Le logiciel libre pour un numérique plus soutenable ?

Épisode 85 publié le 11/01/2024

Mathilde Longuet et Pierre-Yves Gibello

Mathilde Longuet et Pierre-Yves Gibello

Mathilde Longuet est ingénieure informatique issue de l’UTC Compiègne, technologue, croisant sciences, techniques et études de leurs impacts sociaux. Elle a contribué à divers projets en appliquant les philosophies du libre. Aujourd’hui, elle porte le projet de la fondation Owntech, sous l’égide de la fondation CNRS, dans le domaine de l’énergie. Pierre-Yves Gibello est directeur général de la communauté du logiciel libre OW2. Cela fait plus de 25 ans qu’il s'implique dans l’open-source. Pour le Conseil des logiciels libres et la DINUM, il a piloté une étude “Apports du logiciel libre à la durabilité des équipements” en lien avec la future mise en place de l’indice de durabilité des équipements. Enregistrement de cet épisode en direct et en public durant l’évènement Open Source Experience 2023 et animé par Richard Hanna.

Écouter

En écoutant cet épisode, vous téléchargerez 28 Mo de données.

Évènement à ne pas manquer

La réalité minière du numérique, Rencontre avec Celia Izoard le 4 mai 2024 à Paris, organisée par Point de MIR et animée par Techologie. Infos et inscription

Sommaire

En savoir plus

Transcription

Extrait

Pierre-Yves :

Le problème, c'est qu'on a une grosse décorélation de cycle de vie entre le logiciel et le matériel. C'est-à-dire qu'on a du matériel qui est quand même fonctionnel assez longtemps, souvent, qui peut durer cinq ans, dix ans, des fois vingt ans.

Mathilde :

On a besoin de changements plus globaux sur nos modes de production et sur la croyance que la technologie va nous sauver. On a besoin de plus penser techno-discernement et de quelle technologie on a vraiment besoin de produire.

Introduction

Bienvenue sur Open Source Experience. C'est un événement durant ces deux jours, 6 et 7 décembre, et il y a une track numérique responsable.

Dans ce cadre-là, j'ai proposé de faire un enregistrement du podcast Techologie, que j'anime depuis cinq ans maintenant.

C'est une des grandes premières en live comme ça, du podcast.

On va parler du logiciel libre. Est-ce que c'est nécessaire et suffisant pour un numérique plus soutenable ?

Je suis l'animateur du podcast, Richard Hanna, animateur du podcast Técologie.

Pour parler du logiciel libre et de numérique soutenable, on a avec nous Mathilde Languet. Tu es ingénieure informatique de l'UTC Compiègne. Tu es technologue, c'est-à-dire que tu croises sciences techniques et études des impacts sociaux. Tu as contribué à différents projets en appliquant les philosophies du libre.
Et aujourd'hui, tu portes un projet de la fondation OwnTech qui est sous égide de la fondation CNRS, dans le domaine de l'énergie. Tu vas nous en parler tout à l'heure.

Et avec nous aussi, Pierre-Yves Gibello. Tu es directeur général de la communauté du logiciel libre OW2. Cela fait plus de 25 ans que tu t'impliques dans l'open source. Et pour le conseil des logiciels libres et la DINUM, tu as piloté une étude "Les apports du logiciel libre à la durabilité des équipements" en lien avec la future mise en place de l'indice de durabilité des équipements, qui arrive en janvier 2024.

Mathilde, peux-tu nous parler des objectifs de la fondation OwnTech ?

Les objectifs de la fondation OwnTech sont de faciliter les connaissances et savoir-faire dans un domaine phare de l'électrification, qu'on appelle électronique de puissance.

L'électronique de puissance sert à faire les transformations électriques, soit baisser ou augmenter, onduler la tension et le courant.

Au CNRS, parce que c'est, comme tu l'as dit, fondation sous égide du CNRS, on a développé un convertisseur électrique programmable et donc open source, que ce soit sur la partie hardware ou software.

Et avec ça, on peut faire du contrôle moteur, de la gestion de panneaux solaires, de la gestion de batterie.

Et l'objectif derrière tout ça, c'est de démocratiser les savoir-faire autour de l'électrification et faire une sorte de Arduino de l'énergie, avec des propositions de formation autour de l'électrification.

Et Pierre-Yves, pareil, même question. Quels sont les objectifs de l'association OW2 ?

OW2 héberge des projets open source, anime une communauté et fait du lobbying, on peut le dire comme ça, est un acteur politique qui défend l'open source au sens général.

On est orienté historiquement sur l'open source professionnel. On a une communauté d'adhérents qui sont des organisations de diverses tailles, certaines vraiment du monde de l'entreprise, ça va de la TPE d'une personne jusqu'au très grand groupe.

On a Huawei par exemple, Orange aussi qui est notre gros supporter, qui est un de nos fondateurs et qui nous a soutenus depuis le début.

On a un background académique aussi au départ. On a beaucoup d'académiques dès le début de l'histoire, donc on a toujours une connexion forte avec le monde académique.

On a quelques beaux institutionnels aussi du secteur public, gendarmerie nationale, ville de Paris qui sont sur notre stand d'ailleurs cette année.

