Longévité des smartphones, des nouvelles de Fairphone, sortie de la matrice et neutralité carbone
Newsletters > n°3 envoyée le 15/04/2021
La newsletter green, super green
mais pas plus green que The Green, un film d’horreur dans lequel vous êtes hanté par le fantôme d’une jeune fille qui fout vraiment la pétoche, tant que vous parlez “d’écologie digitale” et que vous vous contentez d’effacer vos e-mails.
Bonjour les bobos-écolos. Nous vous souhaitons une bonne lecture de ce troisième numéro de notre newsletter collaborative, fruit d’une veille collective de la communauté Techologie.
1024 nuances de green
Pourquoi j'ai quitté « le job le plus sexy du XXIè siècle », le témoignage techno-critique qui secoue le cocotier, de Romain Boucher, un data scientist démissionnaire et désabusé. Et si ça ne vous suffit pas, vous pouvez poursuivre en dévorant son rapport de 60 pages intitulé « D'un peu de lucidité sur les ravages du techno-libéralisme ». Ce n’est pas le premier du genre. De nombreux travailleurs du numérique sortent peu à peu de la matrice et se rassemblent comme l’association “Vous n’êtes pas seuls”.
FJG, un heureux possesseur d’un iphone 4s raconte ses 10 ans avec ce smartphone et le parcours du combattant à cause de l’obsolescence logicielle : “pour ceux qui en doutent, l'électronique peut durer même avec quelques chutes et un plongeon de quelques secondes dans l'eau”. “Le téléphone est plutôt lent, on ne va pas se le cacher. Reste que pour mon usage (navigation internet, messageries, mails, agenda, authentifications, partage de connexion) ça me suffit amplement”.
Le concept de “désinnover”, “désincuber”, comment rediriger des activités ou carrément les fermer (les stations de ski qui n’ont plus de neige), comment envisager déjà la fin du numérique ? On en parle avec Alexandre Monnin et Emmanuel Bonnet du Master Stratégie et design pour l’anthropocène. Et si vous en voulez encore, les copains de Oui Share complètent très bien l’épisode par un entretien avec Diego Landivar : “Patrons effondrés, comment renoncer ?”. De l’autre côté de l’Atlantique, on a discuté Sustainable IT avec Natalie Hollier.
L’entretien
Agnès Crépet est développeuse chez Fairphone, elle s’occupe de longévité logicielle dans le monde des smartphones. Nous avions déjà échangé avec elle en septembre 2019, épisode à écouter ici. Nous prenons de ses nouvelles et de l’actualité de Fairphone.
Quels sont les succès et les difficultés rencontrés depuis notre entretien en 2019 ?
Nous avons lancé un nouveau téléphone, le Fairphone 3, et des mises à jour logicielles et matérielles sur ce téléphone. Donc beaucoup de travail, mais nous avons réussi aussi à sortir une version récente d’Android sur Fairphone 2, un téléphone qui a 5,5 ans. On est très fiers de ce projet et on parle ici des challenges pour arriver à garantir cette longévité.
Outre les pièces, le logiciel est également un élément important garantissant la longévité des smartphones, les fournisseurs de puces, tels que Qualcomm, jouant un rôle clé dans le développement des logiciels. Or, pour développer des systèmes d’exploitation, Fairphone a dû travailler sans le support des fournisseurs de puces, rendant le processus de mise à jour du système d’exploitation plus compliqué. Mais on a réussi à surmonter cette difficulté : le Fairphone 2 a été lancé avec Android 5, il a ensuite été mis à niveau vers Android 6 puis Android 7.1 et est à présent sous Android 9, qui a récemment reçu la certification de Google. Fairphone a effectué deux mises à niveau Android sans le support de Qualcomm.
Dans les projets dont on est très fiers aussi il y a notre programme de prime au revenu minimum. 485 ouvriers de l’usine avec laquelle on travaille en Chine ont reçu une prime pouvant atteindre 1050 euros ; ce qui équivaut à plus de 4 mois de salaire supplémentaire, soit une augmentation de 30 % du salaire minimum légal en Chine.
