diversification.
Cette diversification, c'est-à-dire qu'on a mis dans nos appareils du quotidien de plus en plus de métaux différents. C'est pour ça que je parle bien de diversification. C'est-à-dire qu'avant, on arrivait à faire des dispositifs avec une batterie en gros.
Quand je dis avant, c'est quand ? Soyons précis. Là, je me base sur une étude de l'OPESCT de 2011.
Il faut s'imaginer, en 1980 à peu près, vous voyez, ce n'est pas si vieux non plus.
En 1980, on estime qu'on utilisait entre 10 et 20 métaux.
Philippe Bihouix annonce à peu près une dizaine de métaux en 1970, une vingtaine de métaux en 1970.
Bon, accordons-nous entre 10 et 20 métaux dans les années 1970-1980.
Comme ça, on met d'accord à peu près tous les auteurs.
Seulement 10 à 20, exactement.
Donc, ce n'est quand même pas si vieux que ça.
Trente ans plus tard, on estime que le nombre de métaux utilisés était multiplié par six.
Donc, ça veut dire qu'aujourd'hui, on estime qu'on utilise entre 60 et 70 métaux dans les dispositifs.
Et effectivement, encore une fois, le secteur du numérique a un rôle très particulier à jouer dans cette évolution, puisque on pense, en tous les cas, les auteurs s'accordent sur le fait que cette diversification, le fait qu'on utilise un nombre beaucoup plus grand qu'il y a une cinquantaine d'années ou une quarantaine d'années dans nos dispositifs du quotidien, on va dire, ou dans les dispositifs ou dans les appareils ou dans les machines, peu importe.
On pense que c'est principalement du fait de la contribution qui est imputable à l'industrie des technologies de l'information et de la communication.
Indirectement, finalement, ce qu'on est en train de dire, c'est que le numérique a provoqué, est à l'origine, on va dire, a contribué au fait qu'on a diversifié la quantité de métaux qu'on utilisait dans les produits du quotidien.
On reviendra du coup sur les impacts humains, environnementaux de cette diversification, peut-être dans la question d'après.
Est-ce que tu peux donner un exemple ? Par exemple, l'indium, c'est ça, c'est pour le côté d'avoir ses fonctionnalités tactiles. En quoi l'indium réagit à la chaleur des doigts ? Comment ça se passe ? Juste pour faire un focus sur une des propriétés de ces métaux.
Alors, en fait, ce n'est pas l'indium en tant que tel. Pour le coup, c'est bien un oxyde d'étain indium. Et en fait, il a deux caractéristiques.
On va donner un exemple très concret pour qu'on se rende compte de ce qui se passe. Quand j'ai un écran tactile, par exemple, comme sur un smartphone, on constate que le mouvement de mon doigt sur l'écran va provoquer une réaction de la part du téléphone. Un changement d'écran, une image qui apparaît, une fonctionnalité.
Pour ce faire, en fait, cet oxyde d'étain indium a donc deux caractéristiques.
Il a la capacité de transformer l'énergie du coup, en gros, qui est liée au fait que je mette mon doigt dessus. Donc, en fait, ce sont des films qu'on ne voit pas. C'est un film transparent.
Il y a cette deuxième caractéristique, c'est un film transparent qui va convertir ce mouvement schématiquement du doigt en énergie électrique, énergie électrique qui va être interprétée par les dispositifs électroniques qui se trouvent à l'intérieur du téléphone, qui vont transformer le mouvement du doigt en impulsion électrique, en information elle-même qui va être reversée pour, par exemple, faire un changement d'écran.
Donc, c'est un changement d'écran, enfin, un changement de page. Par exemple, si vous êtes en train de surfer sur Internet, puisque je considère que regarder des vidéos sur un téléphone est presque une ignominie, donc on va dire plutôt "regardez un email" ou "regardez une page d'information Internet".
Je plaisante à peine, mais du coup, c'est de dire, c'est ça, en fait, cette propriété, mais ce n'est pas l'indium en tant que tel.
L'indium, il a un certain nombre de propriétés, mais c'est bien l'oxyde d'étain indium qui va avoir cette faculté.
Il y a d'autres focus, par exemple, on sait que le lithium, dont on parle énormément, il a un certain nombre de propriétés parmi lesquelles il a un potentiel électrochimique très bas et très particulier.
