Réalité physique de la Réalité Virtuelle
Épisode 90 publié le 09/05/2024
Landia Egal et Amaury La Burthe
Pour parler de réalité virtuelle, son impact environnemental et sa place dans les enjeux écologiques d’aujourd’hui et demain, nous avons avec nous deux spécialistes, Landia Egal et Amaury La Burthe.
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Landia Egal, après une courte expérience dans le monde de la finance, est auteure et réalisatrice de films immersifs et fondatrice de la société de production Tiny Planets engagée au service de la création de nouveaux imaginaires plus sobres, justes et respectueux du vivant.
Après un parcours dans la recherche en audio et musique puis dans le monde du jeu vidéo notamment chez Ubisoft, Amaury La Burthe est depuis 2009 le fondateur et directeur créatif d’une entreprise spécialisée dans les expériences immersives, mais qui a récemment tout quitté. Il nous raconte pourquoi. Il est associé de Tiny Planets avec Landia.
Tous les deux sont les porteurs du projet CEPIR, un Cas d'Étude Pour un Immersif Responsable (CEPIR), un projet d’évaluation des impacts environnementaux de la réalité virtuelle, réalité augmentée et réalité mixte. Ils ont participé au rapport du Shift Project « Quels mondes virtuels pour quel monde réel ? », rapport intermédiaire publié en décembre 2023.
Sommaire
- Les parcours de Landia et d'Amaury
- De quoi parle t-on aujourd’hui lorsqu’on parle de XR, VR, MR, métavers ?
- Quels sont les domaines application de la VR ?
- Le métavers est-il mort ?
- L'Apple Vision Pro est un échec commercial ?
- En quoi consiste le projet CEPIR ?
- Faut-il renoncer au casque virtuel ?
- En tant que chef d’entreprise, peut-on changer les choses et faire pivoter l’entreprise ?
- Existe-t-il des jeux vidéos ou des expériences immersives sur les questions écologiques ?
- Quels sont les nouveaux récits à construire ? Quels sont leurs futurs projets ?
En savoir plus
- CEPIR : Cas d'Étude Pour un Immersif Responsable
- Rapport du Shift Project « Quels mondes virtuels pour quel monde réel ? »
- Blindness
- Umami
- Okawari
Transcription
Introduction
Depuis 2019, le groupe Meta de Mark Zuckerberg qui rassemblent Facebook, Whatsapp et Instagram entre autres, consacrent d'énormes budgets à la réalité virtuelle et au métavers. Un an après des annonces et des vidéos démo (qui ne sont pas des démos) avec Zuckerberg lui-même et son avatar, le milliardaire de la silicon valley a semble t-il discrètement abandonné les mondes virtuelles au profit de l’intelligence artificielle, non sans avoir dilapidé plus de 43 milliards de dollar. On ne verra donc pas la promesse faites par Zuckerberg de pouvoir faire revivre virtuellement des personnes décédées. Heureusement.
Pour parler de réalité virtuelle, son impact environnemental et sa place dans les enjeux écologiques d’aujourd’hui et demain, nous avons avec nous deux spécialistes, Landia Egal et Amaury La Burthe. Bienvenus tous les deux au micro du podcast Techologie.
Landia Egal, après une courte expérience dans le monde de la finance, tu es autrice et réalisatrice de films immersifs et fondatrice de la société de production Tiny Planets, engagée au service de la création de nouveaux imaginaires, plus sobres, justes et respectueux du vivant.
Amaury La Burthe, après un parcours dans la recherche en audio et musique, puis dans le monde du jeu vidéo, notamment chez Ubisoft, tu es depuis 2009 le fondateur et directeur créatif d'une entreprise spécialisée dans les expériences immersives, mais tu as récemment tout quitté, tu nous raconteras pourquoi. Tu es associé avec Landia de Tiny Planets.
Tous les deux, vous êtes les porteurs du projet CEPIR, un cas d'étude pour un immersif responsable, un projet d'évaluation des impacts environnementaux de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée et de la réalité mixte. Bien sûr, on reviendra dans notre échange sur les définitions de tout ça.
Vous avez également participé au rapport du Shift Project "Quel monde virtuel pour quel monde réel ?", un rapport qui a été publié assez récemment, début 2024.
Landia, quel est ton parcours personnel et quel a été ton déclic pour virer de bord ?
J'ai commencé ma vie professionnelle dans le secteur financier. Ensuite, j'ai assez vite rejoint une société de production audiovisuelle et cinéma qui s'appelle Agat Films - Ex Nihilo, qui est basée dans le 11ème. Et j'ai rejoint notamment un producteur, Arnaud Colinart, qui lui était en charge de la production pour les nouveaux médias, donc tout ce qui n'était pas télévision et cinéma mais smartphones, tablettes, des projets web, un jeu vidéo, le premier jeu vidéo qu'on a fait avec Arte en 2013, qui s'appelait Type Rider.
Ensuite, à partir de 2014, on a commencé à travailler sur un projet avec NoveLab et Amaury, réalisateur de Notes on Blindness, qui est un projet en réalité virtuelle qui nous invite à découvrir la perception sensorielle d'un monde au-delà de la vision, dans la peau d'un non-voyant. C'est une expérience très belle qui est sortie en 2016 et qui, à moi, mais peut-être, je ne sais pas si ça a été aussi ton déclic Amaury, nous a fait quand même voir que c'était un média qui était assez incroyable par rapport à l'immersion qu'il procure, le fait de pouvoir effectivement construire ces mondes autour de l'utilisateur. Donc c'était assez fascinant.
Et donc moi j'ai eu quelques autres aventures professionnelles et puis après j'ai créé en 2017 Tiny Planets. J'habitais à Londres à l'époque et c'était pour pouvoir produire des projets que j'avais envie de porter en tant qu'autrice et en tant que réalisatrice. Donc j'avais envie d'avoir un petit peu ces différentes casquettes pour pouvoir vraiment décider de ce qu'on faisait des projets.
Et depuis 2017, avec Tiny Planets, j'ai travaillé à la réalisation d'un certain nombre de projets dont Umami, qui a été sélectionné en 2018 à la Biennale de Venise, Venise Immersive, et Okawari, dont on reparlera probablement plus tard, qui a été sélectionné en 2022 et qui upcyclait, ou qui surcyclait l'œuvre Umami. C'est-à-dire qu'on a repris dans Okawari une partie des assets 3D de la direction artistique, musique, etc. de Umami. C'était un petit peu une première et ça rentrait dans une logique d'éco-conception.
Je ne pense pas avoir vraiment viré de bord dans le sens où ce n'était pas aussi brutal que ça. Nous on a toujours la métaphore de, on voit un bout de fil qui dépasse et puis on commence à tirer dessus et puis en fait on déroule une pelote de laine et on se pose de plus en plus de questions.
Le moment où j'ai commencé à vraiment commencer à tirer sur le fil, c'était fin 2019. Un moment où l'Australie était en train de brûler et c'est un pays où j'avais vécu et travaillé et où on nous a proposé d'aller pitcher des projets sur le dérèglement climatique en Australie avec une bourse qui nous permettait d'aller en avion jusque là-bas. Donc c'est 17 000 km. Je voyais à peu près la distance que ça faisait puisque je l'avais déjà parcourue à une époque où je comprenais un peu moins les impacts.
Et donc à ce moment-là, je me suis dit, mais même si j'avais un projet sur le dérèglement climatique, je ne le ferais pas en réalité virtuelle parce que c'est trop niche comme média. Il n'y a pas assez de gens qui sont équipés de casques, donc en fait on sensibiliserait pas grand monde.
Et donc la question qui se suivait, c'était si on voulait équiper massivement les gens de casques de réalité virtuelle, et porter des projets engagés sur ces plateformes, qu'est-ce que ça supposerait en termes d'impact environnemental ? C'est quoi la consommation d'eau, de métaux, d'énergie, les émissions de gaz à effet de serre, etc. Et donc là, ça a été un petit peu le début des questionnements et toute l'année 2020, j'ai quasiment fait que ça, lire des rapports, me former, faire la formation Bilan Carbone, rencontrer des gens dans un autre réseau, au point où j'étais en train de me dire que j'allais peut-être postuler chez Carbon 4 à un moment donné pour me rendre plus utile.
Même question à Amaury, quel est ton parcours et quel regard portes-tu aujourd'hui sur le monde ?
Vaste question. J'ai commencé dans la recherche, traitement de signal et musique. C'est vraiment un parcours scientifique au départ. J'ai commencé par ça, ensuite j'ai travaillé un petit peu dans le monde de la recherche sur notamment comment exploiter des algorithmes pour créer de la musique pour autant faire 10 ans de solfège, ce qui peut être un peu long pour certains. Ensuite j'ai travaillé dans le jeu vidéo, plutôt sur la partie conception sonore et immersion par le son.
Et ensuite, comme le disait Landia, j'ai fondé une entreprise qui faisait au départ des technologies et puis rapidement qui s'est mise à faire du contenu. À partir de 2013, on a fait du contenu, on a fait notamment Type Rider, dont Landia parlait. Moi, ça a été la bascule entre une partie un peu technique et une partie un peu plus créative que j'avais en tâche de fond qui était là depuis très longtemps et donc j'ai basculé à partir de ce moment là sur vraiment plus un rôle de directeur créatif, auteur réalisateur même si ce sont des termes dans l'immersif qui semble moins usité que dans le cinéma ou dans d'autres médias.