Et on a des individus, on peut s'inscrire. Pour les individus c'est gratuit, les autres payent des cotisations. Les individus ont même un siège au conseil d'administration.

On a une gouvernance ouverte, on est une asso avec un conseil d'administration bénévole, un président élu, c'est pas moi, moi je suis DG, donc nous on est l'équipe de salariés qui font tourner l'association.

Est-ce que le législateur doit-il rendre obligatoire l'ouverture des codes source des logiciels critiques, tout comme les logiciels pilotes des équipements, donc les drivers, comme notamment pour les équipements du type IoT, l'internet des objets, Pierre-Yves ?

Je ne sais pas s'il faut aller forcément jusque-là, sauf peut-être sur des points extrêmement critiques où ça serait extrêmement dangereux de ne pas le faire.

Mais par contre ce qui est essentiel c'est qu'il existe des alternatives libres, ou la possibilité d'en mettre en œuvre, c'est-à-dire que les API soient ouvertes, que les spécifications soient ouvertes et libres, c'est-à-dire qu'on puisse développer des alternatives qu'elles soient libres ou pas, mais bon dans ces cas-là il y a très vite des alternatives libres qui se développent, qui permettent de garantir une durabilité et une continuité de service et qu'on n'ait pas des équipements et du matériel qui se retrouvent obsolètes du fait qu'il n'y a plus de logiciels qui permettent de les exploiter.

C'est ce qui a été défendu dans le rapport DINUM également, c'est un peu la position française.

Et Mathilde, est-ce que l'ouverture des fichiers des matériels cette fois-ci, parce qu'on parle de logiciels mais aussi du matériel, ce qu'on appelle peut-être l'open hardware, est-ce que ça permet vraiment plus de réparabilité ?

En fait je dirais que c'est surtout la non-ouverture des fichiers hardware qui empêche de facto de réparer ou de modifier en fait nos outils technologiques.

Quand on a un objet et qu'on n'a pas les outils pour comprendre son fonctionnement, on est obligé de faire du rétro-engineering pour espérer le réparer, ce qui est beaucoup plus complexe, sans parler en plus des techniques qui empêchent volontairement de réparer comme le fait de coller par exemple les batteries de téléphone.

Résultat, aujourd'hui on n'a quasiment aucune carte électronique qui est réparée ou réutilisée, recyclée. La plupart elles sont enfouies ou broyées dans de l'acide pour récupérer l'or en fait qui sert à faire les routages, mais c'est tout. On récupère quasiment pas les composants.

Alors que quand on a du coup les fichiers, enfin quand on a un outil d'open hardware, on peut avoir à la fois la liste des composants, savoir comment en fait la carte fonctionne, donc ce qui permet de comprendre potentiellement la source du problème, et tout simplement avoir la référence du composant permet de la changer en fait. Parce que sinon quand on a une carte comme ça on ne peut pas comprendre son fonctionnement.

Pour rappel, 80% des gaz à effet de serre émis par le numérique viennent de la fabrication, donc que ce soit de l'extraction, l'assemblage ou la transformation des composants, et pour l'instant on est capable de recycler très très peu de ces composants, donc la priorité c'est de les faire durer, et l'allongement de la durée de vie, la réparabilité, la réutilisabilité, elles sont encouragées on va dire par l'open hardware.

Tu parlais donc de l'indice de réparabilité qui devient un indice de durabilité, Pierre-Yves. Comment le facteur logiciel libre s'intègre dans ce futur indice de durabilité ? Je rappelle donc que tu as travaillé sur le sujet et produit un rapport pour les autorités publiques.

Oui alors c'est parti de la DINUM, de son conseil logiciel libre qui a posé clairement la question, il y a un indice de durabilité qui va s'imposer sur les matériels, un petit peu comme la réparabilité.

Donc la question c'était est-ce que la possibilité d'installer un logiciel libre, au départ c'était pour les smartphones et les ordinateurs, accroît ou est un facteur positif pour cet indice de durabilité ? Donc il fallait ramener des éléments dans cet objectif.

Pour ce qu'a dit Mathilde juste avant, 80% des émissions c'est pour les smartphones, les ordinateurs je crois que c'est 75%, c'est une étude ADEME.

Cela veut dire que c'est un vrai enjeu d'augmenter la durabilité et le problème c'est qu'on a une grosse décorélation de cycle de vie entre le logiciel et le matériel.

C'est-à-dire qu'on a du matériel qui est quand même fonctionnel assez longtemps, souvent qui peut durer 5 ans, 10 ans, des fois 20 ans.

Et il y a des roadmaps logiciels, soit c'est de l'obsolescence programmée, on a déjà vu ça, on a vu Apple qui a fait exprès de ralentir ses smartphones, on ne l'a pas inventé.

Ça peut être aussi de l'obsolescence parce que l'acteur économique disparaît. Ou que sa roadmap change ou qu'il est racheté par quelqu'un qui arrête le logiciel, etc.

Donc c'est des cycles de vie plus courts, d'innovation rapide, etc.

Et le logiciel il finit par disparaître ou par ne plus être compatible avec le matériel bien avant la fin de vie.