Il a une très forte densité énergétique, donc, du coup, c'est ce qui lui permet d'être très bien valorisé dans les systèmes de batterie ou de piles.
Les piles boutons, c'est à base de lithium, par exemple.
Effectivement, en fait, on va utiliser certaines propriétés, mais il est exceptionnellement rare, on va dire, que le métal soit sous forme pure pour répondre à l'objectif ou à la fonction ou à la propriété que l'on souhaite atteindre dans un téléphone, dans un ordinateur ou dans un serveur, par exemple.
C'est-à-dire qu'il ne faut pas avoir une idée pour laquelle on se dirait, tiens, dans un téléphone, il y a de l'indium, par exemple.
Oui, certes, il y a de l'indium, mais il n'est pas sous forme d'indium pur, en fait.
Et ça, justement, ça va avoir beaucoup d'implications et c'est une autre caractéristique du numérique qu'on en reparlera certainement après.
Pourquoi tu dis que c'est une ignominie de regarder des vidéos ? Moi, j'ai regardé un épisode de Thinkervue avec une certaine Aurore Stéphant sur mon téléphone.
C'est une ignominie parce que ça fait partie de ces usages qui ont été, en fait, transférés depuis des dispositifs type ordinateur ou type télévision qui ont été transférés jusqu'à des tout petits dispositifs.
Un écran, je regardais très dernièrement une étude, en moyenne, on est autour de 5 pouces, on évolue vers les 7 pouces maintenant.
Écran de smartphone, c'est une ignominie pour moi de regarder une vidéo sur un écran comme ça, parce qu'en fait, ce dont il faut prendre conscience, c'est que pour être en capacité de regarder une vidéo sur un dispositif aussi petit, ça va nécessairement demander à la fois une grande quantité métallique, mais surtout beaucoup de méthodes différentes pour pouvoir permettre une qualité de visualisation suffisante, en gros, sur un 7 pouces.
C'est-à-dire que vous voyez un film sur un 7 pouces, vous avez l'impression quasiment aujourd'hui d'être dans un cinéma. J'exagère, bien sûr. Les résolutions qu'on arrive à atteindre aujourd'hui sur un téléphone portable, elles sont hallucinantes, mais ce n'est pas sans conséquence cette affaire-là. Donc ça veut dire qu'on dope aujourd'hui les téléphones avec des usages.
Je rappelle quand même qu'un téléphone, au départ, c'était censé permettre de téléphoner. On l'a oublié depuis, mais au départ, c'était quand même ça, l'usage du téléphone. Aujourd'hui, ce n'est plus un téléphone que vous avez et que nous avons. C'est un ordinateur.
Oui, mais après, le téléphone est là, il fait déjà… Par exemple, mon téléphone, il a 6 ans et demi, 7 ans. Voilà, vaut mieux que je regarde une vidéo sur ce petit écran plutôt que j'allume la télé du salon en termes d'usage. Bon, là, c'est l'impact sur l'usage, mais…
Oui et non, en fait. Alors, il y a plusieurs choses dans tout ça. Il y a déjà notre rapport à la vidéo et à l'image, c'est-à-dire qu'on a développé de façon extrêmement intense la communication par l'image et non plus par le texte.
Quand je parle de l'image, c'est-à-dire que si vous voulez faire passer un message aujourd'hui, il vous faut une vidéo en 3 minutes. Sinon, ça veut dire que vous n'êtes pas crédible pour pouvoir parler dans l'espace public.
C'est un podcast de 2 heures, non ?
Voilà, ou alors, typiquement, le nombre de fois où je me rends compte qu'on organise des visioconférences ou qu'on me demande des visioconférences alors que là, effectivement, on n'a pas besoin de se voir.
On se parle, on échange, on se fait passer des messages, on ressent des choses en termes d'être humain. Pour autant, on ne se voit pas, l'image n'est pas indispensable. Les messages passeront de la même façon, à la fois les messages et à la fois les émotions.
Il y a déjà une dispense de la vidéo pour des usages qui ne sont pas nécessaires. Quand nous, à Systext, on organise des visioconférences, c'est parce qu'on a besoin d'échanger des documents, de partager des documents, de montrer des choses parce qu'on ne peut pas être présent ou parce que les personnes sont à l'étranger.