À partir de 2013-2014, on a fait énormément d'immersifs avec une certaine candeur, on va dire, puisque on découvrait le médium, comme pas mal de monde, et effectivement, on découvrait ces possibilités avec pas mal d'émerveillement. Venant juste avant du jeu vidéo, moi, j'avais déjà cette habitude de concevoir des mondes immersifs tout de suite puisqu'un monde de jeux vidéo souvent il est en 3D et donc il est par nature déjà immersif là où les gens qui venaient du cinéma et qui arrivaient dans la VR eux avaient une approche beaucoup plus linéaire et donc ils filmaient des choses en 360 avec des caméras 360 mais sans forcément avoir conçu un univers et une immersion en trois dimensions et ce qui fait que ça a bien marché je pense au début c'est que on arrivait avec cette conception très immersive, très interactive tout de suite et la plupart des productions qu'on faisait étaient interactives et pas linéaires parce que c'est là où on pensait qu'il y avait quelque chose d'intéressant.
Si on immerge les gens dans un monde mais que tout de suite on leur retire toute possibilité d'interagir avec ce monde, c'est un petit peu décevant. Donc on essayait d'avoir de l'interactivité un petit peu partout et de l'interactivité signifiante.
Et malgré tout, en étant patron de la boîte, progressivement je pense que moi le déclic c'est pareil il n'y a pas eu un shift un jour où je me suis réveillé je me suis dit bon allez hop je change tout mais ça a été progressif puisque quand on gère un studio comme ça il y a aussi beaucoup d'humains il y a beaucoup d'histoires humaines et c'est la dimension qui est super chouette mais qui en même temps n'est pas la plus simple non plus
Et pendant un peu tout le temps, j'ai trouvé qu'en grossissant, à la fin quand je suis parti, on était une cinquantaine, on perdait de vue finalement, l'humain, l'entreprise se financiarise. On parle plus des mêmes choses, on n'a plus les mêmes rapports.
Et il y avait déjà des petites graines. Je pense que mon déclic est venu par le côté un petit peu social, sociétal, avec cette question de, ok mais pourquoi on fait tout ça ? Pourquoi est-ce qu'on veut absolument grossir ? Pourquoi est-ce qu'on veut faire des plus gros projets ?
Le sens aussi de ce que vous produisez, c'est ça ?
Amaury :
Le sens de ce qu'on produit est à partir de 2019-2020. Landia avec qui on travaillait déjà très régulièrement, qui commençait à se poser beaucoup de questions. Moi j'avais déjà regardé une ou deux conférences de Jean-Marc Jancovici mais j'avais pas forcément connecté tous les points. Et Landia à ce moment-là m'envoyait pas mal d'infos en me disant, regarde, est-ce que tu as vu ce truc-là, est-ce que tu as vu ça ? Et ça m'a mis un espèce de coup d'accélérateur où j'ai fini, je pense, grâce aux infos qu'elle m'envoyait. Je me suis dit, mais en fait, il y a vraiment un sujet. Et à un moment donné, j'ai connecté tous les points un peu après elle. Et je me suis dit, en fait, voilà.
Pour revenir sur ta question du départ, qui est quel regard portes-tu sur le monde aujourd'hui ? Je pense qu'aujourd'hui on est à juste titre en train de déconstruire énormément de choses et d'essayer de répondre collectivement à la question fondamentale, qui est quelle société on a envie d'avoir tous ensemble en commun, avec en premier lieu la question de ne pas pourrir la planète sur laquelle on est, ce qui paraît quand même assez simple et basique comme question, mais question à laquelle le système actuel ne répond pas.
Je pense que notre prisme aujourd'hui, c'est vraiment celui de la déconstruction de tout ce qu'on faisait par habitude, juste parce qu'on le faisait avant. Et de se dire ok bon bah maintenant qu'est ce qu'on veut comme monde tous ensemble aujourd'hui collectivement.
On va développer un peu tous ces sujets et justement quelle est la place de la réalité virtuelle dans tout ce bordel. Mais avant ça, on va peut-être définir en fait, puisque j'ai parlé de plusieurs termes. Donc on a des acronymes notamment XR, VR, métavers. qui veut se coller à la définition ?
Amaury :
Alors, définition stricto sensu, VR, réalité virtuelle, virtual reality en anglais, MR, réalité mixte, mixte reality, c'est un mélange entre la réalité augmentée et la réalité virtuelle. C'est-à-dire qu'en réalité mixte, tu vois quand même l'extérieur, que ça soit au travers d'un téléphone ou d'un casque, mais tu viens interagir avec un monde qui peut être virtuel, qui peut par moment être complètement virtuel, par moment s'intégrer dans le réel, et ensuite réalité augmentée.
Là, ça ressemble à la réalité mixte, mais c'est le réel qui est quand même primordial et tu viens rajouter quelques informations par-dessus ou un personnage met a priori dans un environnement qui existe déjà, qui est un environnement réel.
XR vient de Cross, le nom de la croix en anglais. Cross Reality, c'est un peu le mélange de tout ça. Tout ça se recouvre un peu et on le voit de toute façon, le Apple Vision Pro montre bien qu'aujourd'hui, la réalité mixte, c'est un continuum. En fait, la XR, c'est un continuum. Tu peux très bien avoir dans ton casque Apple, tu as une vidéo ou un film que tu mets en mode complètement immersif. T'es complètement dedans où tu peux rebasculer sur ton environnement actuel, mais avec des fenêtres, les fenêtres de ton ordinateur devant toi, ton mail à droite, Youtube à gauche, etc. Donc ça aujourd'hui, c'est en train de devenir un continuum.
Et on voit bien que Meta va vers ça aussi, puisqu'ils développent leurs propres lunettes de réalité augmentée. Les derniers casques de Meta développent aussi beaucoup la réalité mixte.
Landia :
Et l'Apple Vision Pro a même un bouton je crois qui permet de passer de réalité mixte à réalité virtuelle si on a envie d'être un peu plus en immersion et pas complètement dans la pièce dans laquelle on est mais quand quelqu'un s'approche de trop près on le voit un peu par transparence.
Mais je pensais, Amaury que le X de XR c'était Extended Reality et pas Cross Reality mais c'est peut-être les deux.
Amaury :
Je ne sais pas s'il y a un dictionnaire qui dise vraiment ce que c'est, mais je pense qu'extended reality ça marche aussi, mais ça veut dire un petit peu la même chose, j'ai l'impression. Enfin, que ça englobe. C'est les réalités étendues.
Amaury :
Internet donne raison à Landia. Effectivement, les gens mettent plutôt en avant le terme Extended Reality.
Au-delà des définitions, quels sont les domaines d'application aujourd'hui que vous constatez ? Au-delà de ce que vous faites vous, quels sont les domaines de la réalité virtuelle qui marchent ? On va plutôt parler de ce qui marche, parce que finalement, pour le grand public, on a l'impression que c'est plutôt du futurisme ou de la science-fiction, mais est-ce qu'il y a vraiment des cas d'application futiles ou utiles aujourd'hui ?
Landia :
Nous, effectivement, on a passé le stade de la nouveauté parce que ça fait 10 ans qu'on travaille sur des projets en réalité virtuelle, c'était une grosse partie de ma vie professionnelle. J'ai travaillé quasiment exclusivement sur des expériences narratives, interactives, culturelles et donc vraiment des histoires dans lesquelles l'utilisateur occupe une place centrale et qui était aussi en partie financé par le CNC, Centre national du cinéma et de l'image animée, qui a un fonds qui vient subventionner la création d'expériences immersives, le fonds immersif, et qui a un budget de 3,6 millions par an. Donc il y a déjà toutes ces œuvres qui existent et qui rencontrent plus ou moins leur public.
Il y a aussi beaucoup d'expériences qui sont assez peu vues, parce que l'usage n'est pas encore très démocratisé. Et après, il y a plein d'applications dans plein de domaines différents.
Amaury :
Chez Novelab, dans l'ordre ou dans le désordre, on a fait des applications de formation, notamment pour aider les conducteurs de train à prendre des décisions. C'est toujours mieux de se tromper en virtuel et d'avoir un accident virtuel qu'un accident réel. Nous, on n'a pas fait, mais EDF fait aussi des formations pour les gens qui interviennent dans des armoires électriques. C'est toujours pareil. Il vaut mieux s'électrocuter en virtuel qu'en réel. Il y a des gens qui font de la formation pour des plateformes pétrolières. Ça évite d'envoyer les gens sur les plateformes.
Ce sont des usages qui fonctionnent et qui peuvent avoir du sens. Il y a des usages médicaux. Les médecins qui s'entraînent à faire des opérations. Il commence à y avoir des applications de télé-conférence, télé-travail. Soit au travers d'avatar où on est tous réunis dans la même pièce et on peut échanger sur un tableau blanc virtuel. Soit même maintenant avec des avatars reproduits à partir d'un scan du visage des gens. On a la personne dans un espace virtuel mais en trois dimensions devant nous.
Il y a des applications toujours dans la médecine aussi, il y a de la rééducation ou du traitement des phobies qui peuvent être des usages intéressants. Il y a du jeu évidemment.
