Accompagner la transition professionnelle écologique et solidaire

Épisode 73 publié le 01/02/2023

Isabelle Huynh

Isabelle Huynh

Isabelle Huynh, ingénieur mécanique, a lancé l'Institut Transitions pour tous les profils notamment les ingénieurs qui souhaitent travailler dans le domaine de la transition écologique et solidaire.

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Quel est le rapport entre la crise écologique et le travail, le quotidien professionnel, le moyen de subvenir à nos besoins ?

A l'heure de la crise environnementale, au delà des écogestes individuels, un des leviers le plus important, selon moi, peut être même avant notre mode de vie, avant notre alimentation et même avant notre consommation, c'est l'emploi, le travail : pour qui et pour quoi dédier nos compétences ? Pourquoi travailler pour des entreprises sans trouver de sens à ce que nous faisons ?

On assiste, de plus en plus, chez les jeunes, et moins jeunes, d'ailleurs, à de l'éco-anxiété, à des burn-outs, voire à des désertions, le fait de quitter son employeur et même son métier, notamment chez les ingénieurs.

Y a t-il d'autres voies professionnelles que celles d'alimenter l'économie de la surconsommation, la fabrication de produits inutiles, les bullshits-job voire pire, les industries qui détruisent le vivant ? Y a t-il d'autres voies possibles que celle de la désertion ?

Pour parler de tous ces sujets, nous recevons Isabelle Huynh, ingénieur mécanique, qui a fait un pas de côté. Ou peut être même un grand bond de côté, elle va nous raconter cela. Elle a quitté son travail afin de faire le tour du monde des initiatives alternatives et positives. Elle parle "d'ingénierie positive". Dès lors, ce qui l'anime, c'est sensibiliser et accompagner les ingénieurs à changer de voie vers des emplois en phase avec la nécessaire transition écologique et solidaire.

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Transcription

Extrait

Il y avait un manque d'acculturation, d'une certaine façon. Souvent je disais que ça vaudrait la peine de vous immerger dans le milieu de la transition, de comprendre de quoi on parle, quand on parle d'inégalités, de discrimination, de justice écologique, de justice sociale, des choses comme ça, et tout simplement pour que vous soyez à l'aise et pertinent dans ces milieux professionnels.

Je te propose tout simplement que tu nous racontes un peu ton parcours pour commencer,

Je suis ingénieur mécanique, comme tu l'as évoqué. Ça veut dire que j'ai toujours été intéressée par le développement, la conception de produits, c'est quelque chose qui me tient toujours à cœur.

Et quand je suis sorti l'INSA Lyon, j'étais un peu dans une optique assez classique, c'est-à-dire avoir une belle carrière, développer plein de produits innovants, etc. J'ai travaillé dans différents bureaux d'études et ma dernière expérience, c'était chez un fabricant de machine à café en capsule. Et c'est là, où j'ai commencé à avoir mes déclics. J'ai eu deux déclics.

Un premier déclic : j'étais entouré de beaucoup de camarades, de collègues qui étaient très sensibles aux enjeux écologiques et de solidarité, et qui m'ont honnêtement beaucoup éduquée, fait monter en compétences sur ces sujets.

Et le deuxième déclic, c'était de voir les produits qu'on développait. Pour les produits bas de gamme, c'est beaucoup de l'optimisation. On fait la même chose qu'on faisait il y a quinze ans, sauf qu'on essaye d'augmenter nos marges en grappillant, on découvre un petit peu partout. Et si je te prends le haut de gamme, par exemple une machine haut de gamme qui avait le bluetooth pour pouvoir lancer son café avec une application depuis son lit. Donc, comment gagner dix secondes le matin.

En général, quand je donne cet exemple, j'ai quand même pas mal de gens qui disent "oui, d'accord, on voit le côté gadget" est une personne qui dit "ah mince, ça a l'air top" et puis après qui baisse un peu les yeux quand il se rend compte qu'il est tout seul dans la salle. Cela m'a permit de voir ce côté de l'industrie, alors que pourtant, je me suis dit, mais je travaillais sur des biens de consommation, qui était quelque chose qui m'attirait, que je trouvais intéressant.

Au bout d'un moment, en combinant les deux : avec les connaissances que j'ai eu en écologie, en solidarité, et les produits que je concevais au quotidien, il y avait un vrai décalage. Surtout ce qui explique beaucoup de mes engagements c'est de se rendre compte que mes collègues, qui sont des personnes qui sont sensibles à ces enjeux écologiques, ont envie de d'apporter quelque chose de positif au monde, se retrouvent coincé à 14 heures, à la fin de la pause repas, revenir derrière le PC, concevoir des produits comme ça, qui ne font pas sens pour eux. Comment avec ces profils, on arrive à faire en sorte, qu'ils contribuent à un monde meilleur.

Et du coup, tu as quitté ton travail, tu es partie faire quoi ?

À l'époque, je me souviens chez une collègue qui me dit : "tu voudrais qu'on fasse quoi, nous, en tant qu'ingénieur ?", en l'opposant à, par exemple, médecins sans frontières, des grosses actions comme ça. "Nous, d'une certaine façon, on n'est que des ingénieurs, qu'est-ce que tu voudrais qu'on fasse ?" Et je n'avais pas de réponse à ça et je me suis dit on conçoit tout type de produit, il doit bien y avoir des produits qui doivent servir à quelque chose. On peut bien mettre ses compétences au service de quelque chose.

Je décide de quitter mon travail dans tous les cas. Il y avait plusieurs raisons autres aussi qui faisait que je me suis dit, je ne vais pas faire mes vieux os dans la boîte. Je suis parti avec cette question : à quoi ressemblent des projets qui pourraient faire sens, de développement, de conception de produit, puisque ce métier me plaît. Donc, comment est-ce qu'on peut faire pour qu'il y ait du sens?