Donc l'idée c'était de dire à partir du moment par contre où les spécifications sont ouvertes et où il est possible de fournir, de développer une alternative libre, ça permet à la communauté, qui peut être une communauté économique, ce n'est pas le souci, et ça peut même être un logiciel propriétaire, à la limite ce n'est pas la problématique de la Dinum, mais c'est de dire à partir du moment où l'alternative libre est possible, vous pouvez développer un logiciel qui permet d'exploiter ce matériel.

Et donc vous accroissez notablement sa durabilité, parce que l'écosystème va reprendre ça parce que c'est rentable en fait, il y a des acteurs associatifs qui vont peut-être le faire, mais il y a aussi des acteurs économiques qui vont vendre du support, etc.

Et il y avait plein d'exemples de ça, notamment il y a une histoire de Smartwatch connectée qui avait été rachetée par Fitbit qui a abandonné le projet et les utilisateurs n'avaient plus d'appli.

Plus proche, la maison connectée d'Orange qui a fermé ses portes début d'année 2023. Donc on a plein d'équipements, heureusement ça n'a pas trop marché, c'est pourquoi ça a fermé, donc il y a peu d'équipements dans la nature. Mais on se retrouve avec des équipements qui ne sont plus mis à jour, où il n'y a plus de pilote pour faire fonctionner ces équipements de domotique, d'ampoule connectée, etc.

Pierre-Yves :

J'ai vécu le cas personnellement avec une imprimante Canon où les drivers ont été abandonnés, les spécifications n'avaient pas été publiées, et même sous Windows elle était devenue inexploitable.

C'est à dire que non seulement il n'y avait jamais eu de driver Linux, mais en plus quand ils ont arrêté la roadmap, la nouvelle version de Windows, les utilisateurs pouvaient jeter leur imprimante.

Donc l'ouverture des spécifications permet des alternatives libres et ça accroît notablement la durabilité.

Microsoft annonçait adorer Linux dès 2001, sachant que les entreprises et le système économique capitaliste ont largement intégré le logiciel libre à leur compte, et qu'une grande majorité des logiciels libres aujourd'hui font tourner l'infrastructure Internet. Est-ce que le combat pour le logiciel libre est toujours d'actualité ou est-ce que c'est un combat obsolète ?

Il est toujours d'actualité pour la bonne raison qu'on fait face à une arrière-garde féroce qui fait du lobbying, qui nous met des bâtons dans les roues au niveau législatif partout dans le monde.

Sachant qu'à part ça, c'est un combat déjà gagné, si vous lisez le rapport d'Alice Pannier de l'Ifri qui est sorti l'année dernière, ce n'est pas elle qui a sorti ce chiffre, elle l'a récupéré quelque part, mais environ un bon 80% du code des logiciels, tous logiciels confondus, c'est-à-dire que ça inclut le propriétaire, c'est du logiciel libre aujourd'hui, c'est de l'open source.

Donc ça veut dire que l'open source, il n'y a plus que la surface qui surnage au-dessus qui est propriétaire, si on publiait un SBOM d'un logiciel propriétaire, on s'apercevrait que la plupart des dépendances qui sont dedans, c'est du libre.

Donc le combat est déjà gagné, l'infrastructure d'internet c'est beaucoup plus, les supercalculateurs c'est 100%, le cloud ça doit être 90% ou quelque chose comme ça, donc le libre a déjà remporté la victoire. Et si on ne le prend pas en compte, je veux dire, c'est lui qui va s'occuper de vous.

Par contre, on a en face quand même un lobbying féroce, et donc c'est pour ça qu'on est obligé de continuer à se battre, pour éviter aussi de se faire piéger par une société d'hypersurveillance, de contrôle, qui soit pilotée par des trusts.

Parce qu'on a aussi cette problématique-là d'avoir des GAFAM qui régissent notre vie avec ce qu'on peut appeler de la pseudo-infrastructure.

Aujourd'hui, si Google Maps éteint sa carte, vous êtes perdus, donc ça doit être un commun numérique au sens strict, au sens économique,

c'est quand même une pseudo-infrastructure pilotée par une boîte privée, c'est dangereux au niveau sociétal.

Donc il y a aussi ça à prendre en compte, le fait d'avoir des communs et des services qui s'appuient sur des biens publics, c'est-à-dire sur de l'open source.

Mathilde, quelles sont les possibilités de réutilisation et de modification des matériels permises par l'ouverture des codes source et des matériels, donc à la fois logiciels et matériels ? Est-ce que tu as des exemples concrets ?

Par exemple, dans le domaine dans lequel je travaille, donc dans l'électronique de puissance, les convertisseurs électriques sont fragmentés par applicatifs, par industries, par échelle de puissance, ce qui fait que chaque solution a un usage unique.

Si vous voulez un abaisseur de tension qui fait du 48 à 12 volts et que quelques jours après vous rendez compte qu'en fait vous voulez abaisser de 36 à 12 volts, vous êtes obligé d'en racheter un nouveau et mettre l'ancien au placard alors que techniquement ce n'est pas des modifications très différentes, enfin très importantes à faire.