Au-delà des applications narratives, il y a aussi beaucoup de jeux vidéo. C'est ce qui tire un peu le marché aujourd'hui. Le marché grand public en tout cas. Le PlayStation a fait un PSVR 2, même s'ils ont annoncé récemment le mettre en pause parce qu'ils ne rencontrent pas un succès fou. Mais ça, ça tire quand même un petit peu le marché.
Landia : les expériences pour les marques, médiation culturelle...
Amaury :
Oui, il y a beaucoup d'événementiel. L'événementiel où on crée de la nouveauté parce que c'est un casque. Donc il y a un dispositif pour une grande marque de luxe. On pouvait, par exemple, s'asseoir dans un télésiège. On mettait le casque et hop, on se retrouvait sur un télésiège qui nous emmenait dans un décor un peu fantastique.
Et puis, il y a tout ce qui est médiation culturelle où il se développe un certain nombre d'expériences immersives qui par le biais de l'immersion et d'un peu d'interactivité, aide à faire de la médiation culturelle et à parler d'une œuvre, d'un peintre, d'un artiste de façon un peu plus moderne, on va dire.
Landia :
Dans les usages scientifiques, moi ce que je trouvais intéressant, c'est tout ce qui va toucher aux neurosciences aussi, c'est-à-dire la capacité qu'a l'immersion en réalité virtuelle à tromper notre cerveau par rapport à ce qu'il est en train de vivre, à lui faire croire qu'il a une certaine réalité. Et du coup, de voir comment il réagit, comment il se positionne et donc de mieux comprendre aussi comment le cerveau fonctionne. Il y a le livre de Anatole Lécuyer de l'Inria, Votre cerveau, ce super héros. Je crois que le livre a été renommé il n'y a pas longtemps, mais qui est hyper intéressant en fait par rapport à ça.
Est-ce qu'on peut avoir le mal de mer en réalité virtuelle ? Si on est sur un bateau qui tangue mais on n'est pas en réalité sur un bateau qui tangue, est-ce qu'on a quand même le mal de mer ?
Amaury :
Alors on comprend mieux maintenant d'où ça vient. Le facteur principal, c'est que la technologie aujourd'hui ne permet pas d'avoir une instantanéité, donc il y a toujours un tout petit peu de retard. Donc entre le moment où on tourne la tête et le moment où l'image réplique, il y a toujours une petite latence qui s'amoindrit au fil du temps. Mais elle est là, ça suffit déjà à dire au cerveau qu'il y a un problème.
Et puis il y a aussi un certain nombre de mouvements qui sont problématiques parce que la plupart des expériences qu'on fait, on peut les faire un petit peu debout, mais dès qu'il y a du déplacement, c'est problématique parce qu'on se déplace beaucoup plus que dans la réalité. Si je suis par exemple sur mon télésiège, moi je suis assis, par contre j'avance dans la réalité virtuelle.
Et mon cerveau, il me dit non mais il y a un truc qui va pas. T'es assis mais t'avances. Alors tant qu'on est sur un télésiège, ça va à peu près parce que sur un télésiège, la perception de la sensation d'avancement, elle est très linéaire et elle est droit devant, donc ça perturbe pas trop le cerveau. Mais dès qu'on se met à voir des mouvements latéraux, là ça devient compliqué. Si je me mets à voir un mouvement de droite à gauche alors que je regarde devant, le mouvement de droite à gauche dans la réalité virtuelle, là mon cerveau ne va pas y mettre du tout. Donc il y a un certain nombre de mouvements comme ça maintenant qu'on essaie d'éviter pour aider le cerveau ou alors on lui donne un cadre, une référence visuelle. Si on n'a aucune référence visuelle, c'est beaucoup plus dérangeant d'avoir ces mouvements latéraux dont on parlait. Si c'est un jeu de voiture par exemple, on va mettre toute une calandre autour, on va mettre les compteurs et on ne va pas voir tant que ça à la route et ça va aider le cerveau à moins percevoir cette différence entre ce qui vit physiquement et ce qui vit virtuellement.
Landia : Le terme technique, c'est la cybercinétose. On parle aussi de cybermalaise ou de mal virtuel, mal du simulateur.
Quel est votre définition du métavers ? Et en parlant du métavers, est-ce que ce n'est pas une utilisation erronée de tout ce qui est expérience immersive ? Le métavers est-il mort ou est-ce que c'est plutôt en suspens selon vous ?
Landia :
Je suis en train de chercher la définition qu'on a mis dans le rapport, parce que la définition du métavers est quand même un gros sujet. Par rapport à la question de savoir s'il est mort, il y a aussi une question de savoir s'il est né, parce qu'il faut d'abord naître pour pouvoir mourir.
Amaury :
Ça dépend de la définition en fait. Ça existe depuis très longtemps les métavers. Second Life qui est très vieux, c'est un métavers. C'est pas un métavers immersif, encore que, au sens casque de réalité virtuelle. Mais c'est un métavers, c'est un univers persistant dans lequel on peut s'immerger, avoir un avatar, rencontrer d'autres gens, on peut avoir un chez-soi, le décorer quand on revient à son chez-soi. Il n'a pas bougé, donc les métavers existent en vrai depuis très longtemps. C'est un univers persistant social dans lequel tu peux interagir.
Richard :
Animal Crossing aussi, du coup c'est un metavers.
Landia :
Oui, la définition que nous on a mise dans le rapport CEPIR, on l'a reprise du rapport de la mission exploratoire sur les métavers, page 35, un rapport commandé par le gouvernement. Il y a une tentative de définition et c'est un service en ligne qui donne accès à des simulations d'espaces 3D temps réels partagés et persistants dans lesquels on peut vivre ensemble des expériences immersives.
Amaury :
Donc la différence, c'est vraiment le terme immersif, quoi. C'est-à-dire que maintenant, je pense, sous l'impulsion de Meta et donc de Mark Zuckerberg, on y a collé ce côté immersif qui fait que ça devient presque concomitant de la VR et des casques. Mais au départ, ça ne paraît pas si évident que ça. Et d'ailleurs, si tu regardes commercialement, la plupart des métavers qui existent, très peu sont réellement des métavers VR.
La plupart, les Roblox et autres, Minecraft, dans une certaine mesure, tous ces univers persistants, 95%, sont pas immersifs VR. C'est des Métavers, mais "flat" sur un écran.
C'est difficile de répondre à la question, mais commercialement, ce qu'on constate, c'est que ça ne marche pas très bien. À l'exception de quelques-uns, la plupart des métavers aujourd'hui sont déserts. Même Horizon, le métavers de méta, ne marche pas. Il y a très peu de monde et donc en tout cas commercialement ça ne marche pas bien. Ça ne veut pas dire que ça ne va pas être un effort soutenu pendant longtemps et que dans 10 ans tout le monde sera dedans. Ça je ne sais pas, je n'ai pas de boule de cristal.
Poursuivons sur toutes les propositions, notamment récemment, Apple qui a sorti l'Apple Vision, est-ce que c'est un échec commercial ? À quoi ça sert ce truc en fait ? Personne n'a vraiment compris on a l'impression de ce que ça peut apporter ce casque virtuel.
La semaine dernière, je donnais une conférence à la Cité des Sciences et il y avait notamment des démos de l'Apple Vision Pro. Et dans les retours principaux, il y a le fait qu'il pèse quand même 600 grammes sur le visage. Donc, il y a un problème de confort parce qu'au bout d'une demi-heure, selon la tolérance des gens, ça devient compliqué de continuer à le porter.
Il y a une batterie externe qu'on a dans la poche donc ça oblige d'avoir un câble aussi ce qui nuit aussi un peu à son confort. Le champ de vision n'est pas incroyable, surtout si on le rapporte au prix parce que c'est vraiment... Il coûte 3499 dollars sans tous les accessoires qu'il faut rajouter. Parce que, par exemple, je ne sais pas, si vous portez des lunettes de vue, il faut payer 200 dollars supplémentaires.
La personne qui faisait la démo, qui est plutôt très enthousiaste par rapport à ce type de technologie, disait que Apple le markete comme un ordinateur spatial, pour lui c'était plutôt un iPad sur le visage.
Pour l'instant, quand on voit des vidéos avec des gens avec l'Apple Vision Pro dans la rue ou dans le métro, ça, c'est vraiment a priori du marketing parce que ce n'est pas vraiment fait pour un usage extérieur.
Dans les cas d'usage qui sont mis en avant, c'est le fait de regarder des films en 3D, des séries ou de travailler chez soi, mais pas de se balader dans la rue avec pour l'instant.
Richard :
Ou à bord des Tesla en mode conducteur autopilote.
Amaury :
Si c'est vrai, c'était ridicule.
Landia :
C'est intéressant d'un point de vue décryptage des imaginaires, mais pour l'instant, ce n'est pas très réaliste. Après, c'est un casque qui s'intègre à tout l'écosystème Apple. Il y a le fait de pouvoir passer des appels, par exemple, à ses contacts comme un iPhone, et puis d'avoir un persona, donc en fait, un avatar qui nous ressemble énormément.
Je crois que c'est assez perturbant encore parce qu'il y a le phénomène de l'Uncanny Valley, c'est-à-dire qu'on se rapproche d'une certaine réalité mais en même temps on est habitué depuis l'enfance en fait à décrypter toutes les expressions, les regards en fait d'autres êtres humains et donc on se rend bien compte qu'il y a un truc qui n'est pas complètement naturel. Il y a ce sentiment d'étrange quand on regarde le personnage, le sien ou celui de quelqu'un d'autre dans l'Apple Vision Pro pour l'instant mais ça reste quand même assez impressionnant.
