Un journal libre d'enquêtes technocritiques
Épisode 99 publié le 13/11/2025
Jean-Philippe Peyrache
Jean-Philippe Peyrache est cofondateur de la Brèche, journal libre d'enquêtes, analyses et reportages sur les thèmes environnement, santé publique, technocritique.
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Sommaire
- son parcours
- pourquoi lancer un journal papier qui se positionne sur ces thèmes
- dans quelle forme de technocritique le journal s'inscrit ?
- démarche de “journalisme lent”
- la géoingénierie
- le surtourisme
- choix des sujets à traiter dans le journal
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Transcription
Extrait
C'est-à-dire qu'on est dans une société où la technique prend une large part. On est souvent confronté à beaucoup de technosolutionnisme et cette technique elle a des impacts environnementaux. Évidemment, je pense que les personnes qui écoutent le podcast y sont forcément sensibles.
Et ça va aussi de pair avec la question de la santé publique, la dégradation de nos environnements directs et toutes les conséquences sur la santé publique qui vont avec. Et pour nous, on avait l'impression que dans la presse actuelle, la presse indépendante, il y a des titres de presse qui s'intéressent de près à des questions politiques, à des questions potentiellement environnementales mais avec un prisme vraiment centré uniquement sur l'environnement. Et on avait l'impression qu'il manquait un peu justement le fait de relier ces différentes thématiques.
Introduction
Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir Jean-Philippe Perrache qui a lancé un journal qui s'appelle La Brèche, journal libre d'enquête, analyse et reportage sur l'environnement, la santé publique et technocritique. Le premier numéro, date de janvier/février 2023. Aujourd'hui, le journal compte 13 numéros. C'est un journal papier, d'ailleurs on va en discuter avec Jean-Philippe. Et puis, face aux médias de Bolloré ou d'autres personnalités ultra riches ou d'extrême-boite, le journal La Brèche, en tout cas Jean-Philippe, tu en parles sur votre site, vous dites vous inscrire dans une démarche de "journalisme lent" face à la course au clic. On va sans d'autant discuter aussi. Et actuellement, vous avez lancé une campagne d'abonnement pour perdurer, pour que le journal puisse continuer.
Est-ce que tu peux nous parler de qui es-tu, quel est ton parcours ?
J'ai un parcours plutôt classique, on va dire, dans un premier temps. C'est-à-dire que j'ai suivi des études supérieures dans le domaine de l'informatique. Donc j'ai fait un cursus universitaire assez classique, licence, master, et j'ai poursuivi avec un doctorat dans un sous-domaine de l'intelligence artificielle, donc c'était du machine learning, sans rentrer plus dans les détails.
Et au cours de ce doctorat, j'ai commencé un petit peu à me questionner sur des enjeux politiques liés au numérique. Ça a été lié à une politisation personnelle un peu plus globale, on va dire. Et le monde de la recherche, le numérique en particulier, il y a pas mal de choses qui m'ont un peu titillé. Et j'ai pas réussi à poursuivre dans la voie de la recherche académique, il y avait trop de choses qui me gênaient.
Et donc j'ai essayé de trouver un petit peu ma voie au milieu de tout ça, donc j'ai fait pas mal d'enseignements en informatique. Et le côté très technique de l'informatique finissait vraiment par me gêner, même juste dans l'enseignement, il y avait quelque chose qui me dérangeait. Et donc au fur et à mesure de ce cheminement, je me suis intéressé aux enjeux de société du numérique.
Donc j'ai pas mal lu, et récemment j'ai suivi un master en philosophie des technologies qui nourrit un peu toutes mes réflexions. Et en parallèle de ça, on a lancé avec Clément Goutelle, qui est le cofondateur, le journal La Brèche, justement pour pouvoir, entre autres, étudier ces impacts-là, essayer de les analyser, essayer de proposer une grille de lecture par rapport à cette évolution de la société et tous les enjeux qui y sont liés.