Je suis parti avec cette question aussi large, en allant voir, un premier temps plutôt en Europe. Je suis allé par exemple à Berlin, à Copenhague, où on réfléchit pas mal à ces sujets. Par exemple à Copenhague, on a la fondation Index qui travaille sur Design to improve life, des études depuis une vingtaine d'années sur la conception de produits, qui peut faire sens, des enjeux qui peuvent être intéressant de travailler dessus.

Donc voilà, parler un peu avec des personnes qui sont sur ces sujets pour avoir cette définition de ce que j'entendais moi par l'ingénierie positive. Ce qui m'a amené petit à petit sur trois piliers, que je dis souvent en ingénierie positive. Le premier, concevoir pour répondre à un enjeu social qui vient toucher à cette question de pourquoi est-ce qu'on développe un produit. Est-ce que cela permet d'améliorer les conditions de vie du vivant, qu'il soit humain ou non humain ? Le deuxième pilier, c'est en prenant en compte les enjeux environnementaux. Et le troisième pilier, c'est la collaboration, qui est en fait une thématique que je n'avais pas prévu à la base, et qui, petit à petit, prenait vraiment sens dans le cadre d'ingénierie positive. Par exemple, comment on fait pour qu'à la fois on collabore avec des organisations ou des individus qui ne sont pas censés d'habitude de collaborer ensemble, mais aussi comment on réplique une bonne idée, comment on fait quand on a trouvé un produit, un service qui fait sens, mais comment on fait pour qu'ils puissent aussi exister dans d'autres zones géographiques par rapport à d'autres publics ? Cela passe beaucoup par la collaboration.

Je pars avec cette ligne directrice pour aller voir des initiatives qui répondent à ça. J'ai pris le parti d'aller dans des pays considérés en développement, comme le Myanmar/Birmanie, Vietnam, Cambodge, Colombie, Équateur... Puisque j'aimais bien ce contre-pied qu'au lieu d'aller dans ces pays avec une approche très néocoloniale, avec l'approche d'aider ces pays à se développer, plutôt regarder ce qu'on peut apprendre de ces pays.

Nous, apparemment, on n'arrive pas à faire des produits qui font sens en Europe. Donc, si ça se trouve dans d'autres espaces, il y a d'autres idées, d'autres façons de voir. C'était mon approche et j'ai pu voir plein de projets très intéressants. Si j'en prends un, c'est par exemple, Proximity Design. Ils sont en Birmanie/Myanmar (ça dépend des fois avec le terme que j'utilise). C'est le projet d'entrepreneuriat social, d'entreprise sociale qui développe du produit. J'en connais presque pas un autre qui est aussi gros : ils sont 800 employés et ils ont touché plus d'un million de bénéficiaires. Ils s'intéressent à comment aider les agriculteurs surtout comment améliorer l'irrigation, comment le simplifier. Ils ont, par exemple, des pompes à bas coût qui sont très résistantes, bien fournies. [?]

Le but était donc d'aller voir des projets intéressants et les diffuser par la vidéo. Avec la Clavette, mon association, l'objectif était de voir comment ces initiatives qui font sens, peuvent être diffusées, les faire connaître et montrer qu'il y a potentiellement de l'ingénierie positive à développer. Ce qui m'a amené à filmer cinq projets, dont trois épisodes qui sont montés. C'était une cinquantaine d'initiatives que j'ai pu rencontrer sur mon chemin.

Après deux ans d'exploration, ce qui m'a intéressé, c'était comment on transmet ce que j'ai pu voir, c'était une réflexion sur la transmission.

Donc tu as créé plein de start-ups à la suite de ça (rires...)

Alors non, c'est pas forcément l'idée. Le sentiment que j'ai eu en rentrant, c'était qu'il y a énormément de personnes très intéressantes qui m'ont donné du temps, qui m'ont fait grandir, tout simplement. Et je me suis dit où est-ce que ça pourrait raisonner. Et je me suis intéressé un peu à trois types d'organisations. D'abord, les entreprises. Quand je suis rentrée, j'ai fait énormément de conférences dans des groupes, dans des PME, pour montrer ces exemples, les décortiquer, les analyser, voir avec eux comment, eux aussi, ça pouvait les amener, peut-être, à faire de l'ingénierie positif.

Après, je me suis pas mal intéressé aussi aux entrepreneurs sociaux. Deux profils : soit des personnes qui viennent du monde technique, mais qui peuvent venir de façon un peu maladroite sur des sujets sociaux ou des sujets environnementaux. Le cas classique, c'est par exemple un entrepreneur qui parlait d'un composteur connecté. J'ai dit : est-ce que c'est vraiment ce que tu cherches à faire ? Donc, l'idée est d'essayer de descendre le niveau de technicité. Autre exemple, les applications pour senior. Ce n'est pas forcément une application qui va aider à faire du lien intergénérationnel, mais il y a peut-être d'autres options, d'autres approches.

Le deuxième profil, c'était plutôt des personnes qui avaient pas forcément de bagage technique, mais qui étaient intéressés par développer un produit technique parce qu'ils y voyaient un intérêt social. On va avoir des personnes qui réfléchissent à des solutions de mobilité, par exemple : le vélo, dérivé de vélo, etc. Là, je prends ma casquette technique d'ingénieure et les aider à développer un produit.