Mais à quoi ça sert ?
Landia :
Le casque, je crois, à la fois filme ton regard et une partie de ton visage pour pouvoir le projeter sur la surface extérieure du casque pour que les personnes qui sont autour de toi dans la pièce et l'impression de te voir à travers le casque et de garder ton regard. Donc ça c'est un truc. Et puis après le fait d'avoir un persona ou un avatar qui soit réaliste et qui soit toi, c'est pour pouvoir le promener dans ces mondes virtuels et puis pouvoir être représenté en fait.
Amaury :
Un petit compliment par rapport à quoi ça sert. Et est-ce que c'est un succès ou pas ? Je pense qu'il faut replacer ça dans le contexte global. Apple a bien précisé, même si ça tend à disparaître, que ça n'était qu'une sorte de kit de développement. C'est pas un produit qui est censé intéresser le grand public. C'est pas fait pour, donc c'est avant tout un produit de prototypage et d'habituation pour les supers enthousiastes et les studios, donc ils ne positionnent pas comme un produit grand public.
Après, je pense que du coup, à mon avis, la très bonne réception leur convient très bien parce que ça commence à acculturer les gens au fait qu'un jour, ils pourraient avoir ce genre de casque. Et je pense qu'ils positionnent ça comme l'avenir de l'informatique. Donc, il ne faut pas réduire ça juste au fait qu'aujourd'hui, on voit des exemples ridicules. Pour eux, il y a quand même un côté c'est l'avenir de l'informatique, c'est-à-dire qu'on va pouvoir être des supers humains avec 12 écrans devant nous, avec la radio à gauche, le Spotify à gauche devant nous, l'écran de travail devant, en face, le YouTube à droite, Twitch ou je ne sais pas quoi ailleurs. Et puis quand on sera en train de regarder un film, on va pouvoir avoir le film en version plate, en version immersive 3D, en version tout autour de nous, machin.
Je pense qu'il y a une vision du futur derrière cet appareil-là. Et le stress d'Apple et de toutes ces marques, c'est de ne pas passer à côté de la prochaine plateforme importante.
Et s'il s'avère que la prochaine plateforme de l'accès à l'informatique et à l'information en ligne, ça se passait par l'immersif, il faut qu'Apple y soit. Ils ne veulent pas rater ça.
C'est important de remettre ça dans son contexte et du coup, on comprend mieux la stratégie d'Apple. Et à mon avis, du point de vue de leur stratégie, c'est une vraie réussite. L'acculturation, elle marche, tout le monde en parle. Les développeurs s'en emparent et commencent à créer des applications. Et le grand public regarde ça d'un œil un peu circonspect, mais commence à s'habituer au fait de voir des gens avec ces casques-là. Donc, à mon avis, du point de vue d'Apple, c'est une réussite.
Landia :
Oui, et puis après les interactions avec tous ces éléments virtuels, ça se passe avec les mains, avec le regard, effectivement, c'est plus organique qu'une souris ou un clavier.
Et sur le plan environnemental, nous, dans le cadre de CEPIR, on a démonté des casques de réalité virtuelle pour identifier les composants, les procédés de fabrication, évaluer les impacts environnementaux associés à la fabrication d'un casque, et ce qui pèse le plus lourd en termes d'impact, c'est l'écran. Donc effectivement, si l'Apple Vision Pro ou des générations suivantes remplacent tous les autres terminaux qu'on a aujourd'hui, les grandes télés, les ordinateurs, les smartphones, et que tous ces écrans-là sont en fait dans le casque qui, lui, a un écran beaucoup plus petit, effectivement, là, on gagne sur cette fabrication d'écran.
Amaury :
C'est un argument marketing génial. C'est 213 grammes de la fabrication d'un casque, donc c'est deux fois plus qu'un super smartphone et c'est deux fois plus que les casques actuels, les casques du type de ceux de Meta ou de HTC.
Dans l'étude qu'on a faite, on ne peut pas citer les marques parce que les chiffres qu'on a pourraient être contestés, même si ils ont été faits dans les règles de l'art.
Donc le casque, en tout cas, les chiffres publiés par Apple, ça, on peut en parler. Et si on met ça, on regarde une grande télé, je ne sais pas une télé de 1 mètre ou 1 mètre 50, je ne sais plus quel est le poids, mais c'est beaucoup plus. Donc ils ont un discours marketing tout tracé et qui est de remplacer ces écrans qui sont écologiquement très coûteux par notre petit machin. Et vous pourrez avoir une télé plus grande que ce que vous avez jamais eu. Formidable.
Oui, mais à titre individuel, parce que les casques de réalité virtuelle, que ce soit l'Apple Vision Pro ou autres, c'est une vision aussi très individuelle de l'usage de la technologie, d'une part, et puis une vision un peu transhumaniste, en fait.
Landia : Oui.
Amaury : C'est ce que je disais, il faut voir quel modèle de société ça sous-tend. Et d'une manière générale, on a quand même l'impression que pour ces entreprises de la tech, tout ce qui est mutualisation et partage, ça les intéresse pas, parce que ça veut dire qu'on vend moins. Ça veut dire que les gens font un peu plus de choses hors contrôle.
C'est moins bien pour une entreprise losqu'on discute en vrai, c'est moins bien pour une entreprise qui vend des données ou qui utilise ces données. Alors que si tu discutes dans le métavers, là c'est génial, tu sais de quoi ils parlent, tu peux analyser leurs mouvements, tu peux en déduire un certain nombre d'informations, du coup placer de la pub, vendre les données. Alors que quand des gens discutent en vrai, c'est vachement moins bien, tu peux rien en faire de ça. Donc ils ont tout intérêt à conserver ce modèle de société individuel où chacun a un casque dont ils vont nous expliquer à un moment donné qu'il sera neutre en carbone,
Ce qui ne sera jamais vrai, aucune construction est neutre. Mais pour eux, c'est bien plus intéressant de conserver ce modèle, un modèle collaboratif dans lequel on n'a pas de casque, mais on crée des expériences communes qui peuvent utiliser un petit peu de digital. On n'est pas obligé d'exclure complètement le digital, mais c'est beaucoup moins intéressant parce qu'ils n'ont plus de prise sur l'échange et sur les données.
Landia :
Et ça, c'est vraiment au cœur du sujet. C'est cette question d'économie de l'attention et de commercialisation des données personnelles et capacité, du coup, de ces nouveaux terminaux d'aller collecter des données qu'on n'avait pas auparavant.
Typiquement, le casque de réalité virtuelle, en l'occurrence, il peut filmer l'environnement autour de l'utilisateur, donc ça permet de savoir à quoi ressemble l'appartement, l'endroit où on vit, les gens. Et si on tend vers un des terminaux qu'on porte au quotidien, qui sont peut-être des lunettes plus légères ou un truc comme ça, c'est une source d'information qui est incroyable, donc une capacité aussi à avoir un profiling des utilisateurs qui est beaucoup plus précis et donc à pouvoir commencer à prédire leur comportement, potentiellement à pouvoir les influencer. Donc ça pose plein de questions aussi qui sont des questions démocratiques et autres.
Amaury :
La dernière mise à jour du casque de Meta par le biais de l'IA maintenant propose une interprétation de chez toi. Cela scanne ton intérieur et que comme disait Landia avec les petites caméras extérieures et maintenant ça reconnaît, c'est-à-dire que si tu autorises cette fonctionnalité, ça sait où sont tes murs, où est ton lit, où est ta fenêtre, où est ta table. Ça peut probablement même aller un peu plus loin et savoir si ta table est plutôt bien rangée ou pas rangée.
Et donc ça, c'est fou quoi. Ces géants de la tech peuvent connaître comment c'est fait chez toi. Ils savent déjà où tu habites, puisque de toute façon, on est tracé au GPS avec le téléphone, etc. Et maintenant, ils connaissent notre intérieur.
Landia :
Oui. Et je connais beaucoup de gens qui sont très contents d'avoir des publicités qui sont plus pertinentes et qui ne voient pas le problème sous-jacent.
Richard :
Est-ce qu'ils peuvent proposer des idées déco ?
Amaury :
Ah non, mais c'est quelque chose qui va arriver assez vite, c'est-à-dire que tu vas pouvoir aller chez Ikea en ligne et dire, ben voilà, tiens, teste-moi un canapé à cet endroit-là et il va te le mettre.
Parlons du projet CEPIR. Vous êtes porteur de ce projet qui s'appelle cas d'étude pour un immersif responsable, acronyme CEPIR. En quoi consiste ce projet ?
C'est vrai que dans le cadre de CEPIR, parmi les recommandations, c'est vraiment de favoriser un usage partagé des terminaux, des casques de réalité virtuelles en l'occurrence.
À la fois, ça permet d'avoir moins de casques qui sont commercialisés, s'ils sont disponibles dans des médiathèques, etc. Ils sont utilisés par un très grand nombre de personnes, parce que de toute façon, on ne peut pas pour l'instant les avoir sur la tête toute la journée, autant qu'ils ne soient pas sur une étagère en train de dormir. Mais au-delà de cette question environnementale, il y a cette question que ça ne permet pas de collecter des données personnelles sur les utilisateurs, donc ça freine un petit peu ce modèle économique qui nous paraît aussi par ailleurs au-delà des impacts environnementaux, assez dangereux.