On peut parler d'imprimantes par exemple qui sont devenues des boîtes noires presque magiques que plus personne ne comprend.

En fait, la fermeture du code nous empêche d'être autonome et les entreprises nous empêchent de comprendre les objets qu'on leur achète et nous rendent dépendants à elles par ça.

Et donc le bricolage est rendu complètement impossible, on n'est plus que dans une optique de consommation face aux objets techniques qui nous entourent.

Tu parlais de bricolage, est-ce qu'il y a des limites à la réutilisation et à la réparation ? On imagine qu'il faut avoir du temps et des compétences ?

Mathilde :

Comme je disais, aujourd'hui on répare très peu et c'est en partie empêché par la privatisation des connaissances autour des objets techniques, mais les rendre open source en effet ça ne suffit pas.

A la fois il y a un coût économique et technique assez important sur les cartes électroniques par exemple, vu qu'on miniature de plus en plus, on a besoin presque de moyens industriels pour réparer maintenant. Et ça va en s'empirant et ça devient en fait impossible de réparer.

Et comme tu disais on a besoin d'une certaine expertise qui peut être contrebalancée par par exemple la modularité, comme le fait Fairphone où ils proposent de réparer avec des blocs. On peut acheter par exemple le bloc supérieur du téléphone pour le remplacer et ne pas avoir à jeter tout le téléphone.

Après je pense que l'objectif ce n'est pas forcément que tout le monde sache réparer, mais qu'on essaye d'impliquer le plus de personnes possible pour permettre à des business d'éclore dans ces domaines là.

Par exemple il y a plein d'ateliers de réparation de vélos qui se mettent en place. Si on proposait des vélos électriques open source et modulaires, on pourrait imaginer aussi que ces réparateurs qui fleurissent un peu partout et puis se réparer aussi la partie électrique de nos vélos en comprenant comment fonctionne la gestion de la batterie, le contrôle moteur, ce genre de choses.

Est-ce que l'open source suffit pour que le numérique soit soutenable ?

Mathilde :

Je dirais qu'il n'est pas suffisant mais nécessaire. Pas suffisant parce qu'on a besoin de changements plus globaux sur nos modes de production et sur la croyance que la technologie va nous sauver.

On a besoin de plus penser technodiscernement et de quelle technologie on a vraiment besoin de produire.

Mais je pense qu'il est nécessaire parce que la privatisation des connaissances nous fait rentrer dans notre mode de consommation par rapport à nos objets.

Ce qui fait que pour moi on devrait appliquer le modèle open source bien au-delà du logiciel et même des cartes électroniques, proposer des objets du quotidien qui soient open source et modulaires.

Par exemple il y a une association qui fait des vélos qui s'appelle VelOyo.

Il y a aussi des contrôleurs midi pour faire de la musique assistée par ordinateur, Hackin'toys, qui propose des solutions montables par blocs pour accompagner les artistes à comprendre l'outil qu'ils prennent en main.

Et on pourrait même encore penser plus loin avec des machines open source pour faire de l'usinage décentralisé, comme le propose le projet Precious Plastic.

Je ne sais pas si vous connaissez mais c'est un super projet où l'idée c'est d'avoir des machines où on va mettre les plastiques usagés dedans pour en faire sortir des filaments de plastique qu'on peut utiliser avec des imprimantes 3D.

Les machines elles sont open source donc soit on peut les acheter telles quelles sur internet ou les monter soi-même. On a toute la notice, la compréhension de l'utilisation derrière.

Je pense que l'usine décentralisée est un gros enjeu pour l'avenir et pour proposer un monde plus soutenable et plus local.

En plus si on arrête de privatiser aussi les connaissances, on mutualise la R&D, ce qui participe à la soutenabilité et la valeur elle ne se situe plus forcément sur la production mais sur le service qui accompagne.

Pierre-Yves, tu veux compléter ? Même question. Est-ce que l'open source suffit pour rendre le numérique soutenable ?

Non, mais je vais faire exactement la même réponse que Mathilde, mais comme elle a déjà été très complète, sa réponse, moi j'insiste une fois de plus sur la durabilité.

Je veux dire à partir du moment où, c'est le matériel et dans tous les domaines, et elle a eu bien raison Mathilde de le préciser par rapport à d'autres domaines que l'informatique.

Dans tous les domaines, ce qui fait le plus de dégâts c'est le matériel, le plus gros impact, donc pour faire durer le matériel il faut qu'il soit réparable, il faut qu'on puisse trouver des alternatives et des solutions pour que l'on use au maximum.

Le numérique, pour le reprendre, quand on a des impacts à au moins 75% sur le matériel, j'allais dire le côté green IT, j'optimise mon application web, il y en a plein qui raconte ça à tous les vents, il ne touche plus que 20% du total, donc même s'ils arrivent à optimiser de 30%, ils auront gagné 7% à la fin, donc il faut arrêter, c'est bien de le faire, c'est nécessaire, mais ce n'est pas là dessus qu'on va gagner.

Donc il faut que le matériel dure, et pour qu'il dure, il faut qu'il y ait des alternatives possibles de telle manière que ça ne dépendent pas de l'abandon d'un logiciel.