Donc, première espace, les entreprises, deuxième espace, les entrepreneurs sociaux. Et le troisième espace, ça été beaucoup les écoles d'ingénieurs. On était en 2018 / 2019 et on parlait pas du tout autant des sujets environnementaux que maintenant. Ça veut dire qu'en 2018, c'est encore le moment où fallait convaincre de parler des enjeux environnementaux en école d'ingénieur et savoir comment en parler. Même si souvent, les écoles disaient que c'était intéressant de parler des enjeux environnementaux, mais qu'est-ce qu'on en dit ? Quelle est notre place, nous, en tant qu'ingénieur ?

Après, en 2019 / 2020, effet Greta Thunberg, malgré tout, dans les écoles, il y a eu un déclic, où toutes les écoles se rendent compte qu'il faut enseigner ces thématiques mais ne savent pas forcément quoi en dire ou n'ont pas d'exemple de projets intéressants dans lesquels un ingénieur peut avoir un rôle.

C'était ça qui avait pas mal pris de mon temps. Ce qui m'a amené toujours courant 2019 / 2020 à fonder l'Institut Transitions avec plusieurs copains lyonnais.

Avant d'aborder ce sujet, j'ai quelques questions. Tu as parlé de répliquer les bonnes idées. Tu as abordé le fait de montrer ces bonnes idées, les alternatives dans les entreprises, les entrepreneurs, les étudiants. Quelles sont les pistes autres pour répliquer les bonnes idées ? Est-ce que ça passe par de l'open source ? Qu'est-ce que tu as retenu par rapport à ça, que tu peux résumer en quelques minutes ?

Alors je dirais clairement qu'il y a tout un mouvement qui est un peu comment des citoyens, des makers peuvent se mettent à produire. En tout cas, moi j'aime beaucoup cette vision des choses. C'est ce qu'on a pu voir, par exemple, au moment du covid, avec le sujet des visières. Par exemple, en Auvergne-Rhône-Alpes, très vite, on avait un collectif de citoyens makers, qui a près de 300 personnes, dont certains avaient des imprimantes 3D, qui se sont dit "si je peux être utile à quelque chose, je n'ai pas de soucis à donner de mon temps et mon énergie". En parallèle, il y avait énormément de modèles de CAO de visière qui circulaient en open source. Près 80000 visières qui ont été fabriquées et distribuées. Voilà comment en collaborant, en s'appuyant sur l'open source, on arrive à ce que des bonnes idées se répliquent et finalement, tout à chacun peut être impliqué. On avait un étudiant, lycéen même à un retraité qui avait sa petite imprimante 3D pour faire du modélisme.

Est-ce que tu te bats ou est-ce que tu essaies de déconstruire le discours, de la logique start-up, même dans le domaine environnemental et social, c'est à dire se cramer, cramer les salariés tout en visant le gain financier lors de la revente ?

J'ai jamais été sur un projet dont l'objectif final a été la revente. C'est toujours un modèle qui n'a pas fait sens pour moi.

J'imagine qu'il y a beaucoup d'étudiants qui rêvent de créer leur propre start-up. Est-ce que tu essaie de déconstruire cette logique là, en sortant d'école qu'il y a deux voie, la voie de l'industrie classique, où on gagne très bien sa vie, et la voie de l'entrepreneur où on se crame et il faut juste viser la revente.

Clairement ! Il y a un module à l'INSA Lyon qui s'appelle "Inspire". C'est du montage de projet responsable. Et je crois qu'on ne parle jamais de revente dans le cadre de ce module. Par contre, une chose sur laquelle on va beaucoup insister, par exemple, c'est quelle est la raison d'être de ce projet. Si, finalement, la seule réponse que vous avez à nous apporter à ça, c'est de se faire de l'argent, on ne le valide pas. Ce n'est pas un projet sur lequel les étudiants ont le droit de travailler pendant nos réflexions.

Autant on est très ouvert sur ce qui peut faire sens pour eux, que ce soit protéger la nature, s'occuper des déchets, faire le lien pour des femmes isolées, les réponses sont très larges. Par contre, il faut quand même que ça soit quelque chose qui doit respecter le vivant d'une certaine façon.

Tous les projets entrepreneuriaux ne sont pas bons à lancer, clairement. Et même tous les tous les projets qui se veulent écologiques sont parfois vraiment un peu naïf dans l'approche

Ou contreproductif. Est-ce que tu pousses aussi des statuts d'entreprises un peu différent, du type association ou coopérative ?

Ce n'est pas le statut qui fait la raison d'être ou qui donne le sens forcément à un projet.

En général, le choix du statut se fait sur des choix qui peuvent être tout simplement du plus pratique selon son business model.

On peut avoir des associations qui sont très pourries, tout comme on peut avoir une entreprise classique en termes de statut, mais qui va avoir une gouvernance un peu plus horizontale, par exemple, ou qui va tout simplement concevoir des produits qui ont une raison d'être, qui sont plus utiles. Donc, sur ça, je dirais, ça dépend.

Par contre, un statut pour lequel on voit de plus en plus de choses apparaître, c'est vraiment le statut de coopérative.

On a par exemple l'association des Licoornes où on va retrouver des entreprises comme RailCoop, Telecoop, etc. et là, il y a vraiment des choses intéressantes qui sont permis grâce au statut de la coopérative.

En préparant le podcast, j'ai lu, il me semble sur ton site la Clavette, que 90% des ingénieurs travaillent pour le bien-être de 10% de la population. Ça m'a frappé. Ça vient d'où cette stat ?

Je cherche encore la source, c'est le Low-tech Lab qui le partageait à l'époque.

Je pense que c'est juste, le fait de l'exprimer, globalement, cela devrait être juste si on regarde qui profite des richesses au niveau mondial, même au niveau national...