Là, ça fait du sens parce que là, je travaille sur un document. Donc, j'ai besoin d'avoir un visuel, j'ai besoin d'avoir quelque chose. Le visuel n'est pas indispensable en permanence.
Il y a déjà ce contexte de quel est notre rapport à l'image et quel est notre rapport à l'image dynamique.
On ne parle pas que d'une image fixe, on parle d'une image dynamique. Ça, c'est la première chose.
Ensuite, il y a la deuxième chose, c'est que la vidéo est extrêmement consommatrice. Donc, consommatrice, on le disait précédemment en termes de dopage métallique, si je peux m'exprimer ainsi, parce que pour faire des vidéos très haute résolution, et puis c'est la course en plus aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il faut que vos téléphones, ils aient des résolutions qui sont incroyables, qui n'ont même plus de sens d'ailleurs.
Et ensuite, il y a aussi la question énergétique qui est associée à ça. C'est-à-dire qu'il faut les stocker, ces données. Cela veut dire qu'il faut des serveurs derrière. Et ces serveurs…
Et du métal.
Du métal et de l'énergie. Il vous faut le double combo du coup. Il vous faut et métal et énergie. Donc, les serveurs ne sont pas en mousse, ni en bambou.
Et les serveurs ne fonctionnent pas que avec de l'énergie hydroélectrique. Ce serait merveilleux, mais ce n'est absolument pas le cas.
On pourrait s'interroger par exemple sur la contribution du secteur charbonnier américain dans le développement des serveurs aux États-Unis. Donc, qui dit charbon, dit mine.
Si tu veux, pour moi, il y a une nécessité de repenser absolument tout. C'est pour ça que je donne le cas de la vidéo, parce que pour moi, il est symbolique. C'est à la fois notre rapport individuel et collectif vis-à-vis de l'image.
C'est-à-dire, est-ce que j'ai besoin d'images pour comprendre un message ? Jusqu'où je vais dans l'utilisation de ce monde de la vidéo ? Et qu'est-ce que ça signifie en termes d'impact, en termes de métal et en termes d'énergie ?
Je pense qu'effectivement, il y a une dispense de la vidéo qui est complètement inutile, mais complètement inutile. Et ça, c'est un énorme problème.
Si, effectivement, on avait de l'énergie à profusion et des mines ou du métal à profusion, et que les deux secteurs sus-mentionnés, de fait, n'avaient aucun impact environnemental, je me contre-ficherais du fait qu'on regarde tous les quatre matins des vidéos partout.
Si c'était le cas, non, mais là, c'est beaucoup trop de sacrifices pour finalement si peu de choses.
Parlons des impacts de l'industrie minière, justement. Quels sont les impacts humains, les impacts sociaux et évidemment les impacts environnementaux ? Et plus précisément, pour revenir à ce qu'on disait tout à l'heure, par rapport à la diversification des méthodes, notamment pour le numérique, est-ce qu'il y a des impacts différents ou il y a un surplus d'impacts ?
Pour comprendre les impacts de la mine, il y a quelques idées à avoir en tête, et après on a tout compris, c'est ça qui est cool.
La première chose qu'il faut avoir en tête, et ça fera une transition avec ce qu'on pourra discuter après, c'est la notion de rareté. Parler de métal rare, de métaux rares, c'est quasiment pléonastique. Sincèrement, c'est quasiment pléonastique.
C'est-à-dire qu'en fait, le métal, il est naturellement, si on peut dire les choses comme ça, il est naturellement rare.
Il n'y a que cinq métaux, finalement, qui sont, on va dire, plus abondants, voire très abondants.
En pole position se trouve l'aluminium, puis le fer, puis le magnésium, puis le titane, puis le manganèse.
À part ces métaux-là, globalement, le métal dans un gisement, c'est-à-dire dans une zone où il y a plus de métal qu'ailleurs sur la proue terrestre, c'est de l'ordre du pourcent au dixième de pourcent.
Donc si on prend, par exemple, le nickel, les teneurs moyennes des gisements exploités dans le monde, c'est 1 à 3 %.
Ce qui signifie que dans une tonne, si on prend une tonne de roche, et bien 1 à 3 %, c'est-à-dire que j'ai 10 à 30 kg de nickel.