On a parlé beaucoup d'open source, mais on n'a pas parlé d'interopérabilité, est-ce que c'est un sujet aussi qui vous concerne dans vos différents travaux ?

Pierre-Yves :

Je ne sais pas pourquoi je vais dire ça, moi je me suis toujours méfié de l'interopérabilité quelque part, je l'ai toujours remplacé par possibilité d'intégration, donc le fait d'avoir des API, des formats, des standards ouverts que les gens puissent implémenter et qui finissent par faire consensus, ou en tout cas par permettre que les choses s'intègrent entre elles.

Parce que vouloir imposer de l'interopérabilité à tout prix avec des référentiels, des standards, des machins, ce n'est pas toujours gagné, puis il y a du lobbying, puis c'est compliqué, puis ça finit souvent avec des comités qui inventent des spécifications pas possibles, donc l'interopérabilité au sens strict, ce n'est pas un sujet simple j'allais dire.

Ce n'est pas blanc ni noir, mais ce n'est pas un sujet simple, il faut des process assez légers, assez experts, ok ce que fait l'IETF, les protocoles internet ça marche, les RFC, mais bon il y a des limites à ce truc là, à l'appliquer de façon générale, donc faites des choses modulaires qui peuvent s'interagir entre elles, parce que vous avez des librairies sympas, bien documentées, des API propres, etc.

Oui ça c'est très très bien, mais vouloir dire je cours à tout prix vers l'interopérabilité, c'est presque des fois une contrainte de plus.

Mathilde :

Du coup je dirais que dans le domaine de l'électricité c'est devenu important avec la privatisation des réseaux, on se retrouve avec plein d'objets qui utilisent des protocoles différents.

Et c'est une force que peut proposer l'open source d'être la brique qui vient se mettre entre tous ces objets qu'on ne peut pas comprendre et paramétrer soi-même.

Quels sont les objectifs sociétaux que devraient poursuivre les organisations en mettant en place les outils numériques ?

Mathilde :

Je dirais que la première question à se poser, ce qui peut paraître basique mais qu'on se pose assez peu, c'est qu'est-ce qu'on veut vraiment en proposant de nouveaux outils ?

On se pose beaucoup la question pour répondre au marché financier des besoins individuels et un peu du désir du consommateur qu'on vient combler, mais maintenant il faut qu'on réapprenne à avoir la question d'un point de vue plus social, plus englobante sur quel monde on va.

Parce qu'on est conscients maintenant qu'on ne peut plus produire à tout va, ce n'est pas parce qu'on peut produire qu'on doit le faire.

J'ai l'impression qu'il n'y a que dans la technologie qu'on se dit que ce n'est pas ce qu'on peut, on doit le faire.

C'est Aurélien Barreau qui parlait il n'y a pas longtemps du pharmakon et du fait que pour chaque chose dans la vie, il y a un dosage.

On le sait très bien pour la nourriture, pour le sommeil, mais par contre la technologie, on court à fond. Pour moi, c'est vraiment la question centrale.

Pierre-Yves :

Je sors peut-être un peu de la question, mais j'allais dire que plein de gens disent que le capitalisme c'est mal, etc.

Moi, j'ai plutôt tendance à dire que le capitalisme financiarisé qui fait n'importe quoi, c'est mal.

Je crois que Guy Debord avait dit que c'était le spectacle et l'économie qui se développent pour elles-mêmes ou un truc comme ça.

Ce qui n'est pas bon, c'est l'économie qui se développe pour elle-même.

Quand on me dit capitalisme, je dis que le capitaliste, c'est un type qui utilise des facteurs de production, donc il utilise du travail et du capital, mon agriculteur bio pour produire des biens et services.

Mon agriculteur bio, il utilise de la terre, des machines et des salariés pour produire des légumes. C'est un capitaliste. Le problème, ce n'est pas ça, ça c'est très bien.

L'écosystème open source où dedans il y a des éditeurs, nous on en a plein, qui sont des capitalistes plus ou moins forcenés.

Il y en a qui sont à fond avec une logique presque appropriatrice, d'autres sont vachement open, ils autorisent les gens à contribuer à leurs projets, etc. Ils sont très libres.

Mais bon, cet écosystème-là, c'est des capitalistes et ils font le boulot. Aujourd'hui, il y a aussi des gros capitalistes, il y a la MAIF par exemple, entre autres, sixième assureur de France, c'est des capitalistes.

Même les grosses structures ne sont pas forcément néfastes à partir du moment où elles ont un certain nombre de valeurs et où elles s'intègrent avec le tissu sociétal.

C'est un petit peu à ce niveau-là que se joue, c'est que la greffe arrive à prendre avec les gens et qu'on arrive à créer une espèce d'économie sociale et solidaire élargie, qui intègre un petit peu toutes les visions, mais qui n'autorise pas qu'on fasse n'importe quoi.

Mathilde :

Je pense qu'un angle mort du capitalisme actuel, c'est que grâce à l'automatisation et en partie l'informatisation, l'optimisation de tous les processus, on a libéré théoriquement beaucoup de temps de travail mais qu'on a compensé par du sur-travail ailleurs.