En tout cas, je pense que ça recoupe plusieurs choses : le fait de se rendre compte que finalement, les 10% des plus riches au niveau mondial, on parle de qui ? Potentiellement ça peut déjà être nous, selon certaines grilles de lecture. J'ai l'intime conviction qu'on est trop d'ingénieur, en fait, d'une certaine façon. Autant je pense qu'il faut toujours qu'il y ait des ingénieurs qui réfléchissent à des problématiques techniques, et encore du développement de la recherche, etc., ça j'y crois. Mais je ne sais pas si on a besoin d'être aussi nombreux. Si on est aussi nombreux, c'est pour développer énormément de produits, énormément de services. Mais si on tend vers plus de sobriété, potentiellement, c'est aussi dire qu'on n'a pas besoin d'autant d'ingénieurs.

Et de Machine à café connectée en bluetooth

Exactement.

Tu avais abordé l'Institut Transitions avant que je te coupe. Donc tu as fait le tour du monde des initiatives d'ingénierie positive. Et donc, qu'est ce qui te passe par la tête ? Monter un institut de la transition ou des transitions, Institut Transitions. Donc, quel est l'objectif de cette association et et pourquoi te lancer là-dedans ? Franchement, tu n'es pas un peu folle ? (rires)

Si j'écoutais ma mère, elle dirait que je suis toujours un peu folle dans mes projets. En gros, c'est parti d'un constat qui est finalement assez simple, autant on a commencé à avoir de plus en plus de mouvement dans le supérieur, c'est à dire qu'avec les personnes, les co-fondateurs de l'institut, quasiment tout le monde faisait des cours dans le supérieur, commençait à parler de sujets environnementaux, de solidarité, des choses comme ça. Mais on se disait qu'en fait, on a quoi comme option pour les personnes qui sont déjà en poste, qui ont 30, 40 ans, de l'expérience, des compétences ?

Et par le biais de la Clavette, j'étais très souvent contacté par des ingénieurs, qui allait de jeunes diplômés à proche de la retraite et qui me disaient être très inspirés par les projets que montrés avec la Clavette, être totalement alignés avec la façon de voir les choses.
"Où est-ce que je pourrais aller ? Quels sont les projets où je pourrais contribuer ? Il faut absolument que je puisse sortir de ma boîte", etc. Et à chaque fois, j'étais toujours un petit peu coincé avec ces profils, parce que je me suis dit, clairement, il n'y avait aucun problème sur la bonne volonté. Ça se voyait que c'était des personnes qui ont vraiment été animées pour vouloir contribuer à une transition écologique et solidaire.

Mais il y avait un manque d'acculturation, d'une certaine façon. Souvent je disais que ça vaudrait la peine de vous immerger dans le milieu de la transition, de comprendre de quoi on parle, quand on parle d'inégalités, de discrimination, de justice écologique, de justice sociale, des choses comme ça, et tout simplement pour que vous soyez à l'aise et pertinents dans ces milieux professionnels.

Et l'autre aspect, c'était sur quoi vous voulez travailler ? Quelque chose qu'on me disait souvent, c'est : "moi je peux bosser dans n'importe quel projet, tant que c'est un projet qui fait sens". Et, en fait, ça, c'est très compliqué d'un point de vue insertion professionnelle. Dans un sens, si vous savez tout faire, vous ne savez rien faire d'une certaine façon. Il y avait donc un travail de détermination des savoirs. Qu'est-ce qui serait pertinent pour cette personne ou est-ce que on aurait un bon "match", entre un projet qui chercherait ces compétences et la personne qui sera alignée sur ça.

Cela faisait 2 ans, 3 ans et j'étais frustré de pas avoir de réponse d'organismes de formations sur Lyon qui fasse sens pour pouvoir aider ces profils. Et en parallèle, mes camarades qui étaient surtout investis à l'association Anciela qui est sur l'engagement citoyen, disaient : "en fait, on a les mêmes constats, et on réfléchit à faire un organisme de formation". Et c'est pour ça qu'on s'est dit "banco !", ça fait sens dans mon secteur d'industrie, je vois qu'il y a un réel besoin, et eux, ils ont fait les mêmes constats dans différents secteurs. On en avait une qui était plus proche des milieux de l'agriculture. Ceux qui étaient sur l'engagement citoyen, sur le médico-social, ils avaient le même constat. Donc il y avait vraiment un besoin de le faire.

S'il y a un besoin et qu'on voit que personne n'y répond pas, pourquoi pas se lancer ?

On est d'accord, ça va au delà du bilan de compétences ? Il y a de la formation, mais il y a aussi une aide à trouver son secteur, son domaine, ses entreprises ? [24:10]

Comment on a réfléchi le programme ? Le programme "Nouvelles Voies" c'est le programme phare de l'Institut Transitions d'une durée d'un an. Il commence en septembre et ils rendent leur mémoire fin septembre de l'année suivante.

Et durant cette année, il y a trois briques qu'on développe. Une première brique, c'est des apports de connaissances : les différentes rubriques à connaître au sein de la transition avec des professeurs passionnés pour chacune de ces thématiques. Par exemple, moi, je viens avec mes sujets : qu'est ce que produire autrement, comment est-ce qu'on peut repenser l'industrie ? Et chacun vient avec ses thématiques, découvre aussi sur des monter en compétences par exemple, qu'est-ce que monter un événement responsable. Moi, je suis sur un cours de prise de parole, puisque, quand on est dans des organisations de la transition, souvent il y a des enjeux, à savoir exprimer sur quels enjeux on travaille ou expliquer son parcours, comme je suis en train de faire aujourd'hui.