Si je prends le cas du cuivre, on est de 0,3 à 2 %. C'est-à-dire que du coup, j'ai plus que 3 à 20 kg dans une tonne de roche.
Si je prends, par exemple, le tantal dont on parlait tout à l'heure pour les condensateurs, on est de 0,02 à 0,07 % et même pas en tantal, mais en oxyde de tantal. C'est-à-dire que j'ai 200 g à 700 g de tantal dans une tonne de roche. Ça commence à être de pire en pire.
Après, on est encore en dessous pour les métaux précieux. Les métaux précieux, c'est en général de l'ordre du gramme par tonne.
On en est là. C'est-à-dire que, par exemple, pour les platinoïdes en Afrique du Sud, on est de 3 à 15 g par tonne.
On est d'accord qu'une mine rentable, une mine exploitée, une mine normale, normale avec des grosses guillemets, c'est une mine de platine, par exemple, de platinoïdes, c'est 3 à 15 g par tonne de roche.
Ça, c'est le premier problème. C'est-à-dire qu'il faut complètement sortir des images d'épinales selon lesquelles les choses sont riches, les métaux sont riches ou c'est riche ou quoi.
Et donc, dans ce monde merveilleux, c'est pour ça que je dis qu'il faut arrêter avec les concepts de métal rares ou de métaux rares. Là, ça n'a aucun sens.
Il y a tout le monde qui parle de métaux rares. On vous dit que le myélytium, c'est rare et c'est plus rare que d'autres. Ça n'a aucun sens.
Parce que quand on regarde dans le détail les discours qui sont donnés sur la rareté des métaux, on se rend compte qu'ils ne parlent jamais des métaux les plus rares à l'échelle de la planète.
Et notamment, l'un des plus rares, c'est l'or. C'est quand même l'or. Il est bien plus rare que les terres rares. Ah, mais là, on ne parle jamais de l'or comme métal rare. Ah ben non parce que l'or, il y a trop d'intérêts économiques et financiers derrière.
C'est pour ça qu'on ne parle jamais de l'or. Mais le métal, l'un des métaux les plus rares avec les platinoïdes, c'est l'or.
Selon des données de 2015, on avait une teneur moyenne des gisements, donc des 199 gisements d'or exploités de 1,18 gramme par tonne. Voilà. C'est ça, la réalité.
Donc, ça ne va pas bien se passer, quoi. Et est-ce que, pour répondre à ta question, dans ce domaine-là, le secteur où les métaux dits du numérique, parce que c'est toujours un peu compliqué, il n'y a pas de métal dit du numérique, c'est pareil, on parle des métaux du numérique, c'est toujours un peu compliqué.
Enfin, je n'ai pas dit que tu m'en avais parlé, mais je sais ce que je dis.
Non, non, j'ai dit les métaux. Je fais attention avec toi. J'ai dit les métaux de spécialisation. J'ai repris ton terme.
Dans les faits, on lit souvent les métaux du numérique. Oui, effectivement, mais il n'y a pas, enfin, oui, il y a des métaux, comme je le disais tout à l'heure,
qui polarisent sur certains usages qui sont plus associés au numérique. C'est vrai, mais il n'y a pas de métal du numérique.
Donc, fermons la parenthèse. En tous les cas, tout ça pour dire quoi ? C'est que, est-ce qu'il y a des spécificités ? Oui et non.
Je dirais que les teneurs sont toujours de l'ordre du pourcent, ou du dixième de pourcent, ou du centième de pourcent, voire au gramme par tonne, comme les autres.
Par contre, ce que je peux quand même mentionner, malgré tout, c'est qu'on a un certain nombre de métaux qui sont assez spécifiques dans le sens où, donc ça va paraître aberrant, mais par exemple, il y a des métaux qui ne disposent pas de gisements propres.
Par exemple, il n'existe pas de mine d'indium. Il n'y a aucune mine d'indium dans le monde. En fait, l'indium, c'est très, très, très majoritairement issu de la métallurgie du zinc.
Finalement, l'indium est présent dans les gisements de zinc et lorsque l'on va traiter le zinc depuis le minerai jusqu'à l'obtention du produit fini, donc du métal,
eh bien vers les derniers stades de traitement, on va pouvoir à cette occasion récupérer l'indium.