On aimerait en savoir plus, parce que déjà, pourquoi un journal papier ? Pourquoi se positionner sur ces trois grands thèmes, on va dire, peut-être qui sont liés, l'environnement, la santé et la technocritique ?
Alors le choix du journal papier, il s'est imposé à nous de manière assez naturelle, pour plusieurs raisons. Parce que déjà, Clément et moi, on est tous les deux des lecteurs et des amateurs de presse papiers. On aime le côté presque un peu charnel, on va dire, le fait d'avoir un objet, un objet physique. On aime le fait de devoir prendre le temps, il y a vraiment cette notion de prendre le temps. On est dans une époque où on a des flux un peu continus, notamment un flux d'information. Le fait de recourir au papier, ça nécessite une rigueur, ça nécessite de prendre le temps. Et prendre le temps à la fois en tant que journaliste, pour écrire notre papier, mais aussi en tant que lecteur ou lectrice. On ne peut pas juste prendre un petit bout d'article, on est obligé de s'installer confortablement.
Et puis il y a tout l'aspect, justement, bel objet, donc le maquettage, laisser de la place à l'illustration. Donc ça, ça fait partie de la volonté de proposer une vraie expérience de lecture qui passe, pour nous, par le papier, c'est vraiment nécessaire.
En parallèle de ça, pour la deuxième partie de ta question, pourquoi le choix de ces trois thèmes ? C'est trois thèmes qui nous semblent être des enjeux essentiels de notre époque, et qui sont intimement liés. C'est à dire qu'on est dans une société où la technique prend une large part, on est souvent confronté à beaucoup de technosolutionnisme, et cette technique, elle a des impacts environnementaux, évidemment, je pense que les personnes qui écoutent le podcast, ils sont forcément sensibles,
Et ça va aussi de pair avec la question de la santé publique, la dégradation de nos environnements directs, et toutes les conséquences sur la santé publique qui vont avec. Et pour nous, on avait l'impression que dans la presse actuelle, la presse indépendante, il y a des titres de presse qui s'intéressent de près à des questions politiques, à des questions potentiellement environnementales, mais avec un prisme vraiment centré uniquement sur l'environnement, et on avait l'impression qu'il manquait un peu justement le fait de relier ces différentes thématiques, et c'est ce qu'on a voulu proposer à travers notre ligne éditoriale.
Un des sujets qui nous intéresse tout particulièrement, bien sûr les questions environnementales bien évidemment, mais aussi tout ce qui est technocritique. Je ne connaissais pas tant par quoi avant qu'on en discute, toi qui as fait des études dans le machine learning, l'IA, tu n'as pas continué dans l'informatique, tu as travaillé un petit peu dans le numérique ou pas du tout ?
Alors, j'ai jamais travaillé dans le privé, donc travaillé dans le numérique oui dans une certaine mesure, dans le sens où j'ai fait de la recherche en laboratoire public, rattaché à une université. Donc j'ai quand même touché le numérique de près et d'une manière parfois très concrète, mais j'ai jamais poursuivi cette voie dans le privé, parce que ce n'était pas un environnement de travail qui me semblait épanouissant pour moi, et comme je disais en fait, je me suis tourné vers l'enseignement, parce que c'était quelque chose qui m'intéressait, le fait d'enseigner, de transmettre, mais j'étais pas assez en accord avec ce que je pouvais faire avec le numérique pour faire de la recherche autour de ces thématiques-là.
J'avais l'impression, en faisant de la recherche, de contribuer malgré moi à un modèle de société auquel je croyais pas, et au fur et à mesure je me suis rendu compte que même l'enseignement ça me gênait, parce que je transmettais des aspects très techniques de l'informatique sans aucun regard critique, et moi ce que j'avais envie de transmettre c'était justement ça, c'était de transmettre un peu un regard critique sur le numérique, sur l'informatique, essayer de comprendre ensemble, de se questionner sur des enjeux de société.