Et on va voir aussi des cours qui vont être plutôt des cours collectifs, ce qu'on appelle des "temps parcours" où on va réfléchir à des thématiques sur, par exemple, la légitimité, qui est un gros enjeu. Aussi, des sujets de faire des choix. Tout cela est donc la brique cours / formation.

Après, le cœur presque du programme c'est l'accompagnement. En fait, l'accompagnement on le formalise sous la forme d'un mémoire. Ça veut dire qu'on demande à nos apprenants d'identifier une problématique qui leur tient à cœur, qui les anime vraiment. Des fois on parle de quelle est leur étoile, pour être plus poétique, autrement dit, quel est vraiment le sujet que vous avez envie de creuser.

Et tout le long de l'année, vous allez avoir deux accompagnateurs qui vont vous voir tous les mois pour vous aider à avancer sur ce sujet, pour vous aider à vous orienter vers des lectures qui peuvent enrichir. Ça peut être aussi des contacts. On invite beaucoup les apprenants à faire des entretiens avec des personnes qui travaillent sur ces sujets ou qui sont proches de bénéficiaires, d'utilisateurs que cela concerne.

Pour monter en légitimité, monter en connaissances, en légitimité, en contact et potentiellement, ça nous est déjà arrivé, par exemple, au détour d'un entretien, on a une personne qui rencontre quelqu'un de très inspirant et à la fin de l'année, finalement, ils travaillent ensemble.

Et la troisième brique qu'on a, c'est le "passage à l'action". Ce sont des missions où on est un peu entre le stage et le conseil, avec la posture de consultant. En gros, ce sont des organisations du territoire lyonnais qui sont dans la transition et qui pourraient avoir différents enjeux. Un exemple très pratique, ça peut être des fois des enjeux techniques, comme pour les composteurs des alchimistes. Ils nous disaient : notre compost peut gêner le voisinage. Du coup, comment peut-on trouver peut-être des solutions à ce problème ?

Autre exemple, cela peut être des enjeux de communication. On réfléchit à comment est-ce qu'on peut toucher de nouveaux publics ? Comment est-ce qu'on peut avoir des bénévoles qui sont plus impliqués.

Ou des études aussi, par exemple, on a eu l'entreprise Elise, qui travaille sur les déchets dans le cadre professionnel, qui disait qu'on aimerait bien avoir une vision de notre impact carbone, puisque on est une entreprise qui travaille sur des sujets et des déchets sur l'environnement, mais on aimerait savoir si on pourrait faire mieux. Est-ce qu'il y a des angles morts qu'on a raté, et qu'on pourrait améliorer.

En résumé, toutes ces missions, l'idée pour les apprenants, c'est passer à l'action et se rendre compte ils sont utiles déjà avec les compétences qu'ils avaient dans leur vie professionnelle et celles qu'ils développent avec l'Institut.

L'objectif, à la fin de l'année "Nouvelle voie" c'est qu'ils aient une identité qui puisse être identifiée sur le territoire, comme quelqu'un travaillant sur ces sujets. Je vous donne un exemple précis qu'on a eu sur la première année, une personne qui travaillait sur le sujet de la consigne. Maintenant, si j'ai des questions autour du sujet de la consigne, je sais très bien que c'est la personne à contacter. Et de même sur le territoire, elle commence à être très bien identifiée par des acteurs qui sont sur ce sujet.

Chacun trouve un peu une identité qui va potentiellement l'amener vers son job.

Parlons sous. Ça coûte combien une formation, un accompagnement par l'Institut Transitions ?

Pour l'année qui arrive, les inscriptions vont commencer à partir d'avril, on est à 5200 euros l'année. Et ça peut être financé en OPCO c'est-à-dire que l'employeur, dans certains cas, qui contribuent à une partie du financement de la formation.

C'est vraiment un accompagnement sur sur une année complète. Et c'est uniquement ouvert aux lyonnais ? Y a t-il d'autres initiatives similaires ailleurs qu'à Lyon, je pense notamment à l'institut des futurs souhaitables mais peut-être, c'est autre chose.

Pour moins bien les connaître, les connaître plus par des personnes qui ont pu faire l'institut des futurs souhaitables, on va être beaucoup sur le récit, par exemple, sur les futurs souhaitables. Nous on va avoir un côté très action, très réflexion.

Ma question de départ, l'Institut Transitions est uniquement ouvert aux lyonnais ou est-ce qu'on peut suivre à distance ?

C'est plus pertinent pour les personnes qui sont sur le territoire lyonnais, puisqu'en fait quasiment tous nos contacts ce sont des personnes lyonnaise. Il y a des questions aussi qui sont très locales par exemple sur l'agriculture. Ce sont des questions qui sont différentes qu'on soit sur un territoire breton, qu'on soit en région parisienne ou qu'on soit à Lyon.

On s'est rendu compte qu'on a quand même des personnes des bords de la région qui s'inscrivent, par exemple de Chambéry, de Grenoble, de Bourgoin-Jallieu, des environs, tout simplement parce qu'il n'y a pas de réponse en termes de formation. On a aussi beaucoup de personnes qui déménagent pour venir sur Lyon. Ce sont des parisiens qui descendent à Lyon et qui se disent que c'est une super façon de s'installer, que cela permet de faire très vite un cercle social et de suite être sur nos enjeux.

Et enfin, la dernière option qu'on a vu, c'est des personnes qui font l'Institut à Lyon, ils vont monter en compétence sur leur sujet, mais durant l'année, il s'avère qu'ils doivent déménager l'année d'après, très souvent pour des raisons de couples, Ils montent en compétence à Lyon, ils apprennent ce qu'il y a à apprendre du territoire lyonnais et ils verront comment ils peuvent appliquer ça sur mon autre territoire.