Il n'y a pas de gisement de gallium, pas de mine de gallium dans le monde. Pour 95%, c'est récupéré au moment du traitement de la bauxite qui est le minerai qui permet d'obtenir l'aluminine, puis après l'aluminium.
Il n'y a pas de gisement de germanium, il n'y a pas de gisement de bismuth.
Si je peux quand même mentionner une spécificité, c'est que bon nombre de métaux de spécialité ont cette caractéristique, alors ce n'est pas vrai pour tous les métaux de spécialité, sinon ce serait trop beau et on pourrait dire des choses trop simples, mais on va dire que bon nombre de spécialités ont quand même une caractéristique, c'est qu'ils n'ont pas de gisement propre.
Ils sont coproduits, c'est ce qu'on appelle un coproduit, c'est-à-dire qu'ils sont produits à partir d'autres gisements ou d'autres métaux, donc ça c'est un premier point à avoir.
Et par exemple un métal qui est très très connu, le cobalt, enfin très connu, on en parle beaucoup actuellement. Pour le cobalt, il n'y a qu'une seule mine de cobalt dans le monde entier, celle de Bou Azzer qui se trouve au Maroc, qui représenterait en fonction des chiffres que je trouve, à peu près 2% de la production mondiale,
c'est un très gros gisement de cobalt.
Mais sinon en fait c'est des coproduits, le cobalt c'est un coproduit des mines de cuivre, et à peu près à 50/50, on s'entend qu'on est avec 98%, donc 50/50 mine de cuivre et mine de nickel, coproduit des mines de cuivre et de nickel.
Il faut avoir ça en tête par rapport déjà à la naissance, c'est-à-dire que ça ne va pas bien se passer quand il va falloir aller chercher des toutes petites quantités. Si je vous parle de 200 à 700 grammes d'oxyde de tantale dans une tonne de roche, ce n'est pas pour rien, c'est-à-dire qu'on va récupérer une toute petite quantité dans un amont de roche, dans une quantité de roche importante. Ça va être le premier problème.
Le deuxième problème qu'on va avoir, c'est qu'une mine de cuivre, ce n'est pas une mine de cuivre. Si vous allez me dire réciproquement quoi, c'est quoi cette histoire, il n'y a pas que du cuivre et de la roche, il y a plein d'autres éléments.
Dans une mine de cuivre, vous avez souvent de l'arsenic, de l'antimoine, du zinc, éventuellement du plomb, du molybden, le molybden est un très gros coproduit des mines de cuivre par exemple, les mines d'or, c'est aussi en général de l'antimoine, du mercure, de l'uranium, donc pas forcément des produits qui sont chouettes, les mines de zinc c'est souvent un coproduit, c'est le cadmium.
Cela veut dire que le deuxième problème qu'on a, c'est que quand on va récupérer des toutes petites quantités de métal, on se retrouve avec un cortège de substances associées dont la plupart sont toxiques.
Alors quand je dis la plupart, c'est-à-dire que c'est toxique soit pour la santé humaine, donc ceux qui sont notamment très connus que sont l'arsenic, l'antimoine, le cadmium, le plomb, et puis ensuite vous en avez qui sont entre guillemets « moyennement toxiques » comme le nickel, le cobalt, qui sont des substances qui sont moyennement toxiques, après vous avez des substances qui ne le sont pas du tout, comme le fer ou le zinc par exemple, ou le cuivre, et vous avez aussi des substances qui sont toxiques pour la biodiversité et pas pour la santé humaine. Voilà, typiquement l'argent pour les milieux aquatiques, c'est problématique.
Finalement, une mine c'est quoi ? C'est récupérer des petites quantités, alors c'est soit sous forme de paillettes et ça peut aller jusqu'à la forme de l'atome, c'est-à-dire qu'on ne va pas récupérer le métal, si vous voulez, sous forme métallique, sous forme de petites paillettes, ça va être en fait à l'intérieur d'un minéral et il va falloir séparer atomiquement les atomes du métal qui vous intéressent et les atomes des métaux qui ne vous intéressent pas, il va falloir séparer tout ça.