Évidemment, tout n'est pas à jeter, c'est pas du tout ce que je suis en train de dire, mais par contre, c'est un modèle qui nous est imposé et dont il faut se réapproprier ces questions-là collectivement et démocratiquement pour réussir à avoir la main sur les décisions.
Je voulais justement te demander dans quelle forme de techno-critique le journal La Brèche s'inscrit ?
Alors nous on est dans une techno-critique qu'on va qualifier de non-réactionnaire, je ne sais pas si le terme est suffisant, mais en tout cas l'idée c'est qu'on n'est pas technophobe, on s'inscrit dans un courant où on veut questionner les impacts de la technologie sur la société dans son ensemble, et essayer de comprendre, de décortiquer tout en étant, entre guillemets, une sorte de vigie, justement pour essayer de prévenir des formes de dérive. Mais l'idée ce n'est pas de s'opposer à tout prix à toute évolution technique.
Il me semble qu'on n'a pas trop traité justement des formes techno-réactionnaires, en tout cas technocritique réactionnaires, est-ce que tu peux nous en dire quelques mots ? Ça prend quelle forme ? C'est quoi comme collectif ? C'est quoi comme idée peut-être derrière ça ?
Ça peut prendre plein de formes différentes, cette techno-critique qu'on pourrait qualifier de réactionnaire. Il y a une tribune qui est parue récemment, je n'ai plus en tête le nom de la tribune, mais en tout cas qui dénonçait cette appropriation de la techno-critique par des collectifs réactionnaires.
Celui du Mouton numérique peut-être ?
Oui, oui tout à fait.
Ni de gauche ni de droite mais bien réac. Alors c'était plutôt aussi focus sur un collectif qui s'appelle Antitech Résistance.
Oui tout à fait, pour dire que pour nous le courant de la techno-critique réactionnaire donc il peut prendre plein de formes, il peut prendre plusieurs colorations politiques. Mais en tout cas c'est des courants qui, selon nous, qui vont vraiment avoir une vision très caricaturale de la question du numérique, de la question de la technologie dans son ensemble. Et qui vont être très péremptoires dans leurs propos sans proposer une grille de lecture un peu complète et qui vont proposer des solutions assez basiques, assez faciles, sans prendre en compte les enjeux liés à certains publics.
C'est dommage parce que ça n'ouvre pas des espaces de dialogue, au contraire ça a plutôt tendance à les refermer. Et voilà on a même des collectifs qui vont défendre des visions non émancipatrices du numérique, parfois ça peut même aller vers de la transphobie au prétexte d'une vision très naturaliste on va dire. C'est un peu le fait de rejeter la technologie pour dire en gros il y a une condition humaine, elle est comme ceci, l'humain ne doit pas être augmenté. Et de faire rentrer des questions de transidentité dans cette idée de l'humain augmenté.
C'est un peu ces courants là auxquels on a envie de s'opposer et de proposer une techno-critique alternative qui soit véritablement émancipatrice. Et qui amène un débat bénéfique pour tout le monde.
Revenons au journal. En introduction je disais que vous vous inscrivez dans une démarche de journalisme lent face à la course au clic. Pourquoi en venir à une certaine lenteur, peut-être à une forme de décroissance, c'est ça ? Quel est le but derrière ça ? Est-ce que c'est dur aujourd'hui de survivre face aux médias mainstream ?
La question de la lenteur pour nous elle est assez centrale. Ça a plein de dimensions, il y a plein de ramifications donc j'espère que j'oublierai rien. La première chose c'est un peu ce que je disais tout à l'heure, ça passe par le choix du papier. Parce que le papier il va de pair avec la lenteur, c'est-à-dire que quand on écrit un article en tant que journaliste sur un support papier, déjà ça va s'inscrire dans le temps, c'est-à-dire qu'une fois que c'est imprimé on n'a pas la possibilité d'éditer notre article.
Et ça va nécessiter aussi une plus grande rigueur, parce que justement c'est pas un article qu'on peut anoter, c'est pas un flux constant, c'est quelque chose de détaillé qui s'inscrit dans une certaine durée.