Par contre, si un breton voudrait réfléchir à se reconvertir pour bosser en Bretagne, et il a toujours habité en Bretagne, il ne compte pas bouger de la Bretagne, je lui dirais de rester en Bretagne et de regarder quel autre organisme peut y avoir sur ces sujets.

Et le terme transition, est-ce qu'il a toujours un sens pour toi ?

Je n'aime pas passer six heures sur la définition des mots. Ce qui m'intéresse avec "transition" c'est qu'on va contribuer à des organisations qui vont dans une direction qui fait sens pour nous, vers plus d'écologie, vers plus de solidarité. Après, est-ce que c'est une transition ou est-ce que c'est une rupture, la réponse dépend à chaque fois selon les contextes. Je continue à dire que ça fait sens, à défaut d'avoir un autre mot sur lequel aller. En fait, il y a toujours une mode des mots. On parle, par exemple, beaucoup d'entreprises régénératives. Même si a plein de choses intéressantes qui sont mis sous ce mot, il n'y a pas de révolution non plus.

Pour qui et pour quoi travailler ?

Quitter ou ne pas quitter ces entreprises. Les choses assez classiques.

Alors, là on n'est pas dans le "quitter". Mais plutôt vers qui se tourner, en fait. Y a t-il des entreprises qui existent et quel domaine où il y a de l'emploi. Ma question derrière ça, quels sont les domaines où il manque des ingénieurs, par exemple, ou autres d'ailleurs, dans le domaine environnemental et social ?

On va prendre le cas d'une réflexion pour un profil un peu ingénieur technique. La première question à se poser sur ce type de profil, c'est son rapport à la technique. Ce que j'entends par là, c'est : est-ce que c'est quelqu'un qui veut rester dans la technique, ou est-ce que c'est quelqu'un qui veut quitter la technique ? Dans le cas de quelqu'un qui veut quitter la technique, quelles sont les compétences qu'on va retrouver qui vont être intéressantes à remobiliser.

Typiquement le profil qu'on peut avoir c'est le chef de projet. Le chef de projet, la cheffe de projet qui sait un peu tout faire, mais qui n'est pas sur le terrain, plutôt habitué à superviser. Dans les emplois de la transition, on va avoir besoin de ce type de profil. Ce sont des profits qui font avancer les choses. On parlait de consignes tout à l'heure, comment gérer la distribution de contenants, comment est-ce qu'on organise toute une boucle, les liens avec les partenaires, etc.

Même sur des sujets de solidarité, par exemple les projets du type "La cravate solidaire". Ils récupèrent des vêtements professionnels pour le donner à des personnes en recherche d'emploi et faire aussi de l'accompagnement des personnes pour retrouver un emploi. Vous avez besoin de personnes qui font avancer ces projets, qu'elles les structurent, qui font en sorte que ça avance. Le milieu de la transition, de plus en plus, se professionnalisme.
Avant, le milieu de la transition, c'était des petites associations, des petites initiatives, à droite, à gauche, qui pouvaient balbutiées. Là, on commence à avoir des organisations qui deviennent assez importantes. On parlait des Alchimistes tout à l'heure, en compostage.
Les Alchimistes vont bientôt avoir à gérer quasiment tous les déchets organiques de France. Ça commence à devenir vraiment de très gros projets qui vont fortement employer.

Qui dit professionnalisation, dit besoin de compétences qu'on va retrouver dans des entreprises plus classiques. Donc, ça, c'est pour le profil de ceux qui veulent quitter la technique mais en gardant un peu les compétences qu'il savait faire.

Et après, il y a toute la question de ceux qui veulent rester plus dans la technique. Là, il y a plusieurs pistes. Dans tous les cas, on ne va pas pouvoir se passer de technique dans notre quotidien. Le fait est que beaucoup de nos infrastructures sont techniques, vont emprunter soit du numérique, soit de l'industrie plus ou moins lourde. Et donc on est obligé de faire avec. Par contre, l'objectif, c'est qu'on arrive à faire mieux par rapport à ce qui existe. Il faudra des personnes techniques qui vont toujours bosser chez RTE, qui vont toujours bosser sur des sujets: énergie, bâtiment, etc. L'objectif, c'est qu'ils le fassent avec le plus de connaissances sur des sujets environnementaux pour prendre les bonnes décisions.

Ensuite, on a tout ce qui est autour de la recherche. On aura toujours de la recherche qui fasse sens. Un exemple, un super projet qui s'appelle SoScience, porté par Mélanie Marcel, axé recherche responsable.

Et après, on va avoir tout ce qui va être des des initiatives plus émergentes. Ce que j'entends par là, c'est par exemple le développement qu'on voit autour du cycle. On voit des boutiques qui poussent tous les mois en ville. En termes d'emplois, cela emploie énormément de personnes. Si on veut réduire le déplacement en voiture classique, il faut bien que, en face, on développe énormément le cycle. C'est une voie où il y a énormément de travail.

Tu l'as évoqué un peu, quitter, quitter son travail. Il y a en ce moment une vague de désertion, notamment des ingénieurs. Qu'est-ce que tu penses de ceux qui veulent vraiment quitter leur entreprise, mais aussi leur emploi en fait, qui quitte vraiment tout et qui font vraiment autre chose. Est-ce que tu comprends cette démarche, même si tu l'a un peu évoqué, on aura toujours besoin d'ingénieur. Est-ce que tu invites tous ces ingénieurs à revenir, mais dans le giron de l'économie sociale et solidaire ?

