Mine de rien...
Newsletters > n°15 envoyée le 15/02/2024
La newsletter green, super green
Ce mois-ci, on se décentre ! Prenez vos casques de réalité virtuelle, on part comprendre l’emprise coloniale des technologies et des entreprises de la tech. On va creuser jusqu’aux mines. Pour remonter et voir que l’opacité des algorithmes des services publics est de plus en plus contestée. Entretien avec Romane Clément qui a fait plier son distributeur sur la garantie de son ordinateur en panne. Des mèmes et un paquets d’infos, de liens et même un sondage avant de se quitter. Allez c'est parti !
1024 nuances de green
1024 nuances décoloniales
C'est Black History Month, le mois de l'histoire des Noirs, aux États-Unis depuis 1976 et au Royaume-Uni, à partir de 1987, suivis par le Canada, depuis 1995.
Un bon prétexte de décentrer nos points de vue. Sur les enjeux d’écologie décoloniale et les impacts du numérique, nous avions reçu au micro de Techologie, David Maenda Kithoko, réfugié politique en France qui nous raconte son histoire et ses combats pour une prise de conscience des liens entre numérique, colonialisme, minerais de sang et conflits en République Démocratique du Congo. Pour compléter, la chaîne Histoires Crépues propose de comprendre la guerre au Congo.
Technology Colonialism est un article de 2015 et toujours d’actualité qui pointe les logiques coloniales sur lesquelles reposent les entreprises technologiques. Sur la performance, l'accessibilité et l'inclusion dans la conception de services numériques et les privilèges qui biaisent tout cela , une conférence remarquable de Tatiana Mac est à voir : How privilege defines performance,
Toujours pour désoccidentaliser l’écologie, pas forcément que sur la question des technologies, les bouquins à ne pas manquer sont Une écologie décoloniale, Penser l'écologie depuis le monde caribéen de Malcom Ferdinand et Pour une écologie pirate de Fatima Ouassak. À noter également la sortie ce mois-ci d’une nouvelle revue « Plurivers » dont le premier numéro est consacré à « Décoloniser le changement climatique ».
Ruée minière du XXIè siècle pour une croissance verte et décarbonée
Toujours sur le sujet des logiques coloniales sur lesquelles reposent nos sociétés, est paru en janvier 2024, « La ruée minière au XXIe siècle, enquête sur les métaux à l’ère de la transition » (éditions du Seuil). Après « Merci de changer de métier, lettres aux humains qui robotisent le monde » en 2020, la journaliste Celia Izoard, qu’on peut lire notamment sur Reporterre, s'intéresse dans un nouvel essai aux liens entre l'industrie minière et l'expansion du capitalisme, tout en dénonçant les arguments en faveur de la transition énergétique et la décarbonation. Le journaliste Hubert Guillaud en a fait une recension dans un article qui donne la teneur dès le titre : Au fond du trou extractiviste.
Opacité des algorithmes des services publics
L’association Changer de Cap a publié une lettre ouverte à Gabriel Attal dénonçant l’utilisation d'un algorithme de ciblage des allocataires par des CAF (Caisses d'Allocations Familiales).
Dans le même temps, l’association Ouvre-boîte demande à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la communication du code source complet de Parcoursup, l’application chargée de gérer les vœux d'affectation des futurs étudiants de l'enseignement supérieur. Le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête sur la base des recommandations du prestataire externe en cybersécurité du ministère, que « la publication en ligne du code source complet de Parcoursup en laisserait apparaître les vulnérabilités et serait, ainsi, susceptible de porter atteinte à la sécurité des systèmes d’information de l’administration ». Surpris ?
Améliorer Techologie, votre avis compte
Prenez svp 5 à 10 min pour répondre à ce rapide sondage.
À chaque sondage répondu, un palmier à huile ne sera pas planté en Indonésie.
L'entretien
Avec Romane Clément qui a fait plier un distributeur d’équipement numérique et qui depuis, est engagée pour un numérique plus responsable.
Qui es-tu ?
Je m'appelle Romane Clément et je suis l'heureuse co-fondatrice de Ctrl S, studio de design et de conseil pour un numérique responsable. J'aime la mer, l'odeur de l'essence, réparer des trucs, jouer aux Sims 4, avoir un coup de soleil sur le nez et porter des couleurs qui ne vont pas ensemble. Avec mes amis et co-fondateurs de Ctrl S, Valentin et Florian, nous accompagnons les organisations depuis 2020 (des entreprises, des écoles d'enseignement supérieur mais aussi et de plus en plus des services publics) dans l'élaboration de stratégies numériques plus responsables. On ne s'arrête pas à la stratégie-sur-de-très-belles-diapositives car on met les mains dans le cambouis dès qu'on le peut pour refondre ou créer des services numériques résilients, toujours avec une condition : voir plus loin que l'utilisateur et apporter une vision systémique sur les projets. Ça intègre l'anticipation tant que faire se peut sur les effets rebonds, les usages induits, les externalités négatives environnementales et sociétales, et même la pertinence de l'existence du produit ou service.
Je suis issue des sciences sociales avec un bagage académique en sociologie et en sciences politiques. J'ai rencontré Valentin et Florian dans le cadre d'un master Innovation et Transformation numérique de Sciences Po, qui avait le très bon goût d'être lié à une école de design (il faut davantage de croisements de ces disciplines !). On a tous des profils assez variés, designers (beaucoup), sociologues (au maximum), ingénieurs (un peu) et c'est une vraie force pour Ctrl S, pour aborder la complexité du sujet du numérique responsable, au-delà de l'écoconception fonctionnelle.
Depuis deux ans d'ailleurs, nous tentons de rendre très concrète cette vision systémique : nous créons, portons et animons des « Labs Numérique responsable » sectoriels. Nous avons par exemple lancé avec Les Augures en 2022 le premier Lab dans le secteur culturel avec près de 20 institutions culturelles et territoires réunis autour d'un programme séquencé sur leurs enjeux communs numériques responsables (ils sont nombreux). Nous encadrons leurs réflexions, l'enquête terrain, l'idéation et réalisons des prototypes protéiformes (dur à dire) pour faire avancer tout le secteur. Nos travaux sont accessibles et ouverts.
En 2017, tu as attaqué en justice le distributeur auprès duquel tu avais acheté ton PC portable. Raconte nous ça.
Le mot n’est pas très beau, mais on a souvent dit de moi que j'étais pugnace. L'histoire qui va suivre en est un bon exemple. En 2017, un beau matin, mon tout premier ordinateur portable, flambant neuf, ne s'allume plus. C'est embêtant parce qu'un ordinateur, c'est très cher pour moi à l'époque, et que je suis en année Erasmus au milieu d'une période de partiels. Je contacte directement le distributeur auprès duquel je l'avais acheté et là je déchante vite. On me dit « déso, la garantie commerciale de 6 mois est passée », que je peux envoyer mon ordinateur par la Poste mais que je serai facturé des frais d'exploration de la panne et de réparation.
Après quelques recherches, je découvre vite l'existence de la garantie légale de conformité de 2 ans. La hiérarchie des normes place cette garantie au dessus de n'importe quelle disposition du contrat d'achat qui n'irait pas dans le même sens. Malgré des échanges houleux toujours ponctués de leur côté d'un « vous avez accepté les termes du contrat en achetant le produit, c'est comme ça, il fallait lire », je sais que la loi est plus forte et je n'ai rien à perdre. J'envoie une mise en demeure recommandée, rédigée en 5 minute grâce à un modèle trouvé sur internet et envoyé grâce au site de La Poste. Ce que je pensais être une petite bombe de pression ne les fait pas beaucoup plus réagir, ils campent sur leurs positions, je n'ai toujours pas d'ordinateur.
À mon retour en France, je décide d'intenter une action au Tribunal d'instance d’Évreux, en me représentant seule. Je ne veux pas dépenser un centime pour la démarche. Et surtout je rêvais de crier « votre honneur » au tribunal en robe d'avocat ! Précision importante sur le lieu du tribunal, si le produit a été livré à votre domicile, donc dans de nombreux cas de vente en ligne, vous pouvez attaquer le distributeur qui refuserait de le réparer dans le tribunal du lieu de livraison. C'est assez embêtant pour eux généralement (par exemple, au hasard, se déplacer à Évreux). La procédure n'est pas compliquée et le distributeur ne se présente pas au tribunal, et je gagne assez facilement mon cas.
J'avais un dossier assez béton et pour cause, à l'époque, j'ai prouvé que le défaut qui avait mis mon ordinateur KO était déjà présent à la date de livraison. J'ai constitué une banque de captures d'écran de forums en ligne où des personnes se plaignaient du même problème sur le même modèle. Depuis le 1er janvier 2022, il est mis en place une présomption d'antériorité des défauts, c’est au professionnel de prouver que le défaut n’existait pas au moment de l’achat du bien. C'est une sacré avancée, cette présomption opère un renversement de la charge de la preuve au bénéfice du consommateur.
En conclusion, je dirais que ça vaut le coup de s'embêter un peu, et surtout de faire comprendre aux distributeurs qu'un produit électronique dont ils ignorent volontairement les vices cachés et qu'ils refusent de faire réparer n'est souhaitable pour personne. Feu ce brave ordinateur de 1.8 kg qui a nécessité plus de 800 kg de matières premières pour sa fabrication.
Le matériel qui permet nos usages numériques représente aujourd'hui près de 75% de l'impact environnemental du numérique, mais je ne vous apprends rien si vous êtes abonnés à Techologie :). Il est plus que temps d'allonger leur durée de vie et de systématiser la réparation dont la responsabilité incombe au fabricant ou au distributeur dans le cadre de cette garantie légale de conformité. Il s'agit tout particulièrement d'insister pour que l'option de la réparation soit adoptée par le Service Après-Vente et demander des preuves s’il est « jugé » que cette option coûte plus cher que la valeur vénale du produit. Depuis le 1er janvier 2023, si vous demandez la réparation du produit, la garantie légale de conformité est étendue à 2 ans et demi.
Tu publies une newsletter appelée "Screenédit" dans laquelle tu dis vouloir sortir les "memes" de leur habitat naturel pour réfléchir sur les usages et pratiques de la tech. Peux-tu nous proposer quelques memes publiés ?
Avec plaisir ! Pour les puristes, je dois avouer que tous ne répondent pas strictement à la définition d'un meme, mais restent dans la grande famille des drôleries d'internet :) Toutes les éditions sont disponibles sur LinkedIn.
Issu du Screenédit #3 : Réusage, marques à l'envers et UberFight, une notification Uber très menaçante
Issu du Screenédit #27 : Merry Crisis, une comparaison entre Zuckerberg et le père Noël qui m'a semblé opportune.
Issu du Screenédit #16 : La boucle est bouclée, Alexa, Linux
« Terrible grand nouveau tournant au travail aujourd'hui. Pendant des années, les élèves ont accidentellement appelé leurs professeurs "maman" ou "papa" par réflexe. S'en suivait un grand moment de rigolade. Aujourd'hui, une de mes collègues s'est faite appeler Alexa ».
Issu du Screenédit #23 : Édition spéciale IA
MéTiErS qUi VoNt SuBiR lE gRaNd ReMpLaCeMeNt
Greenwashing, greenwashing, you rince it 3 times, you smell, it smells like a flower
On a beau rincé toutes les communications à but publicitaire, pas de greenwashing notable ce mois-ci :( Ça peut arriver, nous n’avons rien décelé. Peut-être que le greenwashing est devenu très efficace et donc moins identifiable ? Ne soyez pas déçus et si vous avez identifié du greenwashing, n’hésitez pas à nous le faire savoir. Rendez-vous le mois prochain pour voir si cela évolue !
En attendant, jettez-vous sur le dernier épisode de Techologie dans lequel nous avons parlé avec Marie Garin et Romain Couillet des incompatibilités des transitions numérique et écologique.
Avant de se quitter
- Google Cloud aurait pu prétendre à la rubrique Greenwashing en proposant des guides pour verdir le développement logiciel et qui veut "sauver la planète" (Ctrl + Save the planet comme ils l'écrivent ces geeks, ah ah). Google Cloud recommande par exemple d’utiliser les ressources Cloud pour réduire les émissions de CO2. On se serait pas douter, dis donc ! Si cela permet à certains de découvrir les impacts environnementaux du numérique, en faisant attention à la partialité des auteurs, pourquoi pas…
- Histoire hallucinante aux origines du techno-optimisme racontée par Dominique Karadjian.
- Réponse de Karl Pineau à Louis Derrac : « Réaffirmons la radicalité du numérique responsable »
- Les vidéos de la Journée de l'écoconception numérique par les Designers Éthiques sont disponibles.
- Marina Ferrari nommée secrétaire d’État au Numérique et malgré le bling-bling associé à son nom, la French Tech est vent débout contre le déclassement du Numérique en simple secrétariat d’État alors qu'il était un ministère délégué, comme le choix d'une élue inexpérimentée sur les sujets numériques.
- Quant au ministre des finances Bruno Le Maire, il s’amuse sur les réseaux sociaux : « C’est incroyable tout ce que l’on peut faire grâce à l’intelligence artificielle ». Incroyable, en effet.
- Une commune de Seine-et-Marne interdit les smartphones dans la rue. Bah, et pourquoi on installe la 5G ?
- L’entreprise du numérique Atos en difficulté car selon les experts elle a « manqué le virage de l'outsourcing », c'est-à-dire la délocalisation d'une partie de sa force de travail vers des pays aux salaires plus bas, comme l'Inde. Le capitalisme, c’est froid et précis.
- Un taxi autonome Waymo de Google incendié en pleine rue durant les célébrations du Nouvel An chinois.
- Aux apatrides du web merdique, par Thibault Prévost sur Arrêt sur images
- La ville d'Oslo acquiert ChatGPT pour 110 000 élèves et enseignants « afin de donner aux élèves les bons outils pour affronter l'avenir ». C'est sûr que ChatGPT sera utile pour se nourrir dans un monde à +3 degrés en 2050.
- Dans le jeu Farming Simulator, il y a de très sérieuses compétitions de ramassage de botte de foins.
- E = mc2 + AI ? C’est la très sérieuses proposition d’un tech-bro. Merci frère de contribuer à étoffer la théorie de la relativité. Et bien, c’est relativement très con.
- Tracks sur Arte : Les technologies inutiles peuvent-elles sauver le monde ?
- Porter des Apple Vision Pro dans un Cybertruck Tesla autopiloté, et pourquoi pas ?
- L’intelligence artificielle met notre économie ultra-carbonée sous stéroïdes en démultipliant les capacités de certaines des industries les plus polluantes.
- Comment les ultrariches préparent l’avenir en se faisant construire des bunkers et des fermes bio, en assumant faire sécession avec le reste de l’humanité.
- « La sécurité routière et des vies sauvées valent plus que des arbres malades et dangereux. S’il faut couper massivement des arbres pour garantir la sécurité de nos habitants et des usagers de la route, nous n’hésiterons pas » explique Nicolas Lacroix, Président du Conseil départemental de Haute-Marne. Il conclut son explication par « Les arbres qui tuent n’ont plus leur place au bord de nos routes ! ». Ce n'est ni la vitesse ni l'alcool au volant, mais les arbres qui tuent, qui l'eut-cru ?
Si vous êtes toujours là, n’oubliez pas de donner votre avis en en répondant à ce sondage.
Bisous et à bientôt !
Infolettre rédigée en écoutant l’album Nation de Jean-Michel Rotin et le son (et l’énergie) du carnaval en Guadeloupe.
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