Une fois qu'on a dit qu'on avait une toute petite quantité, que le métal se trouvait jamais ou très rarement sous forme pure, mais en fait il est à l'intérieur de minéraux, que ces minéraux sont eux-mêmes associés à tout un cortège de substances dont certaines sont toxiques, on commence à se toucher du doigt le problème qui va nécessairement arriver, puisque du coup on va devoir traiter ce minerai, cette roche qui contient le métal d'intérêt et le processus va être long, très long, et très énergivore et très consommateur de produits chimiques pour aller récupérer les pouillèmes de métal qui se trouvent dans la roche.
Finalement, le métier de mineur, un mineur, le gros de son travail c'est de travailler avec du déchet, déchets solides, déchets liquides, déchets gazeux.
Le secteur minier c'est le premier producteur industriel de déchets, solides, liquides, gazeux, c'est le plus gros producteur de déchets.
Ce n'est pas pour rien, une fois que j'ai dit ce que j'ai dit avant, on commence à le comprendre. Donc, premier problème de la mine, ça va être l'enjeu environnemental et sanitaire.
On vient de le toucher du doigt avec cette problématique-là, c'est parce qu'en fait c'est un très gros producteur de déchets, pourquoi ?
Parce que ce qui nous intéresse c'est une extrêmement faible partie de ce à quoi on est confronté en termes d'exploitation et de traitement.
La majorité de la masse, si je vous dis, finalement il y a une dizaine de grammes par tonne de platine, je veux dire la tonne que vous allez extraire, traiter chimiquement, éventuellement fondre pour partie à la fin pour pouvoir récupérer un platine pur, pour pouvoir ensuite être utilisé dans les pots catalytiques ou je ne sais où, je parle des pots catalytiques de voitures, on s'entend, et bien de fait, finalement, la tonne que j'ai travaillée, c'est une tonne de déchets, puisque ce n'est pas les 15 grammes que j'aurais récupéré sur ma tonne qui sont significatifs en termes de perte de masse.
Donc le premier enjeu, il est environnemental, et c'est la raison pour laquelle beaucoup d'observateurs aujourd'hui à l'international s'accordent pour dire que l'industrie minière est certainement l'industrie la plus polluante au monde, devant tous les autres secteurs, et Dieu sait que les autres secteurs, on le sait, n'ont pas à rougir que ce soit dans le domaine de l'agroalimentaire, de l'électronique, de la pétrochimie ou autre, c'est certainement le secteur industriel le plus prédateur et le plus environnementalement désastreux.
Ça, il faut vraiment l'avoir en tête, parce qu'une fois qu'on a ça en tête, on comprend tout le reste, en fait. On comprend que, du coup, les emprises en surface vont être très importantes, parce que, en fait, si je prends une tonne déjà, je n'ai que un, si je ne prends qu'une tonne, et même prenons le cuivre, moi je n'ai pas de problème, on prend une mine moyenne de cuivre, allez hop, 0,5 grammes, 0,5%, c'est à peu près une mine moyenne de cuivre.
Pour mémoire, au Chili en 2020, la teneur moyenne des gisements exploités de cuivre, c'était 0,64%. Donc, allez, on va prendre les 0,5%, 0,5%, donc ça fait 5 kilos.
Cela veut dire que sur ma tonne de roche, je vais récupérer 5 kilos de cuivre. Donc, de fait, il va me falloir beaucoup, beaucoup de tonnes de roche extraites et traitées pour avoir plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de tonnes, on entend, une tonne, c'est 5 kilos, on a dit.
Du fait, on va avoir des emprises, donc on a dit, il va falloir beaucoup extraire, mais si, du coup, on va avoir des emprises énormes, parce qu'il va bien falloir les mettre quelque part, ces déchets. Donc, on a des emprises qui sont gigantesques, mais gigantesques.
J'ai le souvenir, donc après mes études, quand j'ai commencé à travailler au Canada, pour visiter les dépôts de déchets miniers, on était obligé de se déplacer en voiture, en pick-up, quoi, parce que les dépôts sont tellement grands que pour aller d'un point A à un point B, c'est-à-dire pour parcourir 3 à 4 kilomètres, bah ouais, à pied, c'est long, ouais, à pied, c'est long, 3 kilomètres ou 4 kilomètres.
A vélo, ça se fait.
A vélo, ça se fait. Les dépôts de déchets miniers, aller en vélo, c'est compliqué.
Vous voyez un peu les ordres de grandeur, en fait, c'est gigantesque. Donc, on va avoir une emprise énorme.