Et CEPIR c'est l'acronyme de Cas d'étude pour un immersif responsable. Au départ, l'idée, c'était d'avoir un cas d'étude qui était l'œuvre Okawari dont j'ai parlé au début, qui est une œuvre multijoueur en réalité virtuelle avec quatre casques qui se passent dans un restaurant japonais.
Et l'idée c'était d'utiliser cette œuvre pour montrer à la fois ce qu'on peut faire de génial avec la réalité virtuelle, artistiquement parlant, et montrer aussi dans la proposition artistique elle-même tous les impacts environnementaux qui sont associés à la fabrication et à la diffusion d'une œuvre comme ça.
Donc c'était un cas d'étude parce que c'était la première œuvre sur laquelle on allait essayer de mesurer, d'évaluer concrètement et de chiffrer les impacts environnementaux de la production, de la fabrication et de la diffusion. Et en fait, concrètement, l'objectif d'Okawari, c'était de sensibiliser les professionnels de la filière XR à ces enjeux-là.
On avait envie de faire sélectionner l'œuvre à la Biennale de Venise, sélection immersive parce que c'est vraiment un gros moment de rencontre tous les ans, où il y a des programmeurs de festivals, des producteurs, des artistes et du public.
On s'était dit on va faire un super projet, les gens vont venir le voir et en même temps ça posera les questions des impacts de l'œuvre. On avait par exemple à l'extérieur de l'installation, un compteur carbone qui démarrait avec le bilan carbone associé à la fabrication de l'œuvre et puis qui augmentait en temps réel au fur et à mesure que les gens venaient généralement de très loin, voir les œuvres à la Biennale, dont Okawari, on prenait un prorata des émissions de leur transport en fonction du nombre d'œuvres qu'ils allaient voir, du nombre de jours où ils restaient sur place, etc.
Et au-delà de ça, à cette époque-là, sur Okawari, on s'est rendu compte qu'on arrivait potentiellement à grosse maille à chiffrer les émissions de gaz à effet de serre associées à la fabrication et diffusion de l'œuvre, mais on n'avait pas du tout d'éléments pour pouvoir évaluer les autres impacts, notamment la consommation de métaux, d'eau, voilà. Et puis même sur le critère carbone, il n'y avait pas de facteur d'émission, par exemple, pour les casques de réalité virtuelle.
Donc c'est ça qui nous a donné envie de faire le projet Cepir, se retrouver face un problème qui est mal documenté. Tout le monde a une opinion sur mais oui non mais c'est pas un problème, etc.
On ne sait pas quelles sont les vraies questions qui se posent, les arbitrages qu'il faut faire et on ne peut pas parler, on ne peut pas discuter ensemble de façon constructive parce que ce n'est pas assez bien documenté.
On a candidaté à un appel à projet France 2030, avec le projet CEPIR et l'objectif c'était de pouvoir évaluer tous les impacts environnementaux associés à la création et à la diffusion d'une oeuvre immersive et aussi ensuite de pouvoir voir comment ces impacts environnementaux aujourd'hui pourraient évoluer par rapport à différents scénarios de prospective à horizon 2030. On pourrait étendre à 2050 parce que 2030 c'est qu'un point d'étape, ça s'arrête pas là. Et comparer ces scénarios, en l'occurrence cinq, à une trajectoire qui pourrait être la trajectoire de référence sur le crédit carbone, on va dire de décarbonation du numérique en France.
Voir comment ces scénarios se comporte, s'il y en a qui sont alignés avec cette trajectoire, qui nous permettrait de rester dans le cadre de respecter les accords de Paris, ou si on est complètement hors les clous.
Suite à ce travail d'évaluation des impacts aujourd'hui, à horizon 2030, on a pu formuler un certain nombre de recommandations qui sont présentées dans le rapport CEPIR, à la fois à l'attention des acteurs en charge des politiques publiques et à l'attention des professionnels de la filière. Parce que nous, en tant que professionnels de la filière, on se dit qu'on ne doit pas être dans une position attentiste vis-à-vis des pouvoirs publics dont on attend les directives et que tout vient d'en haut, entre guillemets, mais qu'il y a énormément de choses qu'on peut faire aussi en tant que professionnels et que c'est aussi un enjeu de résilience de toute façon pour nous en tant qu'acteurs. Donc il est temps qu'on s'en saisisse.
Qu'est-ce qu'on peut retenir d'autres dans les résultats de votre projet CEPIR ?
Landia :
Déjà, on a défini deux facteurs d'émissions pour les casques de réalité virtuelle, qui sont intégrés à la base empreinte de l'ADEME, qui n'existaient pas. On en avait pas, donc ça nous permet de pouvoir avancer un peu. On a un facteur d'émission pour des casques VR avec un écran LCD et deux manettes, et un pour les casques VR avec un écran OLED et manette.
Avec l'écran LCD, c'est 50 kg de CO2 équivalent par pack, pack étant le casque plus les manettes. Et pour un écran OLED, c'est 92 kg de CO2 équivalent pour le pack. Donc on voit effectivement que les casques qui ont un écran OLED ont un impact pour la fabrication et la distribution qui est bien plus important.
Après, on a dans tous les livrables, il y a plein de choses infos. Moi, vraiment, j'invite les gens que ça intéresse à aller regarder sur le site cepir.info parce qu'on a tout mis en open access. L'idée, c'est d'être hyper transparent et de contribuer à un commun numérique.
On a défini des recommandations. Pour les pouvoirs publics, la première, c'est de définir une trajectoire de décarbonation du numérique à horizon 2030 et 2050 qui soit intégrée à la stratégie nationale bas carbone. On a besoin de savoir quelle est cette trajectoire. Nous, on a fait des propositions dans le cadre du rapport par rapport à ce qu'on pensait être la trajectoire qui devrait être retenue.
Ensuite, on a une question qui est de hiérarchiser les usages par rapport à cette trajectoire, donc de se dire, en fait, tous les trois ans, on va réduire notre trajectoire de tant..., on a des budgets environnementaux qui décroissent d'année en année, et il faut qu'on décide, en fait, de qu'est-ce qu'on veut prioriser dans le cadre de ces budgets décroissants.
Est-ce que c'est le fait d'avoir des Apple Vision Pro qui vont remplacer les autres terminaux ? Est-ce qu'au contraire, on est dans une attitude de renoncement ? Il y a des choix à faire et ça, potentiellement, et la question de qui doit faire ces choix-là et de est-ce qu'il ne faudrait pas essayer de repartir sur une concertation citoyenne ou une convention citoyenne par rapport aux usages numériques.
Il y a définir une trajectoire, hiérarchiser les usages, ensuite définir les modalités de gouvernance, d'encadrement réglementaire de la part des pouvoirs publics, du développement de l'XR par rapport à cette trajectoire et à cette priorisation d'usage.
Ensuite, on peut adapter les lois existantes qui visent à réduire les impacts environnementaux du numérique à l'XR, parce que souvent, elles ne le sont pas. Il y a un travail à faire pour limiter l'obsolescence matérielle, logicielle, culturelle.
On peut instaurer un seuil plafond d'émissions par unités fonctionnelles. Selon les cas de figure, on peut définir des unités fonctionnelles différentes et s'arranger pour que ce seuil plafond soit aligné sur la trajectoire de réduction et donc soit réduit tous les X années. Il faudrait conditionner l'accès aux subventions au respect de ces engagements. Ça implique aussi d'avoir des commissions qui soient formées pour pouvoir évaluer les projets au regard de ces critères environnementaux.
Il y a la question d'avoir une concertation citoyenne pour un numérique responsable, donc ça serait hyper intéressant d'avoir un débat un peu citoyen sur ça. Essayer toujours d'oeuvrer dans un esprit d'équité et de justice sociale. Est-ce qu'il faudrait réserver la XR a une élite politique, économique. Est-ce que c'est juste de s'équiper encore davantage en Europe alors qu'il y a 33% de la population mondiale qui n'est même pas connectée à Internet ? Il y a toutes ces questions qui se posent.
Et de la part des pouvoirs publics, travailler à la sensibilisation des entreprises et des utilisateurs. Mais en fait, nous, on se rend compte qu'on a fait une enquête XR environnement auprès des professionnels de la filière, c'est que le niveau de sensibilisation des professionnels est assez faible en fait. Il y a quand même un gros travail auquel on essaye de contribuer, mais ça prend un peu de temps et on a besoin de soutien.
Amaury :
Tu veux que je fasse la partie entreprise pour que tu puisses respirer. Comme le disait Landia, il y a un vrai manque de connaissances, pas forcément par mauvaise volonté, mais c'est un sujet qui est vaste, qui est complexe.
On sent bien, sans même connaître, que ça peut aller à l'encontre de ce qu'on est en train de développer, en particulier quand on est une entreprise très tech. Je pense qu'il y a une frilosité par rapport à ça. Du coup, dans les dix propositions qu'on a faites à destination des entreprises, la première, c'est vraiment prendre conscience, s'informer et accepter que ça va remettre en cause des choses. Parce que tant qu'on est dans une posture de distanciation, on n'arrivera pas en fait à prendre en compte et à prendre la mesure des changements que ça va devoir demander. La première des choses, c'est vraiment prendre conscience et accepter que ça va bouger, que ça va changer.