Ce sur-travail nous amène à une sur-production et on ne sait pas trop dans quel objectif, ce n'est pas pour un bien-être social.

C'est là où on doit pointer du doigt ce gain de richesse qu'on fait, qui pour l'instant va dans les mains d'une petite élite.

Mais ça pose des questions. Qu'est-ce qui est le travail aujourd'hui ? Est-ce que c'est la production qu'on doit maintenir ?

On a parlé de créer des outils numériques, de les rendre open source, de les ouvrir. Mais pour aller vers plus de sobriété, est-ce qu'il ne faudrait pas réduire la numérisation, dénumériser, décommissionner des équipements et des services, démanteler des infrastructures inutiles ou comme le diraient les Soulèvements de la terre, désarmer les infrastructures destructrices du vivant ?

Mathilde :

Les Soulèvements de la terre s'inscrivent dans la tradition des ludistes où le démantèlement est nécessaire pour sortir du système socio-technique qui, à l'heure actuelle, nous met en danger. Comme on le disait avec Pierre-Yves, 4/5 des émissions de gaz à effet de serre sont dues à la fabrication.

Intuitivement, j'aurais tendance à dire qu'il faut surtout ralentir cette production et garder les infrastructures qu'on a déjà mis en place.

En même temps, quand je vois dans mon domaine électronique de puissance tout le temps des industriels et des politiques parler de l'avion électrique et de l'avion décarboné, j'avoue que ça m'inquiète un peu et que ça donne raison aux Soulèvements de la terre, ne serait-ce que pour avoir une force qui contrebalance le gain économique fait par ces nouvelles infrastructures.

De manière générale, je dirais qu'il faut questionner l'accaparement des entreprises de ressources communes.

Par exemple, cet été, je voyais Facebook qui avait installé un data center dans une zone désertique de l'Espagne et qui du coup pompe l'eau, ce qui est vital pour les personnes et l'écosystème qui est présent.

J'aurais tendance à dire que le point le plus important serait de légiférer sur les ressources que peuvent pomper les entreprises, que ce soit l'eau ou les minerais.

Pour le démantèlement, je botte en touche.

Pierre-Yves :

Moi, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il faut tout casser, je ne suis pas un ludite. Ceci étant dit, j'ai quand même fait partie de ceux qui ont saisi le Conseil d'État contre la dissolution des soulèvements. Je l'avais rendu public. Je considère que la désobéissance civile, c'est un garde-fou nécessaire, qui est d'ailleurs inscrit dans les droits de l'homme et qui est mal traduit au niveau des décisions juridiques.

On a tendance à durcir le temps contre les militants écologistes, etc.

Je ne dis pas qu'il faut tout casser, mais je dis quand même que la désobéissance civile, ça fait partie aussi de nos gènes et on en a besoin pour arriver à limiter un certain nombre de choses.

D'ailleurs, quand tu parlais d'avions verts, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais il y avait eu une magnifique action de Greenpeace qui avait dit « vous voulez des avions verts, on va les faire ». Il y a quelques militants qui s'étaient introduits sur un aéroport international et qui avaient commencé à peindre un avion en vert. Ils ont fini en tôle, évidemment, pas très longtemps, mais ils ont quand même passé un mauvais quart d'heure.

C'était un beau clin d'œil à l'avion vert, ça n'existe pas, ça on est d'accord.

Après, l'avion vert reste assez hypothétique, mais ce qu'on constate aujourd'hui, dans les décisions politiques, c'est de vouloir remplacer les véhicules thermiques par des véhicules électriques, sans remettre en question la place de la voiture, sans remettre en question nos modes de vie, le côté individualiste de la voiture, etc.

Mathilde :

J'ai participé récemment à un salon organisé par l'ADEME sur les véhicules intermédiaires, où l'objectif est de promouvoir et ils donnent des subventions et font des ateliers pour travailler sur des véhicules entre la voiture et le vélo.

C'est une chouette initiative, mais à côté de ça, il y a le lobby de la voiture, c'est peut-être un abus de langage, mais qui est très fort et qui ne veut pas remettre en place l'espace qu'on prend en tant qu'individu.

La voiture a grossi de plus en plus ces dernières décennies, même en dehors de l'environnement.

C'est questionnable sur la place qu'on veut prendre sur la chaussée et comment on se partage l'espace commun.

Et après, écologiquement parlant, faire une Tesla électrique, ça ne fait que délocaliser la pollution dans d'autres pays que le nôtre.

En vrai, je vous invite à un parallèle entre la voiture électrique qui grossit et nos téléphones. On avait des smartphones qui étaient tout petits, aujourd'hui on a des grands écrans, on a des écrans qui se plient. On a des écrans qui se plient avec un écran de l'autre côté. C'est une gabégie et c'est une croissance de la taille des écrans et une réduction du temps de vie de ces équipements. Et finalement, on pointe la voiture, mais il y a aussi tous nos équipements électriques, électroniques, numériques, qui suivent aussi cette trajectoire complètement folle.

Pierre-Yves :

Oui, on peut quand même être un peu sobre. J'ai un vieux smartphone, moi je récupère les smartphones de mes enfants quand ils trouvent qu'ils ne sont plus assez performants.