A l'Institut Transition, nous avons une grille pour réfléchir à ça. Est-ce que son entreprise fait sens dans la transition qu'on a envie ? Chacun à titre personnel peut avoir des réponses différentes par rapport à ça. Est-ce que cette entreprise doit exister ? Il y a des entreprises très polluantes, mais qui est à l'heure actuelle, doivent exister. Total doit exister. Total est très polluante mais à l'heure actuelle, on n'a pas d'autres solutions. On va faire en sorte que des personnes bien lunées, soient à Total. Donc, première première question : est-ce que son entreprise fait sens, ou non, et donc ce que ça sous-entend, c'est qu'on va arrêter de donner son énergie à des entreprises qui ne font pas sens dans la transition : entreprises gadgets, entreprises qui nourrissent des produits ou des services qui n'ont pas forcément d'utilité d'après soi.

Le deuxième sujet, si on a envie de rester pour essayer de faire bouger son entreprise, est-ce que cette entreprise a la capacité de bouger ? Il y a des entreprises qui font sens, mais qui sont tellement sclérosée par pleins de lourdeurs que ça soit d'ordre managérial, la culture de l'entreprise... Des entreprises, au bout d'un moment quand ce n'était pas leur culture d'être engagée pour la transition, du jour au lendemain, vous essayez de faire bouger tout ça, ce n'est pas si facile.

La troisième question, êtes-vous la bonne personne ? Est-ce que vous avez envie d'être la personne qui va amener ce changement ? Est-ce que vous êtes assez patients ? La qualité que je recommande aux personnes qui veulent faire bouger leur entreprise, c'est à quel point vous êtes patients, à quel point vous êtes capable de supporter que ça ne marche pas une fois, deux fois, trois fois. Cela a marché la cinquième fois, tant mieux, mais vous avez tenu jusqu'à la cinquième fois pour voir le changement.

Si vous répondez à ces trois questions, dans ce cas oui, rester dans vos organisations. Ne quittez pas forcément votre organisation. Rester, faites-la bouger, pour la faire avancer.

Par contre, si vous n'y trouvez pas sens, n'hésitez pas à en bouger. Souvent, je suis étonnée quand je vois les personnes en entretien, quand elles s'inscrivent à l'Institut Transitions, ce sont des personnes qui ont un peu honte de leur décision de démissionner, et qui ne sont pas bien par rapport à ça. Au bout d'un moment, quand on quitte son entreprise parce que ça correspond pas à ses valeurs, je trouve que c'est tout ce qu'il y a de plus sain.

Au contraire, tant mieux, vous avez eu le courage de le faire parce que, après tout, c'est pas facile quand on est cadre, quand on est ingénieur, on peut très souvent se retrouver dans ce que j'appelle la prison dorée. Ça veut dire qu'on est dans une situation où on a l'impression d'avoir une bonne image sociale, on a une bonne rémunération. On a très souvent un contexte, où on s'entend bien avec ses collègues ou d'un point de vue vie sociale, tout va bien. Et du coup, on se dit, mais pourquoi est-ce que je quitterai ça ? C'est vraiment la prison dorée, d'une certaine façon.

Tandis que quand on est dans une situation où on est mal payés que le travail est ingrat et qu'on ne s'épanouit pas, c'est plus facile de partir pour aller trouver un autre job qui fait plus sens.

Quand on est habitué à être dans des métiers classiques de l'industrie, on se rend pas compte, en fait, qu'il y a énormément d'autres initiatives, d'autres entreprises, dans les associations par exemple. Et quand on commence à mettre un pied un peu dans le monde de la transition, c'est comme si on mettait des lunettes. Je ne me rendais pas compte que même dans ma rue, il y avait plusieurs projets de transition, mais je ne m'étais pas arrêté. Ou que dans mes connaissances, il y en a qui travaillent sur ces différents sujets qui peuvent me plaire. Les perspectives sont beaucoup plus larges. Et un des gros enjeux, avec l'Institut Transitions, c'est d'élargir les perspectives des personnes et d'aller au delà des choix A ou B, de découvrir beaucoup plus de choix.

Reparlons sous. Quel salaire peut-on s'attendre dans le domaine de la transition écologique et solidaire ? Tu parlais de prison dorée. Peut-on imaginer une prison dorée dans la transition écologique et solidaire ?

Pour reformuler la question, est-ce qu'on s'attend à une prison dorée ? Est-ce que c'est souhaitable de rester dans une chambre dorée ? On a beaucoup de personnes qui veulent travailler dans la transition, mais de garder le même salaire, 6000 euros mensuels, par exemple et d'être sur des sujets qui font sens. C'est quelque chose qui, moi-même, m'a fallu quelque temps à déconstruire, car si on veut une transition qui soit plus solidaire, on va s'arrêter surtout sur le mot solidaire, on ne peut pas avoir une transition solidaire où tout le monde gagne 6000 euros par mois. En fait, ça ne fait pas sens.

On peut regarder les chiffres de la la répartition des richesses, les revenus moyens, les revenus moyens sont plus proches de 1900, 2000 euros environ. Avoir cette conscience de dire que souvent, dans les milieux techniques, on est incroyablement bien payé, c'est largement trop payé par rapport à ce qui pourrait faire sens d'un point de vue collectif.

En mettant en perspective notre revenue vis-à-vis des impacts environnementaux qu'on génère.

Dans tous les cas, si on est dans une réflexion de sobriété, d'une société plus sobre, tout simplement, quand on a 6000 euros par mois c'est très dur d'être sobre. Un mode de vie plus sobre n'a pas besoin d'autant de revenu.

Par contre, pour pourtant, pour contrebalancer ça, on n'est pas obligé d'être martyr et de ne pas souffrir pour travailler dans la transition écologique et solidaire, d'avoir un revenu qui nous paraît décent, qui nous permet de subvenir à nos besoins et qui nous apporte de la sécurité.