Ensuite, c'est de ne pas le faire tout seul. Donc on a résumé ça par se lier aux autres parce que c'est assez vertigineux pour avoir fait à titre individuel notre parcours de découverte et de détricotage de la pelotte pour se rendre compte des changements qui est en train d'arriver, quand tu le fais tout seul, c'est compliqué. Donc, il vaut mieux le faire entouré, en particulier entre chefs d'entreprise. Ça peut être vachement bien de démarrer ce chemin à plusieurs chefs d'entreprise parce que les questions, même si les positionnements d'entreprise ne sont pas tout à fait les mêmes, parfois même les secteurs ne sont pas les mêmes, le faire avec d'autres chefs d'entreprise, je pense que ça va aider à se rendre compte que les problématiques vont se poser de façon très transversale et qu'on aura un peu tous les mêmes problèmes.
Ensuite, là c'est le point dur, une fois qu'on est conscient de tout ça, questionner la vision de son entreprise et son modèle économique. Est-ce que le modèle économique de mon entreprise est compatible avec ce qu'il faudrait pour le monde de demain ? Est-ce que c'est compatible avec le respect des limites planétaires ? Si mon modèle d'entreprise c'est de vendre un maximum de gadgets à tout le monde et si possible en 2, 3 ou 12 exemplaires, peut-être qu'à un moment donné, il va y avoir un problème d'incompatibilité avec les limites planétaires.
Donc ça, c'est le point dur. Mais si on s'est conscientisé avant, c'est beaucoup plus facile parce que sinon, ça apparaît comme une espèce de couperet qui tombe et on dit non, faut que tu arrêtes de produire ça. OK, mais qui es-tu pour me dire d'arrêter de faire ce qui me permet de nourrir ma famille ?
Ensuite, s'assurer que ce qu'on fait n'est pas déjà fait et qu'on a vraiment besoin de faire ce qu'on a à faire. Dans le cas d'un service qui peut être existant, c'est très pertinent. S'il y a déjà une entreprise ou un service qui le fait, je ne vais peut-être pas le refaire. Ça va à l'encontre de la compétition au sens capitalistique, mais c'est extrêmement rationnel et ça a du sens de ne pas essayer de refaire la même chose que ce que fait quelqu'un d'autre, mais juste en étant un peu moins cher, en ayant des travailleurs un peu moins bien payés pour lui prendre ses parts de marché. C'est vraiment une logique de pensée différente, une logique de pensée commerciale différente.
Et dans le cas d'oeuvre, c'est un peu plus compliqué de se dire, est-ce qu'une œuvre équivalente a déjà existé auparavant en général ? Non. Donc là, la question à se poser, c'est plutôt à titre individuel, est-ce que vraiment ce projet là va apporter quelque chose de positif et est-ce que ça justifie de le faire ? Dans le cas de Okawari, très clairement, quand on a pu avoir les estimations de bilan carbone, on s'est dit ok, la création de l'œuvre, on était à 12 tonnes CO2, donc on était à un peu plus que le budget d'un Français sur un an. Et donc on s'est dit, mais est-ce qu'on peut s'autoriser ça ? Et on y a répondu en disant oui, OK, on s'autorise ça parce que c'est un projet de sensibilisation et on espère qu'il y aura plus de sorties positives de ça et que ça conviendra contrebalancer nos 12 tonnes d'équivalent CO2.
Ensuite, avant de mettre en oeuvre un projet XR, ça c'est valable pour tout type de projet d'ailleurs, avoir une approche conséquentielle, c'est à dire se demander quelles sont l'ensemble des conséquences de la mise en marché de mon produit. Si je fais un super jeu qui a un gros carton, c'est génial, mais en même temps ça veut dire que ça va probablement convaincre un certain nombre de personnes de s'équiper de casque.
Est-ce que c'est une bonne chose, une mauvaise chose ? On y répondra peut-être pas ici. Mais en tout cas il faut être conscient que ça a cet impact là. Et si je fais le même jeu mais que je le vends pas sur le store Oculus par exemple mais que je le réserve aux salles d'arcade, là on est sur un usage mutualisé où les gens vont pouvoir localement aller jouer en famille.
Peut-être que ça a plus de sens et peut-être que je peux reformater mon projet pour que ça devienne plutôt un projet destiné à des salles d'arcade qui auront une approche un peu plus raisonnée, on va dire, de l'utilisation du matériel.
Landia :
Mais si on diffuse en usage mutualisé à la Biennale de Venise, là pour le coup on explose le bilan carbone parce que les visiteurs se déplacent d'extrêmement loin.
Amaury :
Ce qui pose la question d'aller dans des festivals internationaux quand on est créateur d'œuvres. C'est une question qui n'est pas simple parce qu'on a envie aussi d'y aller pour le montrer et potentiellement gagner un prix, assurer une distribution par la suite. C'est très orthogonal, c'est très antidomique comme truc.
Ensuite, si on décide de faire un projet, s'assurer qu'on réduit au maximum l'ensemble des impacts du projet. Donc, si on fait un tournage, par exemple, ça peut être de faire en sorte qu'il n'y ait pas de viande, s'assurer qu'on limite, voire qu'on ne fait pas de vol en avion, au maximum. On peut essayer de trouver des équipes distantes par Internet. Essayer d'avoir vraiment la contribution nette la plus basse possible.
Ensuite, on peut réfléchir aux façons de contribuer au travers de son activité à la prise de conscience. Ça peut être des projets militants, mais pas forcément. Ça peut aussi être que dans le cadre de la distribution, si on fait une distribution locale, on s'associe à des associations locales pour que ça se fasse en même temps que des fresques du climat, par exemple. Il y a mille choses à imaginer pour que la façon de distribuer et de mettre à disposition le projet, et même de le fabriquer, mutualise un maximum tout ce qu'on peut mutualiser. Que ça aide à la prise de conscience, que ça aide à des dynamiques, des synergies locales.
Je donne un exemple qui n'est pas forcément basé sur une expérience personnelle, mais plutôt que de se dire que je vais travailler avec ces programmeurs nearshore qui sont sur un continent assez proche et culturellement assez proche, mais qui sont trois fois moins chers, ok, c'est bien pour ce pays, mais est-ce que ça va contribuer à ma dynamique positive locale ? Peut-être pas. Peut-être que c'est plus malin de bosser avec une école locale qui, pareil, pourra permettre des économies de coût, mais qui va former des gens et qui pourra faire des nouvelles recrues à terme qui seront des gens plus locaux.
Ensuite, créer des communs, c'est-à-dire ne pas réinventer la roue. Je ne sais pas combien de personnes aujourd'hui ont modélisé des tables en 3D. Peut-être qu'on n'est pas obligé de remodéliser à chaque fois des tables en 3D. Elles sont liées à la DA (direction artistique) du jeu ou de l'application, forcément.
Mais on peut aussi repartir de l'existant. Il y a déjà des places de marché qui permettent d'acheter. On pourrait vraiment étendre cette logique de commun numérique pour éviter de tout redévelopper. La problématique, c'est que dès qu'on développe une technologie intéressante, l'entreprise a tendance à la garder comme un avantage compétitif.
Là où il faudrait qu'on réussisse à basculer dans une logique un peu plus de commun numérique ou si j'ai développé un algorithme de pass finding super adapté à la VR, plutôt que de réfléchir à une façon de le mettre à disposition pour que ça devienne un objet communautaire, peut-être que je gagne quand même un petit peu d'argent avec à voir, mais ne pas le garder fermé et pour soi.
Landia :
C'est dans cette logique qu'on a fait CEPIR d'ailleurs, le fait de se dire que ça ne sert à rien que tout le monde se met à démonter des casques et à faire des ACV (Analyse de Cycle de Vie) chacun dans son coin, parce qu'une fois qu'on a les données, il faut les partager.
Amaury :
Et le dernier, c'est d'être proactif par rapport à ces enjeux. Ça rejoint un petit peu le cercle de l'inaction. C'est-à-dire que tout le monde se refile la patate chaude en disant non, mais moi, tant que les pouvoirs publics ne me le demandent pas, je ne vais pas le faire. Ou les pouvoirs publics vont dire tant que les gens ne militent pas pour ne demandent pas très fort, je ne vais pas le faire, etc. Tout le monde se refile la patate chaude. Du point de vue de l'industrie, un des messages qu'on aimerait faire passer, c'est n'attendez pas.
N'attendez pas parce que de toute façon il faudra en passer par là et puis même voyez-le comme un avantage compétitif, c'est-à-dire que par définition tout ce qui n'est pas durable ne durera pas. Donc il faut que votre activité devienne durable sinon elle n'a pas de sens à l'avenir.
Donc soyez proactif. Il y a toute une génération de gens qui arrivent qui sont aussi beaucoup plus conscientisés. De plus en plus de gens n'auront pas envie de travailler dans une entreprise qui n'a pas fait cet effort proactif et qui n'est pas conscientisé. Donc à un moment donné, c'est presque juste de la stratégie moyen terme d'entreprise.
Landia :
La difficulté, c'est qu'il y a aussi beaucoup d'entreprises qui cherchent à augmenter leur valorisation le plus vite possible pour ensuite revendre et potentiellement faire quelque chose qui soit plus aligné. Mais en se disant que de toute façon à court et moyen terme ça passe et donc l'objectif est de gagner un maximum d'argent simplement.