Et comme ça contient souvent beaucoup de métaux et de métalloïdes, voire de produits chimiques qui sont utilisés pour le traitement, même si c'est pour moi pas le principal problème des déchets, c'est pas le fait que ça contienne potentiellement ou partiellement des produits chimiques utilisés pour le traitement, c'est le fait qu'en fait, ça contient les métaux qui étaient déjà présents dans le gisement.
Quand vous avez une mine d'or, vous dites, je récupère l'or, très bien, je jette de l'arsenic. Bon ben voilà, en fait, ça vient du gisement, c'était déjà dans le gisement, on le savait avant d'exploiter. On l'a pas découvert au moment où on a exploité.
On va générer des espèces de poubelles métalliques, si je peux m'exprimer ainsi, avec des volumes qui sont gigantesques.
On parle de milliards de tonnes par an qui sont générées de cette façon-là, et on parle de centaines de milliers d'hectares qui sont recouverts par des dépôts de déchets ou qui sont sous l'emprise des sites miniers.
Le premier problème environnemental, et bien du coup, on le sent, on le voit venir. Ah ben c'est que ça ne va pas bien se passer pour la santé humaine des gens qui habitent autour. Ça a nécessairement mal se passer d'ailleurs.
C'est-à-dire que notre corps n'est pas fait pour effectivement supporter des grandes quantités d'arsenic.
D'ailleurs, je me fâche souvent parce que j'entends des inepties, ou je lis des inepties qui consistent à dire que oui, l'arsenic en fait, on en parle beaucoup, mais c'est quand même pas si grave parce qu'il y en a toujours un peu dans l'organisme.
Voir que c'est bon pour la santé, ça me fait vriller ce genre de truc, quoi. C'est une ineptie, les quantités qui sont générées par le secteur minier, c'est pas des petites quantités qui sont juste bonnes pour la santé. Ça n'a aucun sens de parler comme ça.
Il y a des substances qui n'ont pas lieu d'être dans le corps humain.
L'aluminium, par exemple. L'aluminium comme ça, le petit métal qui paraît anodin, tout le monde a l'air d'être pote avec l'aluminium.
Normalement, on devrait pas avoir d'aluminium dans le corps humain. Bon, on en a, parce qu'on y est exposés, par plein de voies. Mais on devrait pas en avoir, ça devrait être zéro, la quantité.
Le mercure, c'est pareil. Le plomb, c'est pareil, on devrait pas en avoir, et on en a.
Les concentrations sont gigantesques, donc ça veut dire qu'on a énormément d'impacts sanitaires liés à l'envol des poussières, aux émissions gazeuses, aux eaux contaminées, etc.
La première victime de la mine, c'est l'eau. Avant l'air ou les sols, la première victime de la mine, c'est l'eau. Par ingestion d'eau contaminée, par le fait d'inhaler des poussières ou des gaz toxiques dans l'environnement des fonderies.
Je ne sais pas si certains d'entre vous sont déjà allés sur des sites dans lesquels vous avez des fonderies métalliques.
Certains connaissent peut-être la sidérurgie des aciers, où vous avez des grandes cheminées, où on traite du métal, là c'est le monde de la sidérurgie, où on produit des aciers, on produit des alliages métal + carbone, schématiquement.
Mais alors, les sites sur lesquels vous avez des fonderies de cuivre, des fonderies de plomb, etc., l'air est irrespirable.
Vous avez cette espèce de sensation extrêmement désagréable d'être pris à la gorge, de plus en plus, même dans des pays qui sont dits développés, avec toutes les guillemets qu'on peut mettre à ce terme. Et l'air est complètement irrespirable.
Même aujourd'hui où on dit "non mais on fait des efforts, on essaie d'augmenter le système de filtration, d'éviter l'émission de vapeur", justement si c'était que de la vapeur d'eau ça irait, les émissions, on a énormément de mal à limiter ça.
Donc il y a l'enjeu sanitaire qui va arriver effectivement très rapidement. On considère encore une fois malheureusement que le secteur minier est un des as dans le domaine, et c'est très ironique ce que je suis en train de dire.
Et puis ensuite, vous avez un troisième enjeu effectivement que tu mentionnais Richard, c'est l'enjeu en terme de droit humain.