Fairphone verse à présent aux ouvriers une prime de 1,85 dollars par Fairphone 3 et 3+ produit. Cette prime est versée en plus du salaire normal, afin de combler l’écart entre le salaire minimum chinois et le salaire dit de subsistance. Une première dans l’industrie donc, et l’exemple de création d’un modèle qui peut être facilement reproduit par le reste de l’industrie. Cette prime a de plus été augmentée au moment même où de nombreuses entreprises luttaient pour réduire leurs coûts en raison de la pandémie mondiale.
Avec la pandémie actuelle de Covid-19, les recherches menées en collaboration avec l’ONG chinoise “Facilitator” ont montré que le salaire de subsistance est encore plus important qu’avant la crise sanitaire, car la plupart des travailleurs ont subi une perte de revenus, principalement en raison de la diminution des heures supplémentaires et des revenus employeurs. C’est pourquoi Fairphone a aussi versé, en février et mars 2020, la prime de revenu de subsistance à certains ouvriers qui ne pouvaient pas se rendre à l’usine en raison des restrictions de déplacement imposées par le gouvernement, ce qui a permis de les soutenir pendant cette période difficile.
Au sujet de l'indice de réparabilité, les petits fabricants comme Fairphone sont-ils défavorisés par rapport aux plus gros, lesquels ont plus de capacités d'approvisionnement en pièces détachées ?
Je pense que nous faisons tous face aux difficultés liées à l'opacité de la chaîne d'approvisionnement. C’est sûr qu’Apple a sûrement plus de poids que nous, mais il n’est pas encore vraiment commun dans l’industrie d’avoir cette garantie de disponibilité des pièces détachées. Je suis d’ailleurs très heureuse d’avoir des directives européennes et françaises qui vont dans le bon sens. On se bat sur cette problématique depuis des années avec certains échecsmais on s'améliore et cette directive va je l'espère nous aider !
La complexité de la chaîne d'approvisionnement mondiale constitue un défi majeur. Faire de l'électronique équitable implique de s'attaquer à des problèmes complexes, mondialisés et qui ne peuvent être résolus du jour au lendemain. Notre mission est de démêler cette complexité, étape par étape. Il est primordial d’en comprendre le fonctionnement. Parce que plus nous en saurons, plus nous serons à même d’identifier et apporter des améliorations au long de la chaîne de production. Nous cartographions tous les différents matériaux, fournisseurs et sites de fabrication impliqués dans la création de notre téléphone (voir la liste de nos fournisseurs sur notre site web). En plus de nos fabricants de premier niveau, nous avons maintenant cartographié tous les fournisseurs de composants de deuxième niveau et recherchons progressivement des fournisseurs de troisième et quatrième niveaux. En plus d'accroître la transparence, nous utilisons ces informations pour dialoguer avec des fournisseurs individuels, établir des relations et proposer des solutions dans nos domaines d'impact.
Aujourd’hui le Fairphone est connu de quelques initiés, beaucoup moins du grand public. Comment convaincre une personne irréductible de l'UX d’Apple, d'acheter un Fairphone neuf plutôt qu'un iPhone d'occasion ?
Avec Fairphone il n’y a pas que la volonté de prolonger la durée de vie des appareils mais il y a également le fait de penser aux gens qui fabriquent ce téléphone. Chaque fois que nous fabriquons un téléphone, nous voulons rendre l’industrie de l’électronique plus juste, que ce soit au travers de l’approvisionnement responsable en matériaux ou en travaillant sur le bien-être des travailleurs dans les usines d’assemblage en Asie. Nous partageons tous nos résultats librement et établissons de nouvelles normes pour l’ensemble du secteur. De ce point de vue, en achetant un Apple, l'utilisateur ne contribue pas à transformer l’industrie électronique dans un sens qui va vers plus de transparence et plus d’actions concrètes pour améliorer les conditions de travail des personnes qui fabriquent le téléphone.
Fairphone c’est aussi un téléphone modulaire, si tu casses l'écran ou si tu veux changer la caméra c’est très simple et tu peux le faire seul⸱e pour un prix accessible. Niveau OS, Fairphone est basé sur un Android standard, sans surcouche, donc ce n’est pas si compliqué à utiliser même pour quelqu’un qui vient du monde Apple.
Quelle est la stratégie de développement et comment assurer une cohérence entre la volonté pour Fairphone de se développer en tant qu'entreprise, impliquant des impacts sur l'environnement, et la nécessité de préserver ce dernier ?