Et en tant que lecteur ou lectrice, on va aussi prendre le temps de consommer cet article, et ça invite aussi à une forme de réflexion. Pour nous ça s'inscrit un peu à l'encontre d'un flux incessant d'informations comme on peut le voir sur certaines plateformes de réseaux sociaux.
Alors pour autant, là encore le propos c'est pas du tout de dire "il faut bannir les réseaux sociaux", mais simplement il y a des études qui montrent les effets que vont avoir les réseaux sociaux, notamment de par la question des algorithmes de recommandation de contenu. Il y a David Chavalarias qui l'a très bien montré dans son ouvrage "Toxic Data" (Comment les réseaux manipulent nos opinions), on en avait parlé justement dans un des numéros de la brèche, ça va engendrer une polarisation des débats, ça va engendrer des réactions très émotionnelles.
Et puis c'est un flux vraiment constant qui est aussi nocif je pense pour une forme de bien-être mental. On est dans des sociétés où tout va toujours plus vite, on le voit avec l'introduction de l'intelligence artificielle générative où maintenant on génère des textes, on génère des contenus. Alors maintenant ils vont être générés en plus de manière quasi automatique, et en fait on n'a pas le temps de les ingérer, de les digérer en tant que lecteur ou lectrice, et nous notre volonté c'était de s'inscrire un peu à rebours de ça, c'est-à-dire presque la qualité plutôt que la quantité.
Alors après on n'est pas les seuls à le faire, là encore ce n'est pas mon propos, mais en tout cas c'est quelque chose qu'on défend, et effectivement qui n'est pas toujours facile à défendre. Déjà le modèle de la presse indépendante il n'est pas simple parce qu'on n'a pas d'actionnaires, on n'a pas de publicité, on dépend uniquement de notre lectorat.
Et effectivement la presse indépendante papier ça sous-entend aussi des dépenses supplémentaires pour imprimer, pour distribuer dans les kiosques, mais pour nous c'est essentiel parce que c'est aussi se rendre accessible au plus grand nombre, c'est-à-dire à des personnes qui n'ont pas forcément de facilité avec le numérique. Défendre le papier et défendre cet accès à l'information pour toutes et tous sur l'ensemble du territoire, c'est aussi notre combat pour participer à la bonne santé de la démocratie.
Et on pense qu'effectivement ça va un peu à l'encontre des algorithmes de recommandations qui vont nous dire ce qu'on devrait lire ou ce qu'on devrait regarder, et là on peut faire son choix de manière éclairée en choisissant un journal papier, en le prenant en main et en s'extirpant de ce flux incessant.
Derrière le journal c'est une association, c'est ça ?
Ouais tout à fait, c'est une association éditrice.
Et me vient une question un peu embêtante, c'est pas une question piège, mais sortir un journal comme ça avec très peu de tirage j'imagine et techno-critique, etc. Est-ce que c'est pas toujours un même public convaincu qui va le lire ? Comment aller au-delà de ce public ? Est-ce que c'est quelque chose que vous avez conscientisé ?
Alors pour être honnête c'est pas quelque chose qu'on a conscientisé, mais ça fait partie de nos fiertés justement de constater qu'on s'adresse pas qu'à un public averti, voire même j'ai l'impression j'allais dire au contraire, peut-être que c'est un peu exagéré.
Mais en tout cas le fait de défendre le papier, ça nous permet aussi d'aller toucher un certain nombre de personnes qui ont l'habitude d'aller fréquenter les kiosques, de regarder un peu les nouvelles publications.
On a reçu énormément de courriers, donc ça c'est assez marrant aussi étant donné qu'on fait du papier, on reçoit du papier. Donc on reçoit plus de courriers et papiers que d'emails. C'est très anachronique, mais en tout cas c'est toujours plaisant de lire le courrier du lectorat.
Et il y a plein de personnes qui nous ont dit "je suis tombé sur votre journal" de manière complètement aléatoire. Parfois c'est dans un point presse, parfois c'est dans une grande surface, puisqu'il y a pas mal de grandes surfaces dans les petites et moyennes villes qui vont faire de la presse aussi.