La question que je pose souvent aux apprenants quand ils ont leurs craintes par rapport aux revenus, c'est quel est le revenu qui vous amène de la sécurité. Parce qu'en fait, c'est toujours une balance entre sécurité et liberté. Vouloir chercher un salaire trop haut, on se retrouve à faire des compromis et même des compromissions et de se retrouver perdre en liberté. Par contre, si on descend le curseur de ses revenus, on a plus de choix, d'offres de jobs, plus de possibilités, par exemple, de fin du temps partiel aussi, et d'être sur des projets bénévoles.

On pourrait pas dire, par exemple que 1500 euros est un revenu qui est censé vous amener de la sécurité. En fait, c'est faux. Je connais des personnes qui avec le RSA se considèrent déjà largement en sécurité, où il n'y a pas de soucis. A contrario des personnes célibataires qui vont dire en dessous de 2000, 3000 net se sentent insécurisés. Cela vient toucher chacun son rapport à l'argent, qui peut être assez variable.

Donc le salaire est un sujet que vous traitez durant l'accompagnement ?

C'est aussi un sujet qui peut revenir très souvent. Sur la première promo, même, ils nous avaient demandé de prendre un temps pour qu'on en discute, à quoi ils peuvent s'attendre. Là on a les chiffres de notre première promo. On leur envoie un questionnaire six mois, douze mois après la sortie. On est sur un salaire moyen de 2320 euros brut, avec des métiers assez différents. On est un peu au-dessus de la moyenne de l'emploi classique et qui n'est pas, le SMIC, d'une certaine façon. On a 83% qui déclarent travailler dans des structures de la transition. Puis, quand on regarde dans le détail les structures qui ne le sont pas, c'était par exemple des organismes publics, mais qui, dans le fond sont sur des sujets de transition. C'est juste que toute la structure n'est pas directement sur la transition.

Et tu as un autre engagement, sans doute lié également à cet engagement dans la transition écologique et solidaire, c'est porter la voix des femmes ingénieurs. On t'entend de plus en plus sur ce sujet. Qu'est-ce que tu peux nous en dire ? Est-ce que ce les femmes sont de plus en plus dans les cursus ingénieur ou pas du tout ?

On a une augmentation, une féminisation progressive, des femmes ingénieures. Je n'étais pas forcément impliquée sur le sujet de femmes en ingénierie au sens large, mais par contre, c'est vraiment mon implication dans les sujets de transition écologique et sociale qui m'a fait naître une envie que plus de femmes s'expriment. Ce que j'entends par ça, c'est qu'en en fait dans les milieux de la transition écologique et solidaire, clairement, il y a une grosse part féminine. Nous, à l'Institut Transitions on a souvent dans les promos entre deux tiers jusqu'à trois quarts de femmes.

Dans plein d'autres structures qui vont parler d'engagement citoyen ou écologique, il y a toujours énormément de femmes. De la même façon, dans les profils ingénieurs, je trouve pas mal de femmes ingénieures, dans les entrepreneurs sociales, je trouve pas mal de femmes. Et c'est là où je me suis dit que c'est tellement dommage, puisqu'on est dans un domaine, finalement, qui est assez féminisé malgré tout, et pour autant, on voit que dans les sujets de transition, ça reste encore beaucoup d'hommes qui parlent. Et on retrouve les mêmes biais encore d'avoir énormément d'hommes qui prennent la parole par habitudes culturelles. C'est en cela où sur ces sujets de transition, il y a vraiment une possibilité pour laisser la place à plus de femmes de s'exprimer, dont les femmes ingénieures.

Une dernière question, quelles perspectives pour l'Institut Transitions, pour toi personnellement, l'année qui vient, les cinq prochaines années, voire plus ?

Tant que ça fait sens qu'on existe, je pense qu'on existera. Et si jamais, un moment, ça fait plus sens, j'ose espérer qu'on aura la sagesse d'aller sur d'autres sujets. Notre but, c'est vraiment d'avoir un stéthoscope sur le territoire, d'entendre les besoins.

Par exemple, on a actuellement un programme qu'on développe qui s'appelle boîte à outils, où le but, c'est d'outiller des initiatives de la transition écologique, sur des sujets de management, de comment recruter, le droit, des sujets très pratiques, mais qui sont orientés sur les organisations de la transition. On se rend compte qu'en fait les formations classiques ne sont pas forcément approprié. C'est un besoin qui nous est revenu du terrain.

Et donc potentiellement, il y aura d'autres besoins qu'on va couvrir petit à petit. Moi, ce qui me plairait aussi à voir avec l'Institut Transitions, c'est qu'on développe aussi des formations avec différentes organisations. On a pu aider, par exemple, la ville d'Orléans qui nous demandait de former les agents sur les enjeux environnementaux. Mais il y a plein d'autres sujets sur lesquels on pourrait aider d'autres organisations, des entreprises ou autres à se former : d'aller plus dans la transition écologique et solidaire,d'être une entreprise régénérative, etc. Quelles sont les formations qu'on peut donner à vos équipes pour avancer sur ça et je pense qu'il y a encore tout un champ qu'on n'a pas assez creusé qui existe.

Quand on voit des projets comme la CEC, la Convention des Entreprises pour le Climat, qui fédère énormément d'entreprises, si ça avance vraiment dans des actions concrètes, il va vraiment y avoir des besoins de formation et des besoins de personnes formées à ces enjeux. Donc voilà, on verra. On se croisera dans 5 ans pour te dire comment ça a évolué.

Avec plaisir même avant. Merci, isabelle, de nous avoir partagé ton expérience, ton engagement.

À bientôt