Je me base effectivement sur la référence. La référence c'est quand même l'Organisation des Nations Unies, le texte qui fait référence sur les questions multinationales et sociétés, c'est la publication, c'est le rapport sur les droits humains de John Ruggie de 2006, qui était à l'époque secrétaire général, rapporteur pour le secrétaire général des Nations Unies.
De fait, quand on lit son rapport, qui est très clair, c'est les industries extractives, donc pétrole, mines et gaz, qui portent en nombre le plus d'abus en termes de droits humains, et qui portent aussi les pires crimes en termes de droits humains.
C'est-à-dire, de façon très grossièrement dite, c'est les pires abus qualitativement et quantitativement. Certains allant jusqu'à la complicité de crimes contre l'humanité, c'est de ça dont on parle.
Socialement parlant, de fait, ce n'est pas mieux, malheureusement. Après, c'est un tout, c'est-à-dire qu'une fois qu'on a dit que c'était une industrie qui était extrêmement prédatrice, qui avait besoin de beaucoup d'énergie, qui avait besoin de beaucoup d'eau, qui a besoin de produits chimiques, qui travaille en permanence avec des métaux et métallouides, forcément que ça va avoir des implications dans tous les secteurs de l'Asie.
Si vous polluez, par exemple, des environnements, de fait, les autres activités économiques sont en danger.
De fait, socialement parlant, on observe régulièrement des problématiques de paupérisation dans l'environnement des sites miniers.
C'est toujours paradoxal parce qu'on vous dit que le secteur minier c'est un des secteurs qui paye le mieux ses travailleurs.
Les mineurs sont souvent des salariés ou des professionnels qui ont des salaires moyens supérieurs au salaire médian des pays concernés, quel que soit le pays du monde d'ailleurs, y compris… il n'y a pas de question de pays dits développés, dits non développés ou peu développés. Il n'y a pas de question de ça, c'est une règle absolue.
Paradoxalement, on constate que les autres secteurs souffrent de cette activité par le fait qu'il y ait des conflits d'usages. Par exemple, la mine est très consommatrice d'eau, la mine est très consommatrice d'énergie, donc il y a une polarisation des ressources pour pouvoir alimenter les sites miniers.
Et puis au-delà de ça, vous avez des tensions qui vont naître entre les gens qui travaillent dans la mine et les gens qui n'en travaillent pas, les gens qui souffrent de la mine et les gens qui travaillent dans la mine.
Vous avez tout un engrenage social qui est très étudié par les chercheurs dans le domaine de la géographie et des sciences sociales, géographie, dans le domaine de la sociologie, dans le domaine de l'anthropologie.
Vous avez des textes absolument passionnants et extrêmement bien écrits, avec des recherches extraordinaires qui vous expliquent à quel point socialement parlant, les bouleversements de la mine, ça dépasse encore une fois les autres secteurs industriels.
Pour ceux qui veulent vraiment approfondir ce sujet du caractère prédateur et impactant du secteur minier, vous pouvez prendre connaissance sur le site internet de Systext, d'un rapport qui s'appelle "Controverses minières" qui a été édité en novembre 2021 et qui traite spécifiquement justement de ces enjeux et qui démontre à quel point le secteur minier est unique par rapport aux autres secteurs.
C'est pour ça en fait que le paradoxe est si grand de fonctionner de façon quasiment désinvolte, de consommer de façon quasiment désinvolte autant de métaux,
quand on sait que ce secteur-là n'est pas comme les autres secteurs.
Et très souvent, que ce soit en termes de droits humains, en termes de pollution, en termes de bouleversements socio-économiques, les chercheurs s'accordent à dire, et vous le retrouvez dans le rapport que j'ai précédemment mentionné, que c'est le pire.
Quand on a un produit fini, à savoir un produit métallique, ou qui contient du métal, on sait que derrière vous avez des secteurs qui sont les pires qui existent, il faut commencer à se poser de sérieuses questions sur les usages des produits jusqu'à leur fin de vie. Et c'est ce raisonnement-là qu'on ne fait pas aujourd'hui.
Et quels sont les indicateurs environnementaux qui sont utilisés justement pour, comment dire, qualifier la mine ? Est-ce que c'est des équivalents CO2 pour les gaz à effet de serre ? On parle d'équivalents anti-moines, est-ce qu'il y a d'autres indicateurs ?
La suite est à venir !