Les personnes s'emparent du journal, c'est des personnes qui ont pas forcément un regard technocritique, mais qui sont pas à l'aise avec le numérique, qui sentent que le numérique est pas facilitateur dans leur vie, mais qui ont pas forcément posé les mots dessus, qui ont pas forcément eu toute une réflexion.
Et j'ai l'impression que le fait nous d'être allés avec le papier et avec le fait de distribuer en kiosque, donc de distribuer très largement sur le territoire, on est un peu allé à la rencontre de ces personnes là. J'ai espoir en tout cas qu'on s'adresse effectivement à un lectorat un peu plus large qu'un lectorat uniquement convaincu et déjà acquis à la cause.
Jean-Philippe, je te propose qu'on discute des exemples d'articles ou de sujets, de grandes thématiques que vous avez explorées dans le journal La Brèche. Notamment dernièrement vous avez parlé, il y avait une grande thématique sur la géo-ingénierie. C'est quelque chose que je voulais traiter dans ce podcast que j'ai pas pu malheureusement, en tout cas j'ai pas eu les bonnes intervenantes disponibles, mais ça se fera peut-être un jour. Mais justement, vous avez travaillé sur le sujet de la géo-ingénierie. Est-ce que tu peux nous en dire quelques mots ? C'est quoi la géo-ingénierie et peut-être qu'est-ce qui vous a le plus marqué, frappé en travaillant sur ce sujet ?
Bien sûr, la géo-ingénierie, là encore, ce qui est intéressant, c'est que ça met en lien les trois thématiques fortes du journal, à savoir la question de la technologie dans son ensemble, les impacts environnementaux et puis la santé publique.
Alors qu'est-ce que c'est que la géo-ingénierie ? C'est le fait de recourir à des techniques à grande échelle dans l'objectif de manipuler le climat, on va dire, dans son ensemble. Alors ça peut être à plus ou moins large échelle. L'exemple le plus courant, le plus emblématique, c'est le fait de déclencher la pluie, par exemple, avec cette idée de se dire que les agriculteurs et agricultrices connaissent des sécheresses. Eh bien, on va faire en sorte de déclencher la pluie, comme ça au moins on n'a plus de problème de sécheresse à l'échelle du globe.
Du coup, nous on a essayé de s'intéresser à ce sujet-là, qui est notamment beaucoup convoqué dans le but de contrer le dérèglement climatique. Alors c'est assez antinomique, mais on le voit très régulièrement, c'est-à-dire on va utiliser des techniques complexes, très coûteuses en énergie, dans le but de manipuler le climat et de limiter le dérèglement climatique. Le problème, c'est que ce sont les mêmes techniques qui sont à l'origine du dérèglement climatique. Donc en fait, c'est toujours un peu le serpent qui se mord la queue, c'est toujours du technosolutionnisme. Et en pratique, c'est surtout tout essayer pour ne rien changer à nos modèles économiques et à nos modèles de société.
Donc on a essayé d'explorer cette question de la géo-ingénierie par différents prismes, parce qu'il y a plusieurs manières de le faire. On a parlé notamment de la géo-ingénierie solaire, où l'objectif c'est de réfléchir les rayons du soleil dans l'espace pour limiter la quantité d'énergie solaire qui va rentrer dans l'atmosphère, et donc limiter le réchauffement climatique.
On a vu aussi des approches pour préserver les glaciers et les banquises, qui sont basées sur la mise en place par exemple de barricades polaires, ou le fait d'arroser la banquise pour créer une couche réfléchissante qui va éviter la fonte des glaces.
Enfin bref, il y a plein de techniques qui sont convoquées et qui sont vendues aux dirigeants politiques, avec l'idée que c'est justement une manière de répondre aux dérèglements climatiques sans avoir besoin de remettre en question tous nos modes de vie.