Ils ont encore plusieurs années de vie derrière eux et ils fonctionnent très bien.

Donc je pense qu'on peut très bien continuer à avoir un mode de vie moderne.

C'est pareil pour la voiture, en étant relativement sobre quant à l'usage qu'on en fait.

Ça marche un smartphone, je veux dire mon vieux Samsung qui doit avoir bientôt 10 ans, il marche toujours.

Même si j'ai besoin de m'orienter avec, les applis elles tournent, enfin je veux dire il n'y a pas de problème.

Et c'est pareil votre voiture, est-ce que vous avez déjà besoin d'une voiture individuelle ou est-ce qu'une voiture partagée ?

Il commence à y avoir des bons services d'auto partage, ça ne suffit pas, on peut se poser ce genre de questions.

Mais même votre voiture individuelle, combien de fois vous faites un déplacement de moins de 10 km avec ?

Je veux dire, vous montez sur un vélo, moi maintenant je fais plusieurs milliers de kilomètres de vélos urbains par an. Parce que à chaque fois que je me déplace dans l'agglo, je suis à Grenoble, d'accord. Mais à chaque fois que je me déplace dans l'agglo, je suis sur un vélo, ça va plus vite, c'est bon pour la santé et ça pollue quasiment pas. Et c'est plus agréable, en plus on n'est pas dans les bouchons.

Déjà si les gens se mettent à faire rien que ça, pourtant ce n'est pas grand chose, un peu de vélo, il n'y aura pas toutes ces bagnoles qu'on voit dehors par la fenêtre. La plupart, ils sont tout seuls dans leur voiture, ils sont en train de faire 5 kilomètres.

C'est facile de changer ça, c'est une prise de conscience collective, mais on peut y arriver.

Et des décisions politiques ?

Pierre-Yves :

Oui, ça joue. Alors chez nous, on est favorisé à Grenoble, il y a vraiment une grosse volonté politique locale de différents acteurs, pas forcément seulement ceux qu'on attend.

Il y a les écolos, certes, qui dirigent la ville, mais il y a aussi le conseil départemental, la région, etc., qui ne sont pas tous à gauche.

Mais il y a un gros développement des infrastructures cyclables, clairement, donc on est favorisé là-dessus, mais ça marche.

Quand on fait ça, il y a presque des bouchons de vélo, quand c'est l'heure du vélo taf, quand c'est l'heure de pointe, sur les lignes chrono, chez nous ça s'appelle comme ça. C'est les autoroutes à vélo, il y en a du vélo, ça marche.

Mathilde :

Sur le sujet du smartphone, je voudrais juste faire de la publicité pour un projet du Libre qui permet de combattre justement ces problèmes d'obsolescence logicielle, qui s'appelle e OS, qui ressemble à un Android, qui fonctionne très bien et qui évite la surcharge d'utilisation des processeurs.

Donc si vous vous retrouvez avec un téléphone qui rame beaucoup trop, vous pouvez tenter cette alternative.

Pierre-Yves :

Juste un mot pour rebondir là-dessus, et pour rebondir aussi sur la suite, parce que nous, ce n'est pas pour prêcher pour ma paroisse, je vais te dire pourquoi.

On a une très grosse annonce à faire, ce sera demain matin. C'est le fonds NGI Zero Commons, c'est de l'argent européen, qui est investi sur l'open source, Next generation internet, sur l'open source, sur les communs numériques basés sur des biens publics.

C'est piloté par la fondation NLNet aux Pays-Bas, qui est très regardante sur les libertés civiles, sur l'internet citoyen, la neutralité du réseau, etc.

Il y a quand même 21,6 millions qui vont être distribués à la communauté, donc ça doit être la plus grosse annonce de tous les temps dans ce secteur-là.

Donc voilà, c'est important pour l'écosystème au sens large.

Et au passage, je rebondissais là-dessus aussi parce que la e-Foundation fait partie des gens qu'on a réussi à financer récemment sur un projet NGI qui est encore en cours, qui précède celui que je vais annoncer demain.

Donc ça finance aussi des acteurs comme ça, on a réussi à financer Open Food Facts, on a réussi à financer Software Heritage.

Donc voilà, les fonds européens, même si c'est une petite partie du programme, ils arrivent à être bien orientés et ça c'est une grosse news et c'est important.

Merci beaucoup. Du coup, on a cinq minutes pour prendre une ou deux questions du public, si vous avez des questions.

Intervention de Frédéric Couchet (April) dans le public :

Alors ce n'est pas forcément une question, c'est une précision sur l'indice de durabilité dont a parlé tout à l'heure Pierre-Yves.

Il faut savoir que l'Europe a annoncé il y a deux, trois semaines qu'elle s'opposait au décret d'application de la loi anti-gaspillage concernant l'indice de durabilité français, notamment a priori, ce qu'on a pu comprendre, c'est que visiblement c'est la partie de critères logiciels libres qui pose un problème à l'Europe, parce que l'Europe en fait, fait son propre critère de durabilité.

Donc aujourd'hui, ce que fait la France est pour l'instant, il y a un veto de l'Europe, la France doit retravailler sur le sujet.