Amaury :
Je serai vertueux quand je serai riche.
Dans vos recommandations, il n'y a pas cette notion de renoncer ? Est-ce que vous avez réfléchi à inviter à renoncer à la réalité virtuelle ? Parce que effectivement, vous parlez du fait que le fait de substituer des grands écrans par des casques virtuels, on va dire, c'est plus intéressant en termes environnemental, mais est-ce que ça sera vraiment le cas puisqu'on a plutôt une accumulation d'appareils et comme tu disais, l'intérêt des industriels c'est juste de vendre davantage d'appareils et que ces appareils soient obsolètes le plus rapidement possible. Pour vous, il y a quand même cette notion de renonciation ? Vous êtes plutôt dans une phase d'adaptation, de réduire, d'optimiser ce qui existe ?
Landia :
Si en fait, complètement, et on en parle et on utilise le mot de renoncement dans le rapport, même si c'est un mot qui est presque pas politiquement correct dans ces milieux-là.
Mais ça va avec la hiérarchisation et la priorisation. Il faut qu'on choisisse ce qu'on priorise et ce à quoi on renonce. Après, ça doit faire l'objet d'une concertation un peu plus large à notre sens et par rapport à un sujet qui est bien documenté, donc c'est ce à quoi on cherche à contribuer. Mais en fait, prioriser et renoncer, c'est la suite logique à partir du moment où on accepte qu'on ne vit pas sur une planète extensible avec des ressources illimitées.
Et ce n'est pas forcément un problème parce qu'on le fait tous les jours en fait. On a un budget qui n'est pas illimité à dépenser tous les mois pour la plupart d'entre nous. On a des journées qui font que 24 heures donc il y a des choses qu'on ne peut pas faire et en fait c'est exactement la même chose par rapport à ces contraintes physiques auxquels on est soumis.
Si on n'a pas de métaux, si on n'a pas d'eau, si on n'a pas d'énergie, de toute façon, tout ça, ça ne peut pas fonctionner, cette infrastructure numérique, qui est la XR, si on est dans un monde à plus de 4 degrés, c'est pas prévu pour fonctionner à cette température-là, et nous non plus d'ailleurs, donc ça peut pas marcher non plus, donc on est obligé effectivement de faire ces renoncements par rapport à ces budgets environnementaux, et nous, on le voit quand même comme quelque chose d'assez positif, parce que renoncer, c'est se poser la question de ce qu'on veut vraiment.
On est dans un monde aujourd'hui qui est très complexe où on est submergé par l'offre de contenu de tout et aujourd'hui on en est à la situation où en fait on va commencer à devoir se poser la question de ce qui est essentiel et peut-être du coup en cours de chemin retrouver le temps de vivre et de se demander vers quoi on court.
Et si on pourra courir demain à ce rythme-là. Donc c'est des questions qui sont hyper intéressantes, qui sont fondamentales, mais qu'il faut avoir de façon un peu plus collective.
Nous on n'a pas dit dans le rapport, il faut renoncer à la XR parce qu'effectivement, peut-être que dans un cas où ça remplacerait tous les autres terminaux et où il y aurait un partage, etc., peut-être qu'en fait c'est un choix qu'on aurait envie de faire. Mais c'est à ces conditions-là.
Amaury :
Nous, on ne peut pas se placer en censeur en disant la XR oui ou la XR non. Comme le disait très justement Landia, ça doit faire l'objet d'un débat et d'une hiérarchisation parce que dans le lot, comme Landia le citait et tu le citais aussi pour les écrans, il y a des usages qui peuvent peut-être avoir du sens dans un contexte bien précis.
Après, à titre individuel, chacun reste à peu près libre de ses choix, autant que faire se peut dans une société où on a tous des crédits et autres. Donc la liberté qu'on a, elle est modérée, on va dire, en tout cas dans ce modèle de société. Mais on a quand même un espace de liberté qui sont nos choix individuels, ce à quoi on contribue personnellement au travers de son travail. Ça fait partie des choix prioritaires, enfin importants.
Moi, à titre personnel, j'ai ressenti trop de dissonance au bout d'un moment à promouvoir l'usage d'un nouvel appareil, à faire des campagnes, notamment comme on était gros, on faisait à la fois du contenu narratif parfois très engagé, mais on faisait aussi beaucoup pour faire tourner la boutique, on faisait aussi beaucoup de marketing, des opérations commerciales, événementielles.
Et à un moment donné, j'ai ressenti trop de dissonance entre le fait de continuer à utiliser des dispositifs technologiques pour convaincre les gens d'acheter plus de trucs dont souvent ils n'ont pas forcément besoin et le fait qu'à titre individuel je faisais des choix beaucoup plus engagés, notamment de réduire, je n'ai pas pris l'avion depuis début 2020. Ça ne veut pas dire que je ne le reprendrai pas, mais en tout cas, je ne l'ai pas repris depuis. J'ai quasiment arrêté de manger de la viande. Enfin, je me déplace le plus possible en vélo et en train.
Donc, je ressentais trop de dissonance et donc mon choix à titre individuel, ça a été d'arrêter et donc de trouver un repreneur et de quitter la société que j'avais fondée.
Landia :
Ça c'était vraiment un modèle assez unique dans ce secteur là parce que tu étais quand même du coup le fondateur et le dirigeant d'un studio qui avait un peu plus de 50 salariés au moment où t'es parti en juin 2023 et des patrons de studio de cette taille là qui ferait ses choix ou d'un point de vue de quelqu'un qui se serait posé moins de questions, en fait, tu as tout à perdre à faire ce choix-là et c'est complètement OVNI.
Mais en fait, c'est assez rare et en même temps, effectivement, il faut sortir de la dissonance et c'est aussi en allant ouvrir d'autres portes qu'on voit s'ouvrir d'autres possibilités qui sont parfois bien plus enthousiasmantes que celles dans lesquelles on était au départ.
Amaury, tu as été chef d'entreprise, mais est-ce que tu as essayé de changer les choses de l'intérieur, de faire pivoter le business de ton entreprise ? Est-ce que c'est quelque chose que tu as essayé ?
Amaury :
Selon les configurations des entreprises, il va y avoir des limites ou pas à ce qu'on peut faire. Moi, la limite que j'ai eue, ça a été une limite du point de vue de l'équipe. C'est qu'en fait, on avait progressivement, au fil du temps, assemblé, constitué une équipe qui était assez géniale, avec des gens vraiment tous individuellement super. C'est des gens avec qui je pourrais probablement partir en vacances, vraiment une équipe chouette, pleine de compréhension, d'empathie, plein de talent qui produisait des trucs vraiment géniaux. Donc c'est aussi ce qui m'a fait hésiter pendant longtemps.
J'avais pas envie de casser ça parce que notre modèle était vraiment basé sur le fait de créer toutes ces expériences, sur un développement assez fort de tout ce qui était immersif.
Pour continuer, il fallait oeuvrer au développement de la VR et tout ce qui s'en suit. Je n'ai pas vu en tout cas comment réussir à faire pivoter le business model intrinsèque de l'entreprise sauf à ce qu'on repasse de 50 à 10 et de façon pas très marrante. Et du coup, j'ai fait le choix de laisser l'équipe continuer. Ça a été ma limite, mais c'est probablement pas vrai pour plein d'autres entreprises. Il y a des entreprises qui peuvent pivoter.
En plus, moi, j'étais dans une configuration financière qui faisait que j'avais pas toute liberté de pouvoir faire un pivot radical comme celui que je décris, donc j'avais un peu une double limite qui a fait que j'ai fait ce choix-là.
Landia :
Et puis les gens n'avaient pas signé pour ça et en fait dérouler la pelotte, ça prend du temps. Toi, Amaury, c'est un cheminement que tu as fait sur plusieurs années et ça aurait été compliqué d'imposer, on veut dire d'en haut, un shift complètement radical, voir un nouveau métier à des gens qui ne s'étaient pas du tout engagés pour cette aventure-là. Donc en fait, il faut que chacun puisse faire son chemin à son rythme.
Amaury :
Oui et ça a été l'occasion de partager quand même aussi les raisons de mon choix et j'espère d'avoir planté des petites graines pour que les gens se disent, OK, peut-être que moi, à titre individuel, je peux aussi réfléchir à ce à quoi je contribue.
Comment a été accueillit ton départ. Est-ce que ça a été compris ?
Amaury :
Je pense que j'ai eu à peu près le panel de réactions au complet. Je pense qu'il y a des gens qui voyaient bien que depuis quelque temps, j'étais en dissonance assez forte et qui connaissaient aussi mes engagements personnels par ailleurs. Donc, je pense qu'il y a un certain nombre de personnes qui n'étaient pas surpris et qui ont complètement compris. Et il y a des gens aussi qui n'ont pas forcément compris.
Il y en a qui pensaient que j'avais plus d'infos qu'eux et que du coup je sentais que la VR allait se casser la figure et que donc j'anticipais un revirement. Il y a des gens qui ne comprenaient pas tout simplement...
Richard : T'as fait un délit d'initié ?
Amaury :
En l'occurrence non, parce qu'on n'est pas coté en bourse. Et en plus, pour le coup, j'ai été extrêmement transparent. Je n'ai pas de boule de crystal. À l'époque, je n'avais aucune info sur ce que deviendrait la XR, la VR.