Pour répondre à la deuxième partie de ta question, ce qui nous a le plus marqué, c'est un outil qui s'appelle le météotron. Alors il y a des archives de l'INA qui sont assez éloquentes. J'invite les personnes qui écoutent ce podcast à aller voir cette archive. Il y a un professeur qui s'appelle Henri Dessens qui, en 1961, a inventé un procédé pour faire tomber la pluie. Et il y a du coup une vidéo d'archives de l'INA où il met en place, enfin il fait fonctionner son météotron, et c'est filmé, et son météotron c'est donc un énorme système qui permet de créer un nuage, et ensuite on a juste à envoyer de l'iodure d'argent, donc ce qu'on appelle l'ensemencement de nuage, pour déclencher la pluie.
Sauf que ce système, il consommait une tonne de gasoil à la minute, et c'est absolument délirant, et la vidéo montre bien aussi l'impact énorme que ça a. Et donc c'était assez fou de se dire que déjà dans les années 60, on nous vendait un système qui allait permettre de faire tomber la pluie là où on le voudrait, quand on le voudrait, et que ce système consommait une tonne de gasoil à la minute, et qu'on ne s'est pas posé la question à un moment de se dire "mais est-ce que c'est vraiment ça, la solution ?"
Autre sujet que vous avez traité c'est le sur-tourisme, et là on va parler des outils numériques. Face au sur-tourisme, en fait les outils numériques agissent comme un pharmacon, à la fois poison et remède. Tu peux nous en dire quelques mots ?
Oui bien sûr, donc ça c'est dans notre dernier numéro, le numéro 13, qui est paru fin août. Effectivement le dossier central cette fois-ci ça a été la question du tourisme, et comme tu le dis plus précisément du sur-tourisme. Et en fait ce qui était intéressant, donc là encore on a essayé d'aborder cette question-là par différents angles d'entrée, et un des angles c'était la question de l'ambivalence des outils numériques face au sur-tourisme.
Les outils numériques évidemment ils ont été extrêmement facilitateurs pour un certain nombre de personnes, pour le tourisme. C'est-à-dire qu'aujourd'hui c'est beaucoup plus facile d'aller réserver des billets de n'importe quel moyen de transport, c'est beaucoup plus facile d'aller réserver des activités ou des logements, y compris à l'autre bout du monde. On n'a plus besoin de passer par l'intermédiaire des agences de voyage, donc le numérique, son déploiement, ça a été un moyen de massifier encore plus les flux touristiques.
Et il y a des choses qui sont rentrées dans les moeurs ces dernières années qui ont encore accentué ça. Notamment la question des influenceurs et des influenceuses. Donc on a eu des témoignages de personnes qui sont responsables du tourisme dans certains territoires, et qui ont vu des flux extrêmement massifs, pas du tout adaptés aux capacités d'accueil du territoire. Et ces flux ils ont été dus à une photo partagée sur Instagram, où un influenceur, une influenceuse qui vantait un territoire.
Notamment cet été on en a beaucoup entendu parler par rapport au Dolomites en Italie, où les personnes qui habitaient sur place étaient tellement excédées qu'elles ont mis en place des portiques et qu'elles ont fait payer l'entrée. Parce que c'était sur leur terrain, il y avait des milliers de personnes à la journée qui passaient juste pour aller prendre une photo. Et c'était un moyen d'alerter les autorités, mais les autorités n'ont pas répondu.
Donc voilà, c'est un peu ce qu'a créé le numérique.
Et on a notamment aussi vu des États qui ont utilisé des influenceurs pour être réhabilités au niveau politique. Ça a notamment fait pas mal parler ces derniers mois avec l'Afghanistan. On sait tous les problèmes qui sont liés au régime politique en place en Afghanistan. Et il y a plusieurs influenceurs nord-américains qui ont documenté leur voyage en Afghanistan en disant que c'était vraiment très chouette, que les gens étaient super accueillants, et en éludant complètement toutes les problématiques, notamment de la place des femmes en Afghanistan.
Donc on voit bien que le numérique, il est générateur de sur-tourisme et qu'il amplifie des phénomènes qui sont déjà préexistants. Et en parallèle de ça, ce qui est assez étonnant, c'est qu'il y a pas mal de territoires qui, à travers notamment les influenceurs et les influenceuses, essayent de rediriger les flux touristiques.
On a notamment eu le témoignage d'une personne qui est responsable d'un office de tourisme dans les Vosges, et qui nous disait "on fait appel à des influenceurs et des influenceuses pour mettre en lumière certaines parties du territoire qui sont beaucoup moins fréquentées que d'autres et essayer de rediriger de cette manière-là des flux".
Ou alors il y a carrément des personnes, il y a notamment le directeur de l'établissement public du Mont-Saint-Michel, qui en était venu à dépublier des photos, ou alors à publier des photos de rues surpeuplées pour décourager les touristes. Pour lui, c'était justement une manière d'améliorer l'expérience de visite.
Donc on est toujours dans une extrême ambivalence, avec les outils numériques de toute façon, et je trouve que dans la question du tourisme et notamment du sur-tourisme, cette ambivalence s'exprime de manière presque encore plus criante qu'ailleurs.
Comment vous choisissez vos thèmes ? J'imagine que vous ne suivez pas l'actualité, vous êtes dans un journalisme de "lenteur" on va dire. Pourquoi avoir choisi le sur-tourisme ? Pourquoi avoir choisi le géo-ingénierie ?
C'est une bonne question, ça dépend de plein de facteurs. Ça va dépendre déjà de nos envies. Le tourisme c'est quelque chose qu'on avait envie de traiter depuis quelque temps. Après il y avait d'autres sujets qui étaient venus sur la table, qui nous paraissaient peut-être plus pertinents à certains moments. Donc à ce moment-là, ça nous paraissait être le bon moment de l'évoquer.
La géo-ingénierie par exemple, c'est un lecteur qui nous a suggéré de nous intéresser à ce sujet-là. On a creusé un peu et on s'est rendu compte qu'effectivement il y aurait pas mal de choses à dire, pas mal de choses à traiter.
Donc ça peut vraiment être ça, c'est en fonction de nos envies personnelles, de ce qu'on trouve, c'est en fonction de propositions qu'on va nous faire. Et ça peut être des propositions à la fois de la part du lectorat et aussi des propositions des journalistes.
On bosse avec pas mal de journalistes pigistes qui sont professionnels et qui ont parfois des propositions de sujets spontanés auxquels on n'aurait pas pensé, qui vont avoir accès à des informations auxquelles nous on n'a pas forcément accès.
Et en fait on discute un peu entre nous en fonction de ce qui nous paraît plus ou moins pertinent. On essaye toujours de faire un lien avec l'actualité, mais effectivement nous on est, comme on disait, sur un journalisme lent, on est sur une parution trimestrielle, donc on n'est pas directement en lien avec une actualité chaude, mais en tout cas on essaye de faire écho à des problématiques qui sont elles-mêmes liées à l'actualité.
Vous avez aussi un site internet, vous reprenez quelques articles, d'ailleurs je note là à la une, vous reprenez un ancien article du journal papier que j'ai lu sur le format papier, c'est "Frontières, minerais et armes, triple peine pour les jeunes de Goma en République Démocratique du Congo", qui va sans doute pas mal intéresser les auditeurs et auditrices de technologie, notamment aussi un article sur la géo-ingénierie que vous reprenez sur le site internet. C'est quoi le site internet ? On va dire que c'est un amuse-bouche pour donner envie de s'abonner ?
Oui, le site internet a plusieurs vertus, on va dire, ça nous paraissait quand même compliqué d'être complètement absent d'internet, et c'était d'ailleurs pas spécialement une volonté, nous simplement notre volonté c'est que le journal papier soit l'objet principal de cette aventure éditoriale, c'est vraiment avant tout cet objet là qu'on défend.
Après le site internet, il nous sert à la fois de vitrine, il y a une double volonté, déjà on publie les articles qui sont parus dans les numéros précédents, une fois que le numéro n'est plus en kiosque, on publie de manière égrenée les articles qui étaient dans le numéro en question.
Donc ça permet à la fois de faire connaître notre travail, de donner effectivement envie aux gens d'aller plus loin et si possible de s'abonner. Et en même temps c'est aussi le partage du travail journalistique, l'idée du travail journalistique c'est quand même avant tout de partager des informations au plus grand nombre, donc il y a aussi cette idée là à travers le site internet.
Et puis évidemment c'est aussi un moyen de se faire connaître, de se faire identifier à la fois par le lectorat potentiel, par des confrères et consoeurs, c'est aussi essentiel en terme de visibilité.
On arrive à la fin de notre entretien, il y a un sujet qu'on n'a pas traité, est-ce que tu as envie de compléter ou nous parler peut-être de la campagne d'abonnement, donner envie à nos auditeurs/auditrices de s'abonner à la brèche ?
Bien sûr, effectivement je pense qu'on a couvert pas mal de sujets autour du journal, la dernière chose, tu parles de la campagne d'abonnement, effectivement nous c'est un peu un enjeu essentiel, parce qu'on a l'impression que la presse aujourd'hui c'est un milieu qui est quand même beaucoup accaparé par des grands groupes, par des grandes fortunes.
On a l'exemple de Vincent Bolloré qui est emblématique, mais il y a Pierre-Edouard Stérin, il y a Rodolphe Saadé, en fait 85% de la presse est aux mains de milliardaires ou de grands groupes, et au milieu de tout ça, la presse indépendante elle a un rôle essentiel à jouer pour garantir la bonne santé du débat démocratique. C'est-à-dire que c'est une presse qui n'est assujettie à aucun intérêt, que ce soit des intérêts financiers, que ce soit des intérêts industriels.
Donc moi j'ai envie de dire qu'il faut se battre pour avoir une presse indépendante en bonne santé, mais effectivement c'est assez complexe en terme de modèle économique, nous on ne fait pas exception, on dépend uniquement de notre lectorat, donc pour justement essayer de se développer, pour essayer d'accentuer notre impact, on essaie de récolter le plus de nouvelles personnes abonnées possibles.
Depuis le début de la campagne qu'on a lancée il y a 3 semaines maintenant, on a 250 personnes qui se sont abonnées, donc c'est très chouette. On aimerait arriver à 500 nouveaux et nouvelles abonnés, donc si jamais vous avez la possibilité, l'envie de le faire, n'hésitez pas, ce sera avec plaisir qu'on vous accueillera au sein de la communauté de La Brèche.
Pour info, l'abonnement c'est pour 6 numéros sur une parution trimestrielle, on a 2 tarifs, on a un tarif classique qui est à 25€ et un tarif de soutien à 35€.
Jean-Philippe Peyrache, merci beaucoup. Je vous souhaite bonne continuation à La Brèche. Il y a une question que je n'ai pas demandée, pourquoi ce nom La Brèche ?
Alors c'est difficile de donner une réponse assez précise, en fait on a mis beaucoup beaucoup de temps à trouver un nom, parce que c'est vraiment compliqué de trouver un nom. On avait d'autres idées mais qui n'ont finalement pas été fructueuses, ça nous a pris énormément de temps. Et puis un jour ce nom est sorti sur le papier parmi un des multiples brainstorming.
La fissure n'était pas disponible c'est ça ?
Oui c'est ça. Mais on a trouvé ça assez sympa, le côté un peu combatif justement d'ouvrir des brèches dans le débat. Et puis il y a plein d'expressions, battre en brèche des arguments, être toujours sur La Brèche. Et on a trouvé ça assez amusant de pouvoir justement faire plein de clins d'oeil à travers plein d'expressions différentes. Et ça s'est imposé de manière assez naturelle.
Merci beaucoup, bonne continuation et je vous souhaite plein plein d'abonnés.
Merci encore à toi.