En 2019, le lancement du Fairphone 3 a été un tournant où nous avons commencé à évoluer en tant qu'entreprise. Nous nous sommes concentrés sur la disponibilité des produits en intégrant plus de partenaires dans les pays existants tout en introduisant le Fairphone dans de nouveaux pays. Pour les ventes sur notre site Web, nous nous sommes concentrés sur l'amélioration du parcours client, du marketing numérique à la boutique en ligne en passant par l'après-vente. Nous nous sommes fixé comme objectif de vendre 42 000 exemplaires du Fairphone 3 en 2019 et nous avons atteint cet objectif. En 2020, nous nous sommes concentrés sur l'augmentation de notre présence en ligne et de notre visibilité en magasin auprès de nos partenaires commerciaux et sur notre site Web. Nous avons lancé de nouvelles initiatives telles que la boutique en ligne au Royaume-Uni. On a vendu près de 100 000 Fairphone 3 aujourd’hui. En matière de communication, on élargit notre champ d'action pour passer d'un public “dark green” (ceux qui sont pleinement engagés et immergés dans le mode de vie “durable”) à des consommateurs plus “light green”.
Voilà pour la stratégie de développement commerciale mais le cœur de développement du projet ne change pas. Nos indices de performance ne sont absolument pas que la rentabilité financière. On est le seul fabricant dans l’électronique avec une certification B-Corp, ce qui veut dire qu’on mesure notre succès sur d’autres critères qui incorporent des problématiques sociétales et environnementales : combien de temps les utilisateurs gardent leur fairphone ? Combien de minerais "équitables" intègre t-on ? Le nombre de partenaires industriels qui nous ont “suivi” ? On est également transparent sur ces résultats : on publie nos résultats sur tous ces aspects dans nos impacts reports. Dans ce rapport, vous trouvez même ce que coûte le téléphone. Aussi nos bénéfices. Vous apprendrez par exemple qu’on fait 1% de profit, on vous laisse imaginer le “gap” avec d’autres fabricants.
Greenwashing, greenwashing, you rince it 3 times, you smell, it smells like a flower
On avait l’habitude du greenwashing des entreprises, voici le greenwashing national ! Tout commence par un rapport (non scientifique) publié dans le MIT Technology Review : The Green Future Index. Cocorico ! La France est classée 4ème pays le plus vert au monde sur 176 pays. Notre ancien ministre de l’écologie et des banquets fastueux s’est empressé de le tweeter en s’autocongratulant et en fustigeant les “professionnels de la protestation”.
Sauf qu’en regardant la construction de l’index en question, patatras : l’indice additionne des cocos et des abricots : émissions de GES nationales (et pas importées), “Clean innovation” (brevets “verts”, investissements transfrontaliers dans “l’énergie propre”, investissements privés dans la “foodtech”), “Climate policy” (contributions déterminées au niveau national, existence d’un marché carbone, volume d’investissement post-COVID) c’est à dire que plus vous faites de promesses, plus vous êtes bons ! Pas surprenant que le Canada, la France, la Norvège arrivent dans les 1er, et les pays comme le Ghana ou le Pérou dans les derniers. Lire à ce sujet le débunk proposé par Céline Guivarch, membre du Haut Conseil pour le Climat et auteure pour le GIEC.
Breaking news
L’ADEME publie son avis sur la “neutralité carbone”. Extrait : "La neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle de la planète ou d’un État. Les acteurs économiques, collectivités et citoyens ne peuvent ni devenir, ni se revendiquer neutres en carbone individuellement à leur seule échelle". Nos amis les GAFAMs sont prévenus.
Avant de se quitter
Les groupes pétroliers et gaziers investissent faute de mieux dans le stockage du CO2 sous terre pour aider l’Union Européenne à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Une solution encore imparfaite qui leur permet tout de même d’encaisser de belles subventions. Les fausses promesses des technologies de captage du carbone à lire dans Le Monde.
Pas de syndicat chez Amazon en Alabama, et la défaite est cuisante. Jeff Bezos jubile.
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Prenez soin de vous et de vos smartphones et à dans 2 semaines !
Nous ne compensons pas les émissions CO2 de cet e-mail.