Et j'ai expliqué de façon extrêmement claire les raisons de mon choix. Donc non, pour le coup, j'ai été vraiment très transparent là-dessus. Et puis il y a des gens qui ne comprenaient pas parce que j'ai aucun intérêt à faire ce que j'ai fait. Je perds de la reconnaissance liée au fait d'avoir monté une boîte qui marche bien. Je perds des revenus financiers. Je perds une équipe chouette.
J'ai dû renoncer à plein de choses et c'est pas simple. Et donc, il y a des gens qui ne comprennent pas que j'ai renoncé à ça et qui m'attribuent à d'autres causes. Mais non, c'est bien un choix raisonné et voulu.
Est-ce qu'il existe des jeux vidéo ou des expériences immersives sur les questions écologiques ? Est-ce que vous en connaissez ?
Landia :
Rien que la semaine dernière, à la Cité des Sciences, il y avait un certain nombre de conférences, après la mienne, auxquelles j'ai assisté. Par exemple, une société qui s'appelle, je crois, Wild Immersion, dont l'un des cofondateurs a fait un tour du monde pour filmer en 360 des animaux, un peu du monde entier, où ils se sont dit ça permet aux gens de se reconnecter à la nature via la réalité virtuelle.
Il y avait ensuite une autre société qui s'intéressait plutôt à une espèce de tortue marine et donc utilisait aussi des iPads, le machine learning, etc. pour que les enfants puissent apprendre plus de choses sur ces tortues. Moi, ça m'a laissé un sentiment assez mitigé.
Donc on trouve le fait de faire le tour du monde pour filmer des animaux, mais bon ça c'est la partie pur déplacement. Mais c'est aussi, j'ai vraiment eu l'impression qu'aujourd'hui tout passe à travers un écran et je me demande si en tant qu'enfant j'aurais pas préféré apprendre des choses sur cette espèce de tortue avec un parent disponible et un livre, en ayant la possibilité d'avoir un vrai échange avec un vrai être humain et avec mon propre imaginaire et pas toujours des imaginaires qui viennent de l'extérieur à travers des écrans.
Donc il y a cette question aussi d'avoir toujours un rapport intermédiaire avec la réalité. Alors oui, aujourd'hui on vit beaucoup en environnement urbain et on passe beaucoup beaucoup de temps sur l'écran. Donc quitte à faire des projets en réalité virtuelle ou jeux vidéo, autant qu'ils portent sur la nature qu'on cherche à préserver, etc.
Et en même temps, est-ce que vraiment ça continue pas de contribuer à ce rapport très intermédiait avec le réel ? Voilà, ça pose quand même des questions.
Richard :
Et puis sur le contenu, ça reste de l'environmentalisme, c'est-à-dire un peu comme l'ours blanc sur sa banquise. C'est très dépolitisé en fait, c'est les animaux qui disparaissent, mais on n'a pas d'informations forcément sur la cause, sur le fait que c'est le système économique mondial, les plus riches, etc.
Landia : Oui.
Richard :
Donc il y a une espèce d'enfumage et on reste un peu dans une espèce de statu quo, on ne sait pas quelle est la cause de tout ça.
Landia :
Et quand on a une approche conséquentielle, on se dit que le projet en réalité virtuelle en lui-même suppose une infrastructure numérique, qui est quand même la plus grosse infrastructure matérielle de l'histoire de l'humanité, qui suppose d'aller chercher des métaux, de creuser des trous, de détruire les espèces qui étaient là pour en faire des mines, d'aller racler les terres.
J'avais bien aimé la réponse d'Aurélien Barreau il y a quelques années à une conf où on lui disait mais qu'est-ce qu'il faut faire il disait mais est-ce que le problème c'est pas justement qu'on fait beaucoup trop et est-ce qu'il faut pas faire moins en fait. Donc peut-être aussi moins de projets sur les animaux en réalité virtuelle et moins de réalité virtuelle.
Amaury :
Après, il y a des projets qui en traitent. Il y en a plein. Il suffit de chercher sur Internet pour trouver. Même les Sims, qui est une grosse licence, se met à avoir une version écolo où on peut construire une ville verte et autres grosses licences. Il y a Civilisation qui a sorti le 6, je crois, où vraiment on crée. Le but est quand même de protéger le vivant et de faire des villes indépendantes qui fonctionnent avec l'énergie renouvelable. Donc là, on voit bien que la thématique commence à influer. Tout doucement, c'est vraiment pas la majorité, ça c'est clair. Et il y a aussi des jeux qui commencent depuis un petit moment même maintenant.
Il y a des jeux qui font des choix artistiques qui font en sorte de peu consommer. Je pense aux jeux de Thatgamecompany par exemple, Journey, Flower et flOw, tout ça, ou Disco Elysium récemment qui est très beau mais qui reste simple dans sa mise en œuvre et qui ne sont donc pas des grosses machines avec de la 3D photorealiste de partout et qui sont des super expériences ludiques.
C'est possible et après c'est une question de volonté. Mais comme disait Landia, à un moment donné il faut aussi se poser la question de cette profusion de contenu. Est-ce qu'on ne fait pas juste trop ?
Richard :
Et puis dans le cas des Sims, il me semble que j'avais regardé un petit peu c'est surtout sur des questions d'énergie, de consommation d'énergie renouvelable, etc. et pas forcément une remise en cause de la consommation, l'obsolescence, des choses comme ça.
Amaury :
Le modèle de société véhiculé par les sims, c'est intéressant. Il y aurait une thèse à faire là-dessus parce que c'est vachement intéressant. C'est une modélisation du capitalisme.
Et pour finir, dernière question pour vous faire un peu réfléchir. Quels nouveaux récits restent à construire selon vous, avec du numérique ou pas ? Et vous, à titre personnel, quels sont vos futurs projets à venir ?
Landia :
Moi, il y a un projet que j'ai très envie de faire, mais pour l'instant, on n'a pas encore contacté la maison d'édition pour savoir si les droits d'adaptation, il y avait déjà une option dessus. Il ne faut pas en parler pour l'instant.
Richard :
C'est sur les enjeux environnementaux, sociaux... ?
Landia :
C'est hyper large, mais c'est pour le coup, c'est un vrai nouveau récit très désirable. Quand on va chercher à avoir un impact en termes de sensibilisation sur les questions environnementales et tout, c'est perçu que comme des contraintes, des contraintes supplémentaires, va plus falloir prendre la viande, va plus falloir manger de viande, va plus falloir machin, etc. Et là, pour le coup, c'est pas du tout ça. Ça a pour conséquence effectivement de produire moins de trucs dont on n'a pas besoin et de consommer moins et d'avoir plus de temps, mais c'est vraiment une utopie réaliste qui donne très envie et donc qui a un roman, un roman essai qui est sorti il y a quelques années. C'est un sujet qui nous parle beaucoup. Mais pour l'instant, c'est trop tôt pour pouvoir dire grand-chose par rapport à ça.
Et après, en fait, de toute façon, nous, le parti pris, c'est de se dire, bon, on va arrêter de faire des contenus immersifs parce qu'on pense qu'il y a un enjeu à porter de nouveaux récits sur les plateformes déjà que les gens ont aujourd'hui. Plutôt que de contribuer à l'adoption de nouveaux terminaux. Donc en fait, on est en train de se réorienter vers des formats un peu plus traditionnels, audiovisuel, cinéma, pourquoi pas faire des podcasts, à un moment donné, on verra. En fait, peu importe le format, mais tant que les gens sont déjà équipés de ce qu'il faut pour pouvoir voir les contenus.
Ensuite, il y a des sociétés de production qui font des super documentaires pour sensibiliser aux conséquences du dérèglement climatique, les impacts environnementaux, tout ça. Il y a des compagnies de théâtre engagées qui font des trucs géniaux. Il y a des sociétés qui vont faire de la sensibilisation des diffuseurs et des acteurs culturels par rapport aux nouveaux récits. Nous, notre positionnement, ce serait vraiment d'être une société de production de fiction, de nouveaux récits et donc qui rendent vraiment désirable. Même si c'est pas forcément toujours le cœur du sujet de chaque film, c'est une vision de l'avenir qui soit plus sobre et plus heureuse.
Amaury :
Et puis je pense que ce qui nous a manqué aussi peut-être dans le fait de faire des expériences immersives comme ça qui restent malgré tout très souvent un peu individuelles, tu vis ton truc dans ton casque, on a envie de retrouver cette dimension collective, de l'expérience collective que tu peux avoir quand t'es au théâtre, au cinéma, même à un concert de musique.
Il y a des artistes qui explorent ça depuis un petit moment maintenant : il y a moyen je pense d'explorer, d'aller plus loin que le simple cinéma ou théâtre où certes t'es ensemble mais tu interagis peu et donc on a l'impression que toute notre expertise ou expérience en tout cas, en interactif peut nous permettre de proposer des expériences collectives moins carbonées et chouette où tu vis vraiment des moments de partage qui vont un peu au-delà de juste regarder le même truc au même moment dans la même salle.
Landia :
Oui et puis on a été habitué quand même à faire des projets qui étaient très très challengeant d'un point de vue recherche et développement. Il y a même un modèle économique, un mode de distribution, etc. À chaque fois c'était une mini aventure entreprenariale en soi et où on défrichait beaucoup d'inconnus. Donc on est quand même assez agiles à force. Donc on aura des idées un peu hors boîte par rapport à ça.