Et deuxième petite remarque sur la question, est-ce que le logiciel libre a gagné ? Je ne suis pas convaincu que le logiciel libre, enfin en tout cas que les personnes utilisatrices soient gagnantes, quand des systèmes qui en fait enferment les personnes utilisatrices, les guident vers des contenus par rapport à des algorithmes, même si c'est basé à 80% sur des logiciels libres, en fait techniquement le logiciel libre a peut-être gagné ou l'open source.

Mais les personnes utilisatrices, leur liberté n'ont pas du tout gagné.

Donc il y a encore ce combat-là à mener, parce que construire effectivement des solutions qui enferment les personnes utilisatrices en se basant sur des logiciels libres, on n'y gagne pas en fait.

Pierre-Yves :

Effectivement, tu fais très bien de rappeler cette histoire de durabilité retoquée par l'Europe, parce que j'ai oublié de le mentionner quand on m'a posé la question du fait qu'il pouvait y avoir des résistances encore, etc.

Ce truc-là a été retoqué suite notamment à un très gros lobbying de l'Afnum, qui représente les gros du logiciel propriétaire, on va le dire comme ça.

Donc effectivement, même si l'open source a gagné au sens de sa pénétration dans la stack logiciel, on a en face de nous des lobbyistes qui sont bons, moi je les félicite pour cette action, ils ont gagné cette fois-ci.

La prochaine fois ils gagneront peut-être pas, c'est le jeu.

Maintenant, allez dire que le logiciel libre, effectivement, on va dire Google, etc. l'essentiel de leur stack est libre et pourtant ils nous poussent des contenus, machin, c'est tout à fait vrai, c'est clair, ça reste problématique.

Alors c'est aussi une des raisons pour lesquelles, parce que l'Europe est schizophrène, elle fait des choses comme ça, mais elle fait aussi NGI, voilà, c'est aussi une des raisons pour laquelle il y a des acteurs comme ça qui veillent.

La fondation NLNet dont je parlais tout à l'heure, que quasiment personne connaît, à part les spécialistes, qui est une des fondations les plus puissantes d'Europe, fondée en 1982, premier point d'accès à Internet en Europe.

Ils ont amené Internet aux Pays-Bas, ces gens-là, racheté par UUNet Verizon en 1997 pour un paquet de millions, même pas publié, plein de zéros, qui a dit, nous on a une association Liberté Civile, etc., Internet neutre, on continue avec ce pactole, on fait des appels à projets, on finance un stack Internet citoyen.

Donc cette fondation, ils sont peut-être plus riches qu'Eclipse, je veux dire, c'est une fondation super libre, c'est probablement la plus puissante d'Europe, et personne n'en entend parler, ils sont peut-être un peu discrets au niveau communication, mais faites aussi passer le mot, il y en a des comme ça.

Et là, le nouveau fonds, aussi c'est des lobbyistes, évidemment, donc ils ne sont pas mauvais non plus, des fois ils gagnent.

Le nouveau fonds vise aussi à développer des communs numériques appuyés sur des biens publics, des open source, donc ça sert justement à pallier ce genre de trucs.

Mastodon a été entre autres financé par ces projets-là déjà avant et le sera peut-être encore à l'avenir, on peut l'espérer.

Des réseaux sociaux qui ne poussent pas les contenus haineux en tête pour faire plus de vues, c'est des choses comme ça.

Ou des communs collaboratifs à la Open Street Map, ils l'ont aussi financé, d'ailleurs que je sache, qui permettent qu'on ne va pas éteindre la carte demain à cause d'intérêts privés ou d'intérêts géostratégiques.

C'est une bonne remarque, mais elle est aussi prise en compte, et l'open source, c'est ce qui permet que ça soit possible.

Ce qu'on peut reprocher aussi au monde du libre, à la communauté des libristes, c'est aussi d'être un peu techno-solutionniste. Est-ce qu'il n'y a pas un manque de convergence de lutte, des luttes concernant les questions écologiques, les questions sociales, les questions de genre, les questions de sexisme, tous les enjeux de racisme, etc. Est-ce qu'on n'est pas dans un espèce d'entre-soi très techno-solutionniste ?

Mathilde :

Merci de poser cette question, parce que je voulais en parler et je ne l'ai pas fait.

Mais en effet, c'est un domaine où il y a un énorme entre-soi socio-économique et genré.

Même si on est militant, on n'a pas tendance à prendre en compte les autres questions en rapport avec les inégalités sociales.

Et se poser les questions de pourquoi, même avec nos valeurs d'ouverture, l'expertise reste dans la main d'une sorte d'élite intellectuelle.

De pousser, par nos associations ou entreprises, à faire des formations pour des personnes qui n'ont pas forcément accès à ces milieux technologiques, que ce soit des milieux défavorisés ou par exemple faire des formations en non-mixité dans le milieu de la technologie.

C'est des formations qui marchent énormément, qui attirent beaucoup de femmes ou de personnes en minorité de genre.

Donc voilà, moi je pense que c'est un gros sujet sur lequel travailler dans notre milieu pour s'ouvrir à l'altérité et pas justement rester dans le technosocialisme.