Ceci n’est pas une révolution

Newsletters > n°14 envoyée le 22/01/2024

La newsletter green, super green

C’est prouvé, le numéro 13 porte malheur, car il aura fallu attendre depuis le mois de mai dernier pour que naisse ce numéro 14 de la newsletter. Il faut dire que nous n’étions pas trop d’humeur, entre l’interminable guerre en Ukraine, les tueries de masse et la prise d’otages en Israël, l’anéantissement de Gaza et de manière anecdotique, la lente destruction anthropique de notre monde.

Mais tout va bien car l’Intelligence Artificielle va nous sauver.

Comme le monde actuel des humains riches est laid, et que le reste du monde reste quand même beau, en regardant par les interstices, continuons à apporter de la joie, ou en tout cas, continuer à croire et à faire qu’un monde joyeux peut advenir.

Dans ce numéro, révolution, IA (forcément), guide anti-greenwashing, rémunérations, extrait de l’entretien avec Mathilde Longuet et Pierre-Yves Gibello, la suite de l’hiver le plus long, et des tas d’infos croustillantes à ne pas manquer.

Bonne lecture !

1024 nuances de green

Qui a dit ?

Le financement de l’innovation va surtout vers les sujets futiles et inutiles et vers les plus privilégiés et à l'inverse, financer la transition écologique ou une transition économique s’avère être un parcours du combattant.

Rendez-vous à la fin de la newsletter pour vérifier votre réponse !

Révolution ? Vraiment ?

Le logo de Tesla

Un des résultats proposés en cherchant "Revolution" sur la banque d'images Unsplash

« Révolution numérique », « Révolution de l’IA ». Révolution de quoi ? Pour qui ? Faisons une recherche rapide. Selon le Larousse, édition 1985, la révolution est « changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un État, qui se produit quand un groupe se révoltant contre les autorités en place, prend le pouvoir et réussit à le garder ».

Convoquons la pensée de Jacques Ellul, et plus particulièrement un extrait de Autopsie de la révolution paru en 1969 : « Le mythe de la révolution dévale sur le monde moderne. (…) Nous assistons à un usage outrageux du terme "révolution", tout et n'importe quoi est aujourd'hui qualifié. (…) Pour bien mesurer l'abus de mots, il faut comprendre en profondeur que la technique produit une société essentiellement conservatrice, intégratrice, totalisante, en même temps qu'elle entraîne d'énormes changements. Mais ce sont les changements d'un rapport à soi toujours identique. La technique est antirévolutionnaire mais, par les "progrès" effectués, donne l'impression que tout change, alors que seules des formes et des moyens se modifient. Elle anéantit la pulsion révolutionnaire en accroissant tous les conformismes à sa propre structure intégrée ».

L’IA a soif

« Inquiet que l’IA vous pique votre taff ? Vous devriez plutôt avoir peur qu’elle boive toute votre eau ». C’est l’angle mort de l’IA qu’a souligné Lauren Boudard, la talentueuse auteure de Climax et TechTrash. En effet, on parle beaucoup de la consommation de ressources et d’énergie pour que les algorithmes puissent tourner, mais rarement de son empreinte hydrique et des potentiels stress hydriques impactant les populations. Par exemple, la consommation d'eau de Microsoft a augmenté de 34 %, celle de Google de 20% en un an seulement ! L’IA rejoint le cercle des assoiffés anonymes.

Guide pratique contre le greenwashing

Vous êtes acheteur public ou tout simplement un consommateur lambda participant au bon fonctionnement économique de notre société ancrée dans la croissance du PIB ? Existe un guide pratique anti-greenwashing, ou anti-écoblanchiment. Il s’agit du Guide pratique des allégations environnementales publié par le Conseil national de la consommation, organisme paritaire consultatif placé auprès du ministre chargé de la consommation (comprendre, le ministère de l’économie et des finances, Bercy pour les intimes).

Par exemple pour l’allégation d’écoconception : selon la Directive 2009/125/CE 2 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie, l’écoconception vise « l’intégration des caractéristiques environnementales dans la conception du produit en vue d’améliorer la performance environnementale du produit tout au long de son cycle de vie ». Les impacts et aspects environnementaux significatifs sur l’ensemble du cycle de vie du produit doivent être pris en compte.

Certains produits consommateurs d’énergie sont déjà soumis à des obligations visant à améliorer leur performance environnementale. La directive européenne 2009/125/CE et ses mesures d’exécution par catégorie de produits fixent ainsi des exigences d’écoconception aux téléviseurs, aux réfrigérateurs, aux moteurs électriques, aux décodeurs numériques, aux lave-linges, aux lave-vaisselles… Parler dans ce cas d’écoconception est trompeur car c’est obligatoire !

Selon ce guide, une entreprise qui produit un bien éco-conçu doit être en mesure de fournir, des éléments pertinents, mesurables, vérifiables et concrets démontrant qu’elle a mis en place une démarche d’écoconception relative au produit considéré qui vont au-delà des contraintes obligatoires.

On pourrait imaginer appliquer les mêmes principes pour un service éco-conçu, comme un service numérique, un site web ou une application. Pas sûr que beaucoup valident ces principes.

Green IT rime avec se faire de la thune

L’administration a mis à jour le référentiel de rémunération des 55 métiers du numérique pour la fonction publique. Les métiers liés à l’accessibilité numérique sont étonnement absents. Par contre, on y apprend que le métier de « Responsable Green IT », avec un profil débutant peut être rémunéré annuellement a minima 66 000 € brut. Un agent public expérimenté dans ce domaine, avec plus de 20 ans d’expérience, peut faire sauter la banque avec un salaire annuel brut de 156 000 €, soit plus de 7 fois le SMIC ! Des notions d’IA et de bullshitisme ne sont pas requis, mais sont, sans doute, des plus qui mettront en valeur votre Curriculum Vitae.

KO Google

Alors que l’avenir de Google est en suspend, entre des résultats de recherche de pire en pire et la concurrence des ChatGPT et autres agents conversationnels dopés à l’IA générative, le rappeur Zippo dans son album Zippo contre les robots sorti en 2018 s’attaquait dans un titre, au géant des big tech. Extrait.

Arrête de penser, Google Pense
Rejoins-nous, envoie ton CV à Google France
T'auras un Google Salaire et une Google Car
Chez nous c'est Google Sympa, on se Google Marre
Vous allez voir, on va vous inonder de Google Gadgets
Dans quarante ans tu vivras sur une Google Planète

L'entretien

Dans l'épisode 85 de Techologie. avec Mathilde Longuet de OwnTech et Pierre-Yves Gibello de OW2, nous nous intéressons au logiciel libre et son rôle pour un numérique plus soutenable.

Extrait.

Quels sont les objectifs sociétaux que devraient poursuivre les organisations en mettant en place les outils numériques ?

Mathilde :

Je dirais que la première question à se poser, ce qui peut paraître basique mais qu'on se pose assez peu, c'est qu'est-ce qu'on veut vraiment en proposant de nouveaux outils ?

On se pose beaucoup la question pour répondre au marché financier des besoins individuels et un peu du désir du consommateur qu'on vient combler, mais maintenant il faut qu'on réapprenne à avoir la question d'un point de vue plus social, plus englobante sur quel monde on va.

Parce qu'on est conscients maintenant qu'on ne peut plus produire à tout va, ce n'est pas parce qu'on peut produire qu'on doit le faire.

J'ai l'impression qu'il n'y a que dans la technologie qu'on se dit que ce n'est pas ce qu'on peut, on doit le faire.

C'est Aurélien Barreau qui parlait il n'y a pas longtemps du pharmakon et du fait que pour chaque chose dans la vie, il y a un dosage.

On le sait très bien pour la nourriture, pour le sommeil, mais par contre la technologie, on court à fond. Pour moi, c'est vraiment la question centrale.

Pierre-Yves :

Je sors peut-être un peu de la question, mais j'allais dire que plein de gens disent que le capitalisme c'est mal, etc.

Moi, j'ai plutôt tendance à dire que le capitalisme financiarisé qui fait n'importe quoi, c'est mal.

Je crois que Guy Debord avait dit que c'était le spectacle et l'économie qui se développent pour elles-mêmes ou un truc comme ça.

Ce qui n'est pas bon, c'est l'économie qui se développe pour elle-même.

Quand on me dit capitalisme, je dis que le capitaliste, c'est un type qui utilise des facteurs de production, donc il utilise du travail et du capital, mon agriculteur bio pour produire des biens et services.

Mon agriculteur bio, il utilise de la terre, des machines et des salariés pour produire des légumes. C'est un capitaliste. Le problème, ce n'est pas ça, ça c'est très bien.

L'écosystème open source où dedans il y a des éditeurs, nous on en a plein, qui sont des capitalistes plus ou moins forcenés.

Il y en a qui sont à fond avec une logique presque appropriatrice, d'autres sont vachement open, ils autorisent les gens à contribuer à leurs projets, etc. Ils sont très libres.

Mais bon, cet écosystème-là, c'est des capitalistes et ils font le boulot. Aujourd'hui, il y a aussi des gros capitalistes, il y a la MAIF par exemple, entre autres, sixième assureur de France, c'est des capitalistes.

Même les grosses structures ne sont pas forcément néfastes à partir du moment où elles ont un certain nombre de valeurs et où elles s'intègrent avec le tissu sociétal.

C'est un petit peu à ce niveau-là que se joue, c'est que la greffe arrive à prendre avec les gens et qu'on arrive à créer une espèce d'économie sociale et solidaire élargie, qui intègre un petit peu toutes les visions, mais qui n'autorise pas qu'on fasse n'importe quoi.

Mathilde :

Je pense qu'un angle mort du capitalisme actuel, c'est que grâce à l'automatisation et en partie l'informatisation, l'optimisation de tous les processus, on a libéré théoriquement beaucoup de temps de travail mais qu'on a compensé par du sur-travail ailleurs.

Ce sur-travail nous amène à une sur-production et on ne sait pas trop dans quel objectif, ce n'est pas pour un bien-être social.

C'est là où on doit pointer du doigt ce gain de richesse qu'on fait, qui pour l'instant va dans les mains d'une petite élite.

Mais ça pose des questions. Qu'est-ce qu’est le travail aujourd'hui ? Est-ce que c'est la production qu'on doit maintenir ?

L'intégralité de l'entretien passionnant avec Mathilde Longuet et Pierre-Yves Gibello est à lire sur Techologie et bien sûr à écouter au format podcast. Abonnez-vous sur votre plateforme de podcast préférée pour être sûr·e de ne manquer aucun épisode, sinon vous serez atteint du syndrome Fear of missing out sur 3 générations !

Greenwashing, greenwashing, you rince it 3 times, you smell, it smells like a flower

Heureusement que les voitures électriques chinoises permettront de refroidir la planète de 1 degré. Ouf ! Nous sommes sauvés.

Le feuilleton : L'hiver le plus long

Suite du feuilleton ! Le pitch ? Avec la crise de l'énergie, un hiver tendu est annoncé. Comment les familles d'Alex et de sa sœur Cathy vont vivre cet hiver qui devrait être long et encore plus compliqué que prévu. Les restrictions sont de plus en plus dures et les pannes d'électricité et le manque de chauffage mettent à mal la cohésion des familles mais aussi de toute la société.

Pas lu le premier épisode ? C’est par ici.

C'est parti pour ce second épisode !

Jour 1 - La dernière course

Je n'ai pas bien dormi cette nuit. Le souvenir des manifestations du mois dernier réprimées dans la violence me hantent encore. Évidemment avec le début des restrictions qui touchent les plus fragiles, il n'y a pas eu d'autres solutions que le soulèvement, pour demander plus de justice face aux problèmes énergétiques.

De nombreux centres villes ont été occupés. Plusieurs lieux de la capitale ont été bloqués. Mais avec le froid arrivant, la répression de la police et surtout face au silence assourdissant du gouvernement, les manifestants ont peu à peu abandonné les lieux occupés.

Il y a quelques mois, de l'autre côté de la Manche, au Royaume-Uni, des citoyens militants avaient refusé de payer le prix de l'énergie avec le mouvement « don't pay UK ». S'en est suivi des coupures d'électricité généralisées par les opérateurs sous ordre du gouvernement anglais, même chez les personnes n'ayant pas rejoint le mouvement. Ces derniers reprochant aux militants, les conséquences de leurs actes, des disputes puis des altercations entre habitants ont éclaté. D'aucun pourra affirmer que le flegme britannique a été définitivement perdu à ce moment là. Le gouvernement anglais avait tout gagné en divisant la population et en s'érigeant comme gardien de l'ordre. Opportunément, les délestages d'électricité ont permis aussi des économies.

Avec ces pensées en tête, je me lève. Il est 6h du matin et tout le monde dort encore chez moi. Je sors courir. Je me dirige vers la sortie de ma ville, et je longe la ferme urbaine de Sonia. Tout est calme et le silence est seulement rompu par le pas de ma course.

Sonia est une maraîchère en reconvertion. Elle travaillait dans une banque et a tout abandonné après la lecture d'articles sur les catastrophes écologiques puis des rapports du GIEC. Elle a lancé sa ferme bio il y a seulement deux ans. À la force de ses bras mais surtout à la force de sa volonté, elle a tout monté. Serres, hangar, champs extérieurs, vergers... D'une certaine manière, Sonia me fait penser à Cathy. Ma sœur aurait pu se lancer dans l'agro-écologie, cela ne m'aurait pas étonné. Sonia vend ses fruits et légumes directement au consommateur, sans intermédiaire et rencontre un vif succès auprès des proches habitants. Pas assez encore pour se verser un salaire, mais elle se dit heureuse. « Je n'ai pas d'argent mais j'ai de quoi me nourrir et en plus je sais d'où vient ce que mange » m'a t-elle dit une fois.

Je commence à fatiguer. C'est le moment de retourner à la maison. Je passe devant la piscine municipale. C'est l'une des premières à avoir fermer dès début septembre à cause du prix élevé de l'énergie. Je n'aurai jamais imaginé alors que toutes les piscines de France allaient suivre. J'avais inscris fin août, mon petit dernier à l'école de natation. Il n'a fait aucune séance. On peut dire que je n'ai pas eu de flair sur ce coup là !

J'arrive dans ma rue et je vois mon voisin, Jean-Paul sortir de chez lui. Ingénieur dans l'aéronautique, Jean-Paul est maintenant retraité. D'habitude, nos discussions se concentrent sur les questions essentielles de la vie comme le temps qu'il fait ou bien les plantes qui poussent dans nos potagers, pas plus, pas moins. Aujourd'hui c'est différent :

« il est annoncé une coupure générale d'électricité dès cet après midi », m'a-t-il annoncé, d'un air mi-amusé, mi-inquiet.

Jean-Paul a un énorme SUV qu'il ne fait plus rouler maintenant depuis plusieurs semaines, faute de carburant. Il part faire ses courses en ville ou à la ferme de Sonia, sur mon conseil, à pied avec son chariot de course. Il me dit se sentir mieux physiquement depuis qu'il s'est remis à beaucoup marcher. La crise actuelle ne semble pas faire que des malheureux. Mais il croit que cette crise n'est que passagère. « On en a connu d'autres ».

Je crois que Jean-Paul n'est pas non plus inquiet du dérèglement climatique. Peut être même qu'il n'y croit pas. C'est ce que j'ai supposé suite à nos nombreuses discussions sur la pluie et le beau temps.

Cela fait plus d'un mois que je ne travaille plus. Je me sens comme Jean-Paul, un retraité mais en version plus jeune, qui court pour faire du sport au lieu de tirer son chariot. Si une coupure de courant généralisée est prévue aujourd'hui, le retour au travail est un concept qui devient de plus en plus abstrait.

Comme tous les jours, j'appelle Cathy pour prendre de ses nouvelles. Comme tous les jours, je vérifie les stocks d'eau et de nourriture et que tous les appareils, notamment téléphones sont bien chargés. Comme tous les jours, je suis mort d'inquiétude pour l'avenir de mes enfants. Foutu pour foutu, je propose à ma femme et mes enfants de jouer à la console et de faire une « dernière course de Mario Kart avant la fin du monde ».

À suivre dans le prochain numéro de la newsletter. Ou pas, car si vous n’aime pas, n'hésitez pas à nous le dire.

Avant de se quitter

Réponse au Qui a dit ? Le financement de l’innovation va surtout vers les sujets futiles et inutiles et vers les plus privilégiés et à l'inverse, financer la transition écologique ou une transition économique s’avère être un parcours du combattant. C’est Timothée Parrique, dans Ralentir ou périr. L’aviez-vous ?

Maintenant, fermez cet ordinateur ou ce smartphone et allez faire des papouilles à votre moitié pour réarmer démographiquement la France.

Bisous et à bientôt !

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Évènement à ne pas manquer

La réalité minière du numérique, Rencontre avec Celia Izoard le 4 mai 2024 à Paris, organisée par Point de MIR et animée par Techologie. Infos